couv_2933On ne saurait trop dire que la biographie de Deep Purple par Jean-Sylvain Cabot, intitulée Deep Purple. Rhapsody in Rock et parue chez l'éditeur Le Mot et le reste, est bienvenue. D'abord, car c'est la première en français : le groupe d'Ian Gillan et Roger Glover n'avait jamais fait l'objet d'une biographie dans la langue de Molière alors que celles de Led Zeppelin ou Black Sabbath (pour évoquer des groupes au profil proche) ne manquent pas. Mais aussi car il y a toujours une actualité de Deep Purple, qui a repris la route après avoir sorti un excellent dernier album, Now What ?!. Donc l'accueil ne peut être que bon. 

Il sera d'autant meilleur que l'ouvrage est de qualité. Jean-Sylvain Cabot est un ancien journaliste de Rock 'n' Folk dans les années 80, mais aussi l'auteur de deux ouvrages chez le même éditeur sur les plus importants disques du métal et du hard rock. Il connaît son affaire et tout particulièrement le hard rock et le heavy metal des années 70. Cela donne une biographie très maîtrisée, ne négligeant aucune des périodes du groupe, notamment l'époque du Mark I, qu'il réhabilite d'une certaine manière, à travers une analyse fouillée et empathique que l'on retrouve dans la partie « discographie » du livre. De même, on lira avec intérêt l'explication du rôle important du fameux Concerto For Group And Orchestra (1970) dont Cabot fait remarquer le caractère plus qu'honorable d'un point de vue musical et le succès, notamment en terme d'écho médiatique, de l'album pour le groupe. 

Saisir l'esprit d'un groupe et son itinéraire musical

Au delà de la simple érudition et de la qualité de la langue de Cabot, on remarquera une capacité à saisir l'esprit d'un groupe et la dynamique musicale globale du Deep Purple des années 60 et 70. Cette dynamique est une dynamique marquée par les scansions, les tensions, les ruptures, les crises et les redémarrages. Et ce, à un rythme très soutenu. Les line-up Mark I, II, III et IV se succèdent en l'espace de huit ans, les musiciens vont et viennent, l'apogée succédant au marasme et donnant souvent lieu à des explosions de rancœur voyant l'éviction de Rod Evans puis de Roger Glover et de Gillan, le départ volontaire de Blackmore pour finir dans le split décidé par Lord et Coverdale après un concert catastrophique du Mark IV à Liverpool en 1976.

Il est assez stupéfiant de constater qu'une dynamique presque auto-destructrice ait pu accoucher d'une telle créativité, débouchant sur, au moins, trois albums essentiels : In Rock (1970), Machine Head (1972) et Burn (1974). Albums auxquels on pourrait d'ailleurs rajouter Stormbringer (1974) et Come Taste The band (1976), que Cabot louange avec beaucoup d'à propos. Plus généralement le Mark III et IV du groupe plaisent particulièrement à Cabot, qui n'est pas loin de penser qu'il s'agit des meilleurs moments du groupe (une idée qui se défend tout à fait).

Réhabilitations

Au registre des réhabilitations, on lira avec plaisir les lignes sur le malaimé Slave and Masters (1990), qui était le disque préféré de la reformation par Blackmore, un point sur lequel l'auteur s'accorde presque avec le guitariste. De même, l'époque Steve Morse est bien présentée et l'analyse sur le fameux Perpendicular (1996) très judicieuse.

Il est dommageable que quelque coquilles parsèment la deuxième partie du livre, Cabot s'obstinant à vouloir faire de « Knockin' At Your Back Door » le single de Perfect Strangers (1984) et de House Of The Blue Light (1986). Cela ne serait pas bien grave si l'époque des années 80 ne faisait l'objet des négligences de Jean-Sylvain Cabot, qui ne semble pas apprécier généralement cette période. D'où des imprécisions dommageables : Perfect