Quelques jours avant la sortie de Now What ?!, nouvel album de Deep Purple, plusieurs webzines sont conviés à une écoute de l’album puis conférence de presse avec Ian Gillan (chant) et Ian Paice (batterie). Les conditions d’écoute sont plus que correctes étant donné les circonstances (une boîte de nuit avec une bonne sono) : ça reste juste pour rédiger une véritable chronique, mais c'est tout à fait correct pour quelques premières impressions à la volée. Disons donc cet album paraît très bon, Deep Purple m’ennuie parfois un peu (les trips instrumentalistes…) mais ici quand ça commençait à me peser ils passaient à autre chose ou la chanson s’arrêtait. Un bon équilibre de styles aussi, avec tantôt du plus jazzy, tantôt du plus énergique, tantôt du plus calme, jamais trop expérimental… au bout du compte, j’ai un peu eu l’impression de vivre une viréée à Las Vegas avec cet album (le jour, la nuit, le départ sur les routes américaines après cette petite escapade,…), mais j’ai l’habitude étrange de facilement visualiser la musique : dans une vraie interview et après des écoutes correctes j'aurais pu rebondir là-dessus, mais là… est-ce que cette impression sera seulement confirmée par une deuxième écoute, dans des conditions plus habituelles ? Enfin, peu importe : il y a quelque chose de très naturel qui se dégage de cet album, dans son son; il est énormément pensé et ça se sent, malgré tout ils ont su laisser la place à quelque chose de très organique. D'où quelque chose de très prometteur, mais « sous réserves ».

Quant à la conférence de presse voici ce qui s’est dit, les questions étaient parfois un peu étranges (sans jeter la pierre à qui que ce soit, il est pratiquement impossible de poser « une bonne question de conférence de presse ») mais comme nous avons à faire à deux Dinosaures de l’exercice, ils rebondissent toujours de manière magnifique : n’hésitez pas à parcourir les réponses même (/surtout) aux questions les plus incongrues, ils sont un peu paternalistes parfois mais on ne saurait leur en vouloir, et surtout quelles pipelettes !
[Mes excuses à mes collègues dont je n’ai pas relevé les noms et/ou les médias, mais… mon enregistrement n’est pas de qualité optimale !]

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Pourquoi la couverture de cet album est-elle si « naturelle  »?
Ian Gillan : Ma foi, ça n’est que des signes de ponctuation ? « Qu’est-ce que tu veux ? », voilà ce que ça veut dire, rien de plus compliqué. Après huit ans, il fallait qu’on fasse un album : [prenant une grosse voix] « Très bien, nous allons faire un album ! Qu’est-ce que tu veux maintenant ?! »

Ian Paice : Pour attirer l’attention des gens, tu peux faire quelque chose de simple, par exemple une photo d’endroits étranges et l’appeler « Le 19.. », mais si tu créées un symbole, quelque chose d’un peu ambigu, les gens vont s’interroger là-dessus, se demander ce que ça veut dire. Et ça créé de l’intérêt dans les médias, comme dans ton cas : c’est comme ça que ça marche ! Ici, ce symbole représentera aussi la prochaine tournée, pendant un ou deux ans, et ce qui paraît étrange aujourd’hui sera devenu tout à fait normal dans un an.

