Avant même que je n'attaque la chronique de l'album on m'avait dit d'un ton prophétique : « Non mais tu sais, de toute façon quoique tu dises, personne ne va être d'accord ». Le problème c'est que sur ce coup, je ne suis même pas d'accord avec moi même. Enfin, pas d'accord avec mon double maléfique. Celui qui squatte ma tête et se manifeste dès que je baisse la garde. Avant d'en dire plus, un petit tour d'horizon s'impose.

Avec Redefining Darkness, Shining passe à une autre étape. La numérotation des albums est abandonnée, la pochette marque radicalement une rupture, simple, épurée. Et pourtant dès que le disque commence, on est replongé dans les premiers opus du groupe. Une batterie qui martèle le crâne sur un bord de trottoir, un riff agressif, un chant brutal. C'est hostile, c'est sombre, avec toutefois des passages où le chant clair introduit une atmosphère plus mélancolique, plus posée.  Une synthèse entre le Shining d'avant et celui de maintenant, ou un gros doigt d'honneur de Kvarforth aux fans ayatollahs qui se se bornent à refuser toute bousculade dans leurs habitudes. À vous de voir. Mais comment cela va-t-il tourner ? « The Ghastly Silence » apporte peut être un début de réponse. C'est l'un des rares points sur lequel mon double et moi-même sommes d'accord, c'est l'une des meilleures chansons de l'album. Avis totalement subjectif que vous ne partagerez pas. Une atmosphère vraiment particulière se dégage de cette chanson, qui allie parfaitement les moments durs et vifs avec des parties beaucoup plus aériennes et désarmantes. Un chant clair placé à merveille : « The ghastly silence spoke to me, cannot see, cannot cry and cannot smile…  ». Comme une petite voix dans un coin de ta tête. Cette chanson est pour nous le parfait exemple de la schizophrénie de l'album. Redefining Darkness est en permanence poussé par deux pulsions. L'une vers la lumière, l'autres vers la pénombre. La première est un désir de monter vers l'infini. L'autre une animalité, une joie de descendre. Et ce flux est juste ingérable. C'est comme si on essayait de saisir une bulle de savon, à peine capturée, déjà éclatée. La construction de l'album me pose un véritable problème. Parce qu'elle dérange. Parce qu'elle remplit peut être trop bien son rôle. Redefining Darkness est vraiment difficile d'accès. Les contrastes violents tranchent au cutter des sillons dans la peau. La diversité de l'album est une des clés. Mais paradoxalement, tout semble plus maîtrisé qu'avant. C'est le point sur lequel mon double et moi somme en désaccord. Moi je suis perdu. Lui se marre, regard en coin, sourire aux lèvres, et jubile.

Il ne s'agit pas de souligner la noirceur de l'album en forçant le trait sur les passages doux, mélodiques, non c'est plus pernicieux. On ne sait pas vraiment à quoi s'en tenir. Bienvenu dans un esprit torturé. Heureusement, « De Stora Gra » fait office d'interlude, au piano, lors des premières écoutes j'étais sceptique quant à l'utilité d'un tel morceau. Mais en fait, dès que la corde est passée autour du cou, c'est salutaire.

« For The God Below » conclut l'album magistralement, probablement le second morceau qui nous parle le plus. Le chant est encore une fois totalement maîtrisé, comme sur tout l'album, entre accès de rage et folie douce. Le tout servi par une composition vraiment très travaillée.
Niklas joue à merveille sur les ambiances ; que l'on approuve ou pas, c'est objectivement indéniable. Certes, c'était déjà le cas par le passé, mais j'ai l'impression d'être face à quelque chose de nouveau. Et c'est peut être ça aussi qui me surprend, je ne m'attendais pas à ressortir le rasoir. Les contours de la pénombre ont été retravaillés, mais le malaise est toujours permanent.

Comme je le disais sur cette chronique on était deux. Moi et Moi. Je suis tiraillé ; l'album me semble vraiment déroutant, alors que c'est peut-être ce qui fait toute sa substance. Il n'y a pas vraiment de clichés qui donnent envie de se flinguer, là tout de suite, tout est plus vicieux. Mon double me dit  que c'est le meilleur album depuis V – Halmstad, moi je ne sais pas. Vous n'allez pas être d'accord de toute façon. Ce qui est certain, c'est qu'une fois qu'on rentre dans le labyrinthe, en trouver la sortie est une galère. À moins de tailler les haies à la tronçonneuse en déclarant que « c'est de la merde », ce que certains ne manqueront pas de faire, je pense. Il n'y a pas de blanc ou de noir, on est dans une subtile nuance de gris. Alors pour la note, on fait comment nous hein ? En fait, l'album est objectivement suffisamment bon pour prétendre à un 8. Selon celui qui s'exprime dans ma tête, la différence est de plus ou moins un point. On est face à un putain  d'album, c'est le principal.

Ymishima (8/10)

Facebook

Spinefarm Records / 2012

Tracklist (41:01) 1. Du, Mitt Konstverk 2. The Ghastly Silence 3. Han Som Hatar Människan 4. Hail Darkness Hail 5. Det Stora Grå 6. For the God Below