Les connaisseurs de Kreator me comprendront quand je dis ici que le groupe allemand vient d'accoucher, qualitativement du successeur d'Extreme Aggression et de Coma Of Souls. Entendons-nous bien : je ne laisse pas sous-entendre ainsi que tout ce qu'a produit Mille Petrozza et les siens entre Coma Of Souls et ce Phantom Antichrist serait à négliger. Bien au contraire. Durant ces vingt ans, Kreator a proposé des albums expérimentaux très intéressants (Renewal que je persiste à aimer, Endorama) ou des disques plus calibrés mais extrêmement bien construits (Violent Revolution et dans une moindre mesure, Enemy of God). Toutefois malgré tout le bien que pouvait en penser mon compère Mister Patate, Hordes Of Chaos témoignait selon moi d'un certain tarissement de l'inspiration, le choix d'un son plus organique et brut étant à mes yeux plus le signe d'une régression que d'une progression. Or, Kreator était jusqu'alors un groupe qui refusait la redite et qui d'une certaine manière progressait grâce à l'expérimentation, même si cela pouvait déplaire à quelques vieux fans nostalgiques de Pleasure To Kill et Endless Pain (1986 et 1985, respectivement).

Après Hordes Of Chaos, j'attendais donc au tournant Kreator espérant que le groupe n'allait pas sombrer dans l'auto-satisfaction et dans une forme de conservatisme, par ailleurs rentable tant la popularité du groupe avait redémarré depuis le retour en force de Violent Revolution (2001). Un indice avait été donné par le groupe : Phantom Antichrist serait plus mélodique, ce qui n'est pas bien difficile étant donné le profil de Hordes Of Chaos. L'illustration de couverture, bien que formellement réussie, ne présageait rien de bon selon moi tant elle restait d'un classicisme évident. Nous étions bien loin de celles de Renewal ou Outcast, à la fois belles et novatrices. 

Accents mélodiques

Et pourtant… dès l'entame de l'introduction mélodique et élégante, dénommée mystérieusement « Mars Mantra », on pouvait sentir un frémissement. « Phantom Antichrist » enfonce aussitôt le clou : voici bien le meilleur Kreator qu'on ait entendu depuis longtemps. Riffs surpuissants, chant habité de Mille et mélodies abondantes et entêtantes ; nous sommes replongés aux meilleurs moments de Coma of Souls et Violent Revolution. Ce titre sera incontestablement un classique des concerts à venir au côté des « Terrible Certainty » et « People Of The Lies ». La suite sera du même allant, l'orientation mélodique s'affirmant à chaque titre. Cette direction musicale n'est certes pas un si grande nouveauté pour qui connaît la carrière du groupe, puisque le mal-aimé Endorama intégrait déjà de nombreux aspects de cette ordre et des parties de chant clair. Mais c'était dans un contexte assez « gothique », très loin de la ligne directrice de Phantom Antichrist. Nonobstant certains qui pensent qu'en ayant recours à Jens Bogren (Opeth, Soilwork) pour produire son nouveau disque, Kreator s'est inspiré de l'école du Death Mélodique scandinave, il faut à mon avis chercher dans les influences musicales de la New Wave of British Heavy Metal qu'a toujours revendiquées Kreator, l'inspiration ici très mélodique du groupe. Nous verrons plus loin quel est l'apport ici de Jens Bogren. 

Mille Petrozza et les siens démontrent sur tous les passages mélodiques – et ils sont nombreux – leur maîtrise musicale. Placer des chœurs à la Accept sur « From Flood Into Fire », un break mélodique et de belles harmonisations de guitare sur « Death To The World », construire un crescendo impressionnant sur « The Few, The Proud, The Broken », lancer des duels de solos sur « Civilsation Collapse », tout ceci est exécuté avec une facilité confondante. On fera remarquer que ces éléments ne sont pas une telle nouveauté pour le groupe et qu'on en trouvait déjà sur Extrême Aggression ou Enemy Of God : c'est vrai. Mais rarement, ils ont été si nombreux, au point de donner une tonalité spécifique à ce Phantom Antichrist. Cette tonalité est liée à une orientation musicale mais aussi à une production. Et celle de Jens Broven est remarquable : à la fois très fine, pour laisser ressortir tous les éléments du disque, mais aussi puissante et surtout chaude, elle se loge parmi les meilleures productions qu'ait connues le combo. Rarement on a tant réussi à allier la dynamique, la force et la mélodie.

Puissance thrash

Habiles et inspirés, les Allemands n'ont pas non plus changé totalement de fusil d'épaule et conservent leur personnalité de leader de la scène thrash européenne. Les passages rapides sont très nombreux et Petrozza a encore dégainé quelques riffs à headbanger à s'en tordre le cou, celui de « Your Heaven, My Hell » étant un des tout meilleurs du groupe. De telle sorte que les éléments thrash et mélodiques s'associent harmonieusement et ne sont pas plaqués l'un sur l'autre. Pour arriver à un tel résultat, il faut être un grand compositeur, ce qui est assurément le cas du leader du groupe, à moins avis aujourd'hui devant la paire de Slayer qui tourne fichtrement en rond. Il faut toutefois citer, pour une fois, Sami Yli-Sirniö dont les parties lead font partie du grand succès de l'album. Son toucher et son vibrato trouvent parfaitement à s'exprimer dans ce cadre musical (« United In Hate » entre autres). Depuis son entrée dans le groupe en remplacement de Tommy Vetterli, il n'avait jamais autant eu d'espace pour se mettre en valeur. Je ne m'attarderai pas sur le batteur Jurgen Reil, toujours aussi exemplaire. Quand recueillera-t-il la considération qui lui revient ?  

Au final, Kreator démontre qu'il est, selon moi, le meilleur groupe de la scène thrash des années 80 encore activité. Non que Megadeth, Exodus ou Death Angel enchaînent les mauvais albums, loin de là. Mais aucun d'eux ne me semble capable de produire un disque du calibre de ce Phantom Antichrist. Le vieux fan que je suis est fier de ses idoles de toujours.

Baptiste (10/10 en toute subjectivité)

 

Site Officiel

Nuclear Blast / 2012

Tracklist (45:22) : 1. Mars Mantra 2. Phantom Antichrist 3. Death To The World 4. From Flood Into Fire 5. Civilisation Collapse 6. United In Hate 7. The Few, The Proud, The Broken 8. Your Heaven, My Hell 9. Victory Will Come 10. Until Our Paths Cross Again