Il s’est passé beaucoup de temps entre la sortie de votre album précédent et celui-ci, alors qu’est-ce qui vous a pris autant de temps ?
Egalement, au sujet de la production, pourquoi avoir choisi de travailler avec Bob Erzin : est-ce que vous cherchiez à avoir une équipe un peu « vintage », pour travailler à l’ancienne, pour avoir un « son d’époque » ?
Ian Gillan : La vitesse à laquelle le temps passe, c’est marrant. Nous avons suivi le courant, en quelque sorte, parce que nous nous faisions tellement plaisir sur les routes : nous ne pensions jamais à faire un nouvel album ! Quelqu’un nous a enfoncé un doigt dans l’œil à un moment, pour nous dire d’entrer en studio. Nous en parlions un peu de temps en temps, évidemment, mais c’était sans arrêt repoussé à l’année suivante… peut-être. Puis Bob est venu nous voir au Canada, en février 2012, et nous avons commencé à parler des éléments nécessaires à un nouvel album. Ça a permis de mettre en lumière certaines choses, qui étaient vraiment intéressantes : comme nous ne soucions pas spécialement d’un nouvel album à ce moment-là, on nous a rappelé la manière avec laquelle nous avions l’habitude de faire des albums, qui revient à suivre la musique, après tout. In Rock (1970), Fireball (1971) et Machine Head (1972) n’avaient que sept chansons chacun, pourtant ils étaient plutôt longs : nous nous sommes rappelés qu’au départ, nous sommes un groupe instrumental. Avec un chanteur évidemment, mais c’est avant tout un groupe instrumental ! Si bien que ce que nous avions l’habitude de faire, c’est de la musique, pas des chansons ! Alors qu’avec le temps, nous nous étions peut-être conformés à cette formule que tout le monde applique à la musique aujourd’hui, avec introduction – quelques vers – un chœur – solo de guitare – solo de clavier – on répète – fin – suivante. Selon moi, être revenus à cette approche plus fraiche, combinée à cette empathie merveilleuse qui est née dans le van entre les membres du groupe avec cette tournée sans fin [ils tournent encore dans un van Deep Purple ? Mmh…]. Parce que ça impose un véritable défi chaque soir, avec les improvisations pour que la musique reste toujours fraiche.

Pour ce qui est de choisir Bob, nous n’avons pas étudié les choses comme ça mais… nous savions qu’il allait donner un bon son à l’album, mais nous ne savions pas à quel point ça allait être bon avant d’aller à Nashville ! J’étais presque en larmes le premier matin quand j’ai entendu le playback [le chant étant généralement la dernière chose enregistrée, on peut supposer qu’il parle de la version « tout est prêt, chante et j’enregistre coco »] tellement c’était magnifique. La manière avec laquelle il avait saisi le son de la guitare ou l’orgue Hammond, qui a toujours été caractéristique de Deep Purple mais à mon sens nous n’avons jamais, jamais réussi à réaliser avec ce que nous aurions dû faire, avant cet album. Au final c’est lui qui a fait tous les choix en ce qui concerne le rendu sonore. Et le fait qu’il soit là pour diriger notre passion, notre professionnalisme, notre créativité… d’autant plus qu’il avait tout notre respect, du fait de son passé en tant que musicien aussi, c’est un très bon musicien qui a tout produit, depuis la musique classique jusqu’au jazz, des trucs pop, des trucs rock comme Queen. En plus de tout ça, il a agi comme un véritable catalyseur, spirituel au moins, ça représente beaucoup.
Si bien que quand je l’ai amené à la maison pour écouter le son, j’étais absolument soufflé. Je ne peux pas dire grand-chose sur la musique parce que c’est trop subjectif, mais je peux être objectif au sujet du son et je pense qu’il est fantastique.

Ian Paice : Ce qu’il faut savoir avec Bob, c’est qu’il apporte vraiment quelque chose de sérieux et de constructif quand vous êtes en studio. Il cherche à saisir l’instant, l’excitation, l’innovation mais sans la difficulté de la création. Si tu ne laisses pas les chansons aller là où elles veulent, tu arrêtes de créer, de recréer. Il faut se souvenir qu’une chanson peut ne pas être parfaite mais elle n’a aucun sentiment, aucune imagination, aucun « feu ». C’est pour ça qu’il faut se souvenir de ce que doit être chaque titre, ce à quoi il doit mener. C’est ça qu’on appelle un « son classique ». En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais arrêté d’enregistrer : il y avait quatre types en studio, ensemble, en train d’enregistrer pour que le chanteur ajoute sa voix après. Bob, grâce au génie de la technologie moderne, a saisi ça, cet ensemble ; c’est très difficile, ça change la manière avec laquelle on enregistrer le son ! Mais au final, c’est comme ça que la musique doit être. Et vous pouvez l’entendre, ça créé cette connexion avec l’instrument.


