On pensait Yes mourrant, l'âge des musiciens avançant plus que jamais, et le groupe  s'avérant réduit à évincer Jon Anderson dans des circonstances peu claires, pour lui substituer (à la manière de Judas Priest il y a une vingtaine d'années), Benoit David, chanteur d'un tribute band dédié à la musique des dinosaures du progressif. Et puis Rick Wakeman avait depuis longtemps pris ses cliques et ses claques, arguant d'un âge de plus en plus marqué (!), au profit de son fils, Oliver Wakeman qui n'en demandait sans doute pas tant. Malgré ces bouleversements, nous pouvions suivre et comprendre ce qui arrivait à Yes depuis deux-trois ans. Or, nous n'étions pourtant pas au bout de nos surprises car, au cours de la confection de ce nouveau album, dix ans après Magnification, on a pu apprendre que le groupe s'était reformé autour de quasiment l'essentiel du line up du malaimé Drama (1980). Diantre !

Le retour des grands anciens

Revoici donc Geoff Downes, que l'on pensait complètement absorbé par Asia, de retour au bercail, prenant la place aux claviers d'un Oliver Wakeman sans doute fort mécontent du procédé. S'il n'était pas question que son compère des Buggles, Trevor Horn, remplace pour autant Benoit David, le chanteur-producteur a pris en charge la production (tout bonnement excellente), mais aussi certaines parties de clavier. Il a amené, en outre, dans sa besace quelques chansons et pas n'importe lesquelles d'ailleurs… C'est sans doute pour réconforter des fans décontenancés que le groupe a encore fait appel à Roger Dean pour une couverture qui fait partie de ses meilleures réussites, bien que je la trouve, sur certains points, un peu trop « sage ».

La pièce de résistance de ce Fly From Here est constituée d'une longue pièce éponyme de Downes et Horn datant de Drama et qui n'avait été interprétée qu'en live, et encore de manière incomplète. Juger ce « Fly From Here », c'est quasiment juger la moitié du disque et en fait presque l'ensemble de ce dernier tant l'on connaît le poids décisif des morceaux longs dans la discographie de Yes. Je m'efforcerai d'être prudent donc.

Assurément, cette chanson méritait d'être dépoussiérée, ne serait-ce que pour l'« Overture » qui la lance et pour son thème principal qui reviendra souvent. Benoit David y chante très bien, s'inscrivant dans la lignée évidente de Jon Anderson, mais en évitant certains tics de son fameux prédécesseur, qui s'avéraient avec le temps pénibles. Constatons qu'il participe de l'ambiance assez enchanteresse dégagée par un morceau construit autours de nombreux choeurs et de refrains raffinés (« Madman At The Screns »). Je reste toutefois dubitatif devant la faible complexité globale et le peu d'ambition instrumentale affichée : nous sommes très loin de « Gates Of Delirium », « Close To The Edge » ou, pour évoquer Drama, de « Machine Messiah ». Le court instrumental « Bumpy Ride » qui se veut une évocation de l'inspiration audacieuse de jadis m'apparaît complètement raté et à la limite du risible. Concluons qu'aujourd'hui le prog' de Yes lorgne plus vers celui d'Asia que vers ses albums les plus ambitieux. Aïe !

Sentiment mitigé pour la seconde partie

Passons à la seconde partie du disque. Elle nous laissera sur un sentiment mitigé encore une fois. Remarquons qu'on retrouve de nouveau Downes et Horn à la composition pour un « Living On A Film Set » au refrain très agréable bien que les méchantes langues constateront qu'on lorgne vers un progressif assez apaisé – toujours à la Asia –, et ce malgré un break d'excellente tenue qui nous rappelle plutôt la meilleure époque de Fragile et de Close To The Edge. Chris Squire a amené, lui, une semi-ballade, « The Man You Always Wanted Me To Be », qu'il chante avec le résultat, prévisible, d'évoquer autre chose que du Yes classique.

Steve Howe renoue avec la tradition avec un gentil instrumental acoustique, plaisant mais en rien novateur (« Solitaire »), mais on s'intéressera surtout au très réussi « Hour Of Need », une chanson assez légère sur laquelle le chant haut perché de David se montre parfaitement à la hauteur des nombreuses subtilités guitaristiques de Howe. L'ensemble est toutefois assez court (pas plus de trois minutes) et il faudra acheter la version japonaise du disque pour profiter de la version de plus de six minutes. Rarement l'arnaque fut-elle portée aussi loin !

Cela suggère toutefois que l'inspiration du groupe devait être assez sèche au point de n'avoir aucun titre en surplus pour un disque n'atteignant pas les cinquante minutes, soit bien en-deçà des standards actuels. Le seul vrai banc d'essai qui dévoile ce que vaut le groupe en entier à la composition est donc, au final, le dernier titre de ce Fly From Here : « Into The Storm ». Le morceau est franchement bon et renoue effectivement avec de vraies ambitions progressives, malgré un format plus ramassé que jadis. Il augure donc un successeur à ce Fly From Here qui nous laisserait cette fois un sentiment franc et net. D'ici là il faudra se contenter de ce disque assez désarçonnant au final. Mais comme les fans du groupe ont digéré toute sorte de tournants et de rétro-pédalages, ils supporteront bien cette nouvelle bifurcation.

Baptiste (7/10)

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Frontiers / 2011

Tracklist (47:28) : 1. Fly From Here – Overture (1:53) 2. Fly From Here – Pt I – We Can Fly (6:00) 3. Fly From Here – Pt II – Sad Night At The Airfield (6:41) 4. Fly From Here – Pt III – Madman At The Screens (5:16) 5. Fly From Here – Pt IV – Bumpy Ride (2:15) 6. Fly From Here – Pt V – We Can Fly (reprise) (1:44) 7. The Man You Always Wanted Me To Be (5:07) 8. Life On A Film Set (5:01) 9. Hour Of Need (3:07) 10. Solitaire (3:30) 11. Into The Storm (6:54)