Chroniquer un album de Mastodon est une épreuve. On ne peut pas s’attaquer à une plaque de ce groupe comme on le ferait avec n’importe quelles autres formations. Le statut acquis par Mastodon en dix ans, la richesse musicale de chaque album et l’évolution qui a été la leur, rendent le ressenti, l’analyse et la critique complexes. Mais « lourde est la couronne », et « The Hunter » est, en plus, un album qui était attendu depuis que l’album précédent a déchaîné l’auditoire du groupe et la critique. En écrivant « Blood Mountain » puis « Crack the sky », Mastodon est passé du statut de « groupe pour initiés » à celui de « monument » aux yeux d’une presse et d’un public métal qui a quasi unanimement encensée à grand coup de superlatifs ces albums. Le dernier nommé qui restera certainement dans le top 20 des albums de metal à posséder pour beaucoup d’adeptes. 

Une épreuve donc pour le groupe d'Atlanta car il est souvent plus compliqué de conserver ce genre de statut que de surprendre un auditoire qui ne s’attend pas à ramasser une gifle. On attendait donc beaucoup de la bande emmenée par Troy Sanders .
En entamant l’écoute de « The Hunter » on doit d’abord essayer, autant que possible, de s’y plonger comme pour une plaque à part entière, et non comme le successeur d’un grand frère superstar. C’est difficile, très difficile. C’est comme partir en vacance en allant juste à côté d’un endroit où on a passé de très bons moments. On est excité, mais on aussi très peur d’être déçu. J’y vais, je me lance et je vous raconterai où je suis allé. 
 
Ow, oW, OW !!!!! C’est chaque fois la même chose, quand on se plonge dans ce genre d’univers, on  en sort tout chamboulé. Choses promises choses dues. Voici un récit de voyage dans la contrée nommée « The Hunter ». 
Pour ceux qui aurait peur que Mastodon n’ait succombé aux chants des sirènes du succès, autant ne pas faire durer le suspense… il n’en est rien. « The Hunter » est bel et bien un album fabriqué de ce bois et de cette hargne qui a fait du groupe ce qu’il est devenu. Mais des surprises, il y en a. 
 
Pour bien comprendre cet album, je pense qu’il est nécessaire de prendre toute la discographie du groupe en compte. De Remission à Crack the Sky, Mastodon a évolué, proposé, assumé bon nombre de choix. Sur ce nouvel opus, il semble que l’idée directrice n’ait pas changé : proposer quelque chose de cohérent avec la musique qu’ils produisent depuis leur début sans pour autant se répéter. On trouve, au travers des 13 titres de The Hunter, une mosaïque d’éléments qui sont les fondamentaux de leur discographie. La richesse musicale est donc toujours bien au rendez-vous. 
 
« Black tongue » met le pied à l’étrier et le moins que l’on puisse dire c’est que les choses sont claires dés le départ, on n’est pas là pour rire. La patte de la bête est profonde et reconnaissable entre milles. Les choses continuent de plus belle avec un « Curl of the burl » plus en mid-tempo et avec des riffs de guitares à la fois gras et savamment étudiés. "Blasteroïde" clôture cette première partie de l’album en accélérant la cadence, en rendant le propos plus dur, un morceau taillé pour la scène qui fera certainement très mal. Après ce trio de pattes dans la tronche, la surprise est certainement moins située au niveau des instruments qu’à l’écoute des voix. Les mélodies sont plus directes que sur Crack the sky. Qu’on ne s’y trompe pas, « directe » ne signifie pas « facile », mais après quelques écoutes, elles ont déjà fait leur chemin et ont commencé à s’imprimer sur la paroi des tympans.
 
« Stargasm » et «Octopus has no friends » entament une série de titres plus en rapport avec l’identité qu’ils ont développés sur Crack the sky. "All the heavy lifting" amène une intensité et une urgence qu’on n’avait pas encore atteinte sur cet album. Et comme c’est souvent le cas, après l’urgence vient la bouffée d’air. Le titre qui a donné son nom à l’album propose des mélodies et des rythmiques plus posées et plus lancinantes.
 
Les vraies surprises commencent avec "Dry Bone Valley". Brann Dailor fait sa première vraie apparition à la voix. On peut d’ailleurs saluer son jeu de batterie qui est une nouvelle fois irréprochable sur tout l’album. Même si ce sont souvent les guitares qui sont mises à l’honneur, c’est aussi à ce batteur que Mastodon doit une partie de son succès tellement les rythmiques qu’ils proposent sont fines, adaptées et techniques. "Thickening" joue sur des jeux de voix multiples et les plages de guitares qui s’entrecroisent. "Creatures Lives" est un peu le morceau ovni de l’album. Après une intro à la limite de l’expérimental, il part dans un voyage musical très osé. Les guitares sont limites lyriques et flirtent avec des mélodies dignes d’hymnes nationaux. Une nouvelle fois, Mastodon surprend et ne se repose pas sur ses acquis. Même si certaines choses sont plus difficiles à digérer, c’est en écoutant l’album dans son entièreté que l’on peut réellement comprendre l’intérêt de chaque morceau. 
 
Après avoir visités des contrées bigarrées, "SpectreLight" revient à l’essence même du groupe sur un tempo ravageur et met tout le monde d’accord. "Bedazzled Fingernails" mélange urgence, changement de tempo, travail de voix, et riffs de guitares complexes. Enfin "The Sparrow" met fin au voyage en douceur dans une ambiance progressive.
Que pouvait-on espérer de Mastodon après Crack the Sky ? Mon avis est que la réponse se trouve dans The Hunter. A mon sens, plus de la trempe de Blood Mountain, cet album ose, rend le propos de Mastodon parfois plus accessible sans galvauder la richesse musicale qu’ils ont toujours pris soin de garantir. Ils sont rares ces groupes qui cherchent à se renouveler, parfois l’intention ne suffit pas, mais ces 5 là connaissent leur affaire et savent comment rendre un propos cohérent tout en évoluant. 
 
Kadaf (09/10)
 
Roadrunner / 2011
 
Tracklist :
1. Black tongue 2. Curl of the burn 3. Blasteroïd 4. Stargasm 5. Octopus has no friends 6. All the heavy lifting 7. The hunter 8. Dry bone valley 9. Thickening 10. Creature lives 11.Spectrelight 12. Bedazzled fingernails 13. The sparrow