Il y a une chanson dont le titre est en français sur cet album, « Après-vous » : pourquoi ce choix ?
Ian Gillan : C’est une longue histoire. J’étais avec d’autres musiciens sur une tournée intitulée « Rock Meets Classic » en janvier 2012, avec Steve Lukather notamment. A la fin de la soirée, tous les musiciens sont venus sur scène et nous avons joué « Smoke On The Water » pour le rappel. Steve était censé jouer l’introduction, mais au moment où nous allions commencer tout le public s’est levé et a couru vers la scène et l’une d’elle… Je suis désolé mais je dois décrire cette personne ! Vous savez ce qu’est un « … » ? [je ne comprends pas le mot, mais Ian Paice mime quelque chose de très valloné, à l’horizontale et visiblement pour des terres en général… mais pas là, donc.] Eh bien c’était une femme « vallonnée ». Elle était habillée de manière très excentrique, avec du cuir et on voyait beaucoup de peau. Elle avait une chevelure épaisse, des lèvres énormes avec du rouge à lèvres, des yeux étincelants… on avait l’impression qu’elle voulait nous dévorer, nous manger, j’en suis sûr. J’ai eu un mouvement de recul et je me suis penché vers Steve, qui commençait l’introduction de « Smoke On The Water » pour lui dire à l’oreille : « tu l’as vue en premier, mon gars ! »

Ian Paice : « Après toi » [en français]

Ian Gillan : « Après vous » [en français]. Et ça a intégré la liste des expressions françaises que nous utilisons régulièrement, pour plaisanter. Les gens ne le savent peut-être pas mais nous utilisons beaucoup d’expressions françaises.

Ian Paice : Nous volons beaucoup votre langue !

Ian Gillan : Cette histoire a servi de déclencheur, ça a inspiré l’histoire de deux types qui sortent la nuit et, comme je le sais d’expérience, les gens ne sont plus si doux après quelques verres : au final, cette chanson réunit plusieurs expériences que l’on a pu avoir en tournée, avec celle-ci comme déclencheur.

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Comment s’est passé l’enregistrement à Nashville, est-ce que ça a apporté quelque chose de particulier à l’album ?
Ian Gillan : La température était de 110°F la plupart du temps.

Ian Paice : 43°C.

Ian Gillan : C’est vraiment une ville de musique. Dès le début, quand nous sommes arrivés dans ce complexe qui ressemblait à une grande usine, un hangar, mais avec des salles qui faisaient à peine la taille d’une chambre d’hôtel. C’était fantastique, il y avait des musiciens derrière chaque porte, des gens qui passaient des auditions, qui écrivaient des chansons, qui répétaient, toutes sortes de musiques. L’inspiration transpire dans toute la ville, avec les clubs, les bars, les studios d’enregistrement, des maisons d’édition… tout le monde là-bas est plus ou moins impliqué dans la musique. Bob Erzin, notre producteur, vit à Nashville, les ingénieurs du son que nous avons utilisés ont été formés par Bob Erzin, le studio était absolument parfait pour l’acoustique et la production. Nous avons juste fourni notre travail, puisque tout nous était tellement facilité. Cette ville n’est plus seulement consacrée à la musique country, il y a vraiment -tout- là-bas.

Ian Paice : New York et Los Angeles ne font plus partie de cette industrie. Toute personne qui fait quelque chose aux Etats-Unis va à Nashville. Parce qu’ils ont les meilleurs musiciens, les meilleurs locaux, les meilleurs studios c’est certain. Alors avec en plus des gens comme Bob qui vivent là-bas… c’est l’endroit où il faut être, nous avons vraiment aimé notre passage là-bas. Si nous décidons de refaire un album dans les années qui viennent, nous y retournerons surement.


Vous avez plus d’un milliard de fans sur votre page Facebook : est-ce c’est un bon moyen pour communiquer et avoir un retour des fans, selon vous ?
Ian Gillan : C’est un changement fantastique, dans le fonctionnement des choses. Quand nous étions gamins, nous avons appris une certaine vision de la musique, suivant laquelle on faisait de la musique depuis de très nombreuses années ; pas seulement pour la promotion mais aussi l’aspect « physique » du son. Nous avions appris des choses sur le marketing, la promotion et la production. Mais ça a changé, tout a changé. Tu continues à faire de la musique, tu attires toujours des gens et on continue à prendre ta photo, mais le média a complètement changé, et le contact que l’on a avec les gens avec. Ca a des bons côtés et des mauvais côtés.

Dans les mauvais côtés par exemple, nous n’avons pas pu jouer une seule de nos nouvelles chansons en Australie quand nous y avons tourné il y a quelques mois, ou à Singapour, ou en Nouvelle-Zélande. Nous en mourions d’envie, mais nous ne pouvions pas, sinon cinq minutes après ça se serait retrouvé sur Youtube. D’un autre côté, ça permet de fournir des informations de manière plus personnelle, c’est une bonne chose.

Ian Paice : Dans un moment d’ébriété, je me suis inscrit sur Facebook. Il devait être deux heures du matin… et j’aurais mieux fait d’être mis sous les verrous à ce moment-là. J’ai trouvé que cette invitation sur Facebook que je venais de recevoir était une bonne idée ! Le lendemain matin, c’était un enfer, quelque chose comme 3 000 demandes, et à la fin de la journée il y avait eu peut-être 25 000 vues. Dans cette situation… qu’est-ce qu’on peut faire ? Il faut quitter Facebook, c’est impossible : j’ai demandé à un de mes amis de me sortir de là, c’était vraiment effrayant.


A propos de la chanson « Vincent Price » sur votre dernier album, est-ce qu’il y a une histoire derrière ?
Ian Gillan : Oh oui. Il y a toujours une histoire ! « Vincent Price » était le nom de travail pour cette chanson, parce que ça avait quelque chose d’effrayant, ça aurait pu être le titre d’une chanson pour un film d’horreur. Nous connaissions Vincent Price [acteur américain, mort en 1993, surtout connu pour ses rôles dans des films d’horreur à la fin de sa carrière], nous avons tous travaillé avec lui à un moment donné. Bob a travaillé pour lui comme producteur, j’ai travaillé avec lui, Roger Glover aussi. Nous connaissons sa voix, son caractère, sa personnalité, qui était très différente de celle que vous voyez à l’écran. Quoi qu’il en soit : Roger est venu me voir dans mon petit studio au Portugal avec ce titre, Vincent Price, et entre deux bières et une tête dans l’eau nous nous asseyions pour travailler un peu. Il m’a proposé d’imaginer que je faisais un film d’horreur avec Vincent Price dans les années 60 : je serais le metteur en scène, mais quels seraient les ingrédients que je souhaiterais voir dans ce film ? On a noté tout ça sur un papier : des portes qui grincent, des chaines que l’on secoue, des vampires, des chiens qui hurlent, des femmes nues, du tonnerre et des éclairs, des zombies et… attends une seconde, voilà, c’est bon ! On a de quoi faire une chanson avec ça ! En fait, cette chanson est avant tout la liste des ingrédients que le metteur en scène voudrait mettre dans le film, et cette idée selon laquelle tout gamin adore être effrayé, même quand on est petit. On n’aime pas avoir peur, mais d’une certaine manière on aime bien ça, quand même.


Deep Purple est aujourd’hui un des groupes les plus anciens encore actifs : d’autres plus jeunes que vous sont partis en retraite mais pas vous. Quel est votre secret ?
Ian Paice : Eh bien, nous avons commencé à faire ça quand nous étions adolescents, et nous faisions ça parce que nous aimions ça. Ca n’était pas « notre travail », nous nous faisions plaisir. Et même aujourd’hui quand nous montons sur scène nous nous faisons plaisir. Le public est devenu plus grand, il se trouve que nous en vivons, mais nous arrivons encore à monter sur scène et être des gamins de 15 ans cinq soirs par semaine. C’est fantastique, comme si nous avions deux vies : la réalité et la scène pour s’amuser. Et en plus on nous paie pour ça ! Pourquoi arrêter ça ? Pourquoi partir en retraite ?

Ian Gillan : Et puis c’est un défi. Chaque soir est différent, il y a toujours quelque chose de nouveau. Pas seulement du fait du public ou de la salle, mais ce que l’on joue, ça change tous les soirs. Les chansons peuvent être les mêmes, à deux ou trois changements près peut-être mais globalement ça ne change pas beaucoup sur une même tournée. Par exemple quelqu’un qui nous avait vus à Francfort et à Hambourg, où nous avions joué les mêmes chansons, nous demandait pourquoi nous n’avions pas changé ne serait-ce qu’une chanson. Mais à Francfort le concert avait duré 1h45, à Hambourg 2h15 ! C’était les mêmes chansons, mais à Hambourg il y a eu plus d’improvisation. Ca me donne des frissons, à cause de l’excitation, à chaque fois que l’on commence à improviser devant un public… aussi longtemps que ça dure !


Maintenant que Deep Purple est une référence, que vous êtes toujours mentionnés comme des pionniers, avez-vous le sentiment que, du fait de ce statut, les critiques sont, disons partiaux vis-à-vis de vous, qu’il faut [encore plus] vous justifier et justifier votre musique à chaque fois que vous sortez un album ?
Ian Paice : Ma foi, ils peuvent être aussi partiaux qu’ils le veulent ! Par rapport à ça, nous ne pouvons rien faire. Tout ce que je sais, c’est que s’ils écoutent l’album ils sont incroyablement intelligents, et s’ils ne l’écoutent pas ce sont des abrutis finis !

Ian Gillan : J’avais un entretien avec quelqu’un un peu plus tôt aujourd’hui où on m’a posé une question similaire, et aussi s’il y avait une différence par rapport aux années 60 ou 70. Je lui ai fait remarquer que les journalistes de 1969 me posaient exactement les mêmes questions que celles que j’entends aujourd’hui. Alors peut-être qu’ils devraient penser à des choses originales à dire ? De manière générale, nous avons une bonne relation avec les critiques, je pense que c’est parce qu’ils comprennent que la seule chose qui nous motive c’est d’essayer de faire de notre mieux et de nous amuser. Il n’y a pas vraiment de visée commerciale ou quoi que ce soit de ce genre, nous n’avons même jamais été très bons dans le côté commercial de tout ça. Nous n’avons jamais eu d’attaché de presse par exemple, même aujourd’hui. On nous aide, énormément, sur des projets précis comme les tournées, mais nous n’avons personne pour s’occuper de ça au quotidien, des organismes extérieurs s’occupent de ça. Même en ce qui concerne les motivations pour faire un nouvel album, nous n’avons pas pensé une seule fois aux critiques quand nous avons réalisé cet album, c’est la dernière chose que nous souhaitons. Personne n’arrive dans le studio avec un plan en tête, tout part de zéro. Nous commençons à midi tous les jours et finissons à six heures, nous jouons, nous improvisons chaque jour et après deux ou trois jours une idée émerge : nous la mettons de côté pour la développer, et ça devient une chanson. La musique vient en premier, toujours, les paroles suivent. Ce qui est plutôt inhabituel d’ailleurs [pas si sûr d’après nos entretiens passés avec d’autres musiciens, mais passons].

Malgré tout, une certaine frange de « journalistes », si vous voulez les appeler comme ça, sera toujours contre ce qu’ils considèreront comme non parfaitement tendance, ou ne correspondant pas à l’époque. Mais le truc avec la mode, à mon sens du moins, est que si vous êtes à la mode aujourd’hui vous ne le serez plus demain. C’est pour ça qu’il vaut beaucoup mieux rester fidèle à ce que l’on croit et agir avec conviction et passion. Si ça se trouve vous serez dans ou en dehors de la mode : si vous êtes à la mode très bien, sinon vivez heureux.

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On dit souvent que les fans préfèrent entendre les vieilles chansons sur scène, mais à voir vos set-lists ça n’est pas forcément le cas des fans de Deep Purple ?
Ian Paice : Il suffit de mélanger les deux ? Nous comprenons bien que ces chansons populaires et à succès qui sont dans les esprits depuis longtemps doivent être jouées. Si nous ne les jouons pas, le public sera mécontent, alors que si tu vas à un concert tu veux rentrer chez toi heureux. Mais il y a quand même de l’espace pour mettre des chansons nouvelles ou moins connues. Par contre, il ne faut pas mettre toutes les chansons nouvelles ensemble, c’est déloyal envers les nouvelles chansons et assez diabolique pour le public : s’il y a trois ou quatre chansons nouvelles, il faut les entourer avec leurs frères et sœurs plus connus. Grâce à ça elles auront une bonne chance d’être écoutées par le public, qui sera encore dans cet état d’esprit heureux, dans lequel il veut être en concert. On fait comme ça : on essaie de mélanger l’ancien avec le nouveau et le moins connu. Mais jamais nous ne monterions sur scène pour jouer la totalité du nouvel album, avant que les gens ne sachent même à quoi il ressemble ! Ca ne serait vraiment pas aimable envers les nouvelles chansons. Elles ont besoin d’être entourées de  leurs grands-frères.

Ian Gillan : Nous construisons des concerts et des programmes de spectacle depuis longtemps maintenant, et cette question revient souvent. Nous nous posons la même question nous-mêmes ! Mais petit à petit, on développe des techniques qui ne s’appliqueront pas seulement à une seule chanson ou projet. Déjà, il faut que le spectacle ait un certain équilibre, que ça soit fluide [en faisant des mouvements de vagues avec sa main, avec leurs hauts et leurs bas]. Ensuite il faut le séparer en plusieurs parties. Parfois certains passages demandent plus d’implication aussi, cérébrale je veux dire, alors qu’à d’autres moments il faut se lâcher, ça sera plus physique. A la fin aussi on a envie de se libérer, jusqu’à construire l’apogée. Il faut malgré tout mettre des mini-apogées tout au long du concert. A la fin des années 60 et au début des années 70, j’invitais le public à s’asseoir pendant que nous faisions un peu de blues, en improvisant, ça pouvait durer 15 ou 20 minutes, après je leur demandais de se relever puisque nous allions repasser à du rock’n’roll. Et la plupart du temps ils le faisaient, sauf s’ils s’étaient déjà endormis sur le sol évidemment ! On finit toujours par se souvenir de ces petites techniques pour construire un spectacle, c’est nécessaire, ça ne tombera pas du ciel. Pour les chansons plus récentes c’est même nécessaire pour survivre au milieu des trucs plus anciens.

Il y a quatre éléments dans un concert de Deep Purple : le vieux, le nouveau, le peu connu, l’improvisation. C’est une vieille formule, ça fait longtemps qu’elle marche pour nous. Mais chaque album présente ses propres difficultés. Si tu sors un nouvel album et que tu essaies de l’inclure dans un spectacle qui tourne depuis un moment sans que rien n’ait été changé, il est très probable que les anciens titres vont représenter un problème pour les nouveaux : ça peut amener à tout changer. Chaque nouvel album représente un nouveau défi, mais en général on s’en sort. Au départ, nous allons commencer par faire quatre ou cinq chansons de ce nouvel album, et après un mois ou deux nous verrons lesquelles sont des candidates naturelles pour rester dans le spectacle principal et lesquelles il vaut mieux laisser sur l’album, dans leur version studio. Parce que certaines ne marchent pas, et on ne le sait jamais vraiment à l’avance ! Elles peuvent donner quelque chose de correct dans la salle de répétition, mais face à un public, à son électricité, on sent que ça ne prend pas. Ou peut-être qu’elles sont mal placées dans la liste ? Peu importe. En tout cas il faut essayer et voir ce que ça donne.


Ces sept dernières années, vous avez joué près de soixante concerts en France : avez-vous une relation si spéciale avec le public français ? [et trois sont déjà annoncés d’ici la fin de l’année… et nous ne sommes qu’en avril : ils nous aiment !]
Ian Gillan : Je ne sais pas ce qui s’est passé, je crois que ça a commencé avec un concert à Marseille ou quelque part dans le sud. Nous avons fait quelques concerts et tout à coup sur site Internet j’ai reçu des centaines et des centaines de lettres ? De gamins qui avaient 16 ou 17 ans et qui me parlaient de projets à l’école, me posaient des questions et me racontaient des choses au sujet de Deep Purple… c’était bouleversant. Ca s’est répandu, je crois que l’on appelle ça « viral » dans le monde moderne. Quoi qu’il en soit ça s’est propagé, et tout à coup il y avait une demande énorme pour nous en France ? Et naturellement, quand on nous invite, nous ne refusons jamais une invitation ! Je ne sais pas combien de temps nous serons bienvenus, mais nous espérons que ça sera long, parce que nous aimons beaucoup être ici.

Ian Paice : Pendant de nombreuses années, la France était un très petit marché pour nous. Une tournée en France se résumait à trois ou quatre concerts : Paris, quelque part dans le nord, quelque part dans l’ouest et quelque part dans le sud [« la France » étant très pari(go)-centriste, culturellement parlant entre autres, on considère ça comme une « grosse » tournée de la part d’un artiste international en France, en fait, mon bon Ian… mais c’est gentil de considérer que c’était « petit », à savoir que la France peut être plus vaste que ça, même pour un groupe de rock !] Nous avons vraiment travaillé pour essayer de marcher ici avant, mais ça n’était pas… le bon moment peut-être ? En tout cas nous n’avons pas changé, c’est vous qui avez changé, et nous en sommes ravis ! Vous avez trouvé quelque chose que vous appréciez dans ce que nous faisons, et c’est vraiment agréable de venir dans votre pays, qui est grand, et de jouer dans toutes ces villes géniales. Parce que vous avez vraiment de la chance d’avoir autant de bonnes salles, aussi ! Beaucoup de petites villes ont un Zénith, ces salles qui ne sont pas trop grandes, ça peut rester intime, mais c’est assez grand pour créer un évènement, pour une nuit. Et c’est vraiment agréable de venir ici et de couvrir le pays correctement. Nous nous faisons vraiment plaisir avec ça, et nous vous remercions d’avoir découvert que vous nous appréciez.

Ian Gillan : Oui, je tiens à appuyer ce que Ian vient de dire. Vous avez vraiment en France le meilleur réseau de salles populaires en province, avec des salles systématiquement bonnes, par rapport à n’importe où dans le monde. C’est incroyable. Chaque ville a une salle de trois ou quatre mille personnes, un complexe qui servira entre autres pour des concerts. Nous n’avons rien de ce genre en Angleterre, absolument rien. En Allemagne ils ont de bonnes salles quand on cherche du haut de gamme, mais dans les petites villes de province ça sera plutôt de vieilles salles des fêtes, des choses comme ça. C’est vraiment impressionnant, cette infrastructure, le réseau social qui a permis de mettre en place ces salles fantastiques. Grâce à ça c’est vraiment un plaisir de tourner ici.


-Traduction de Polochon, questions de divers webzines, photos officielles librement adaptées.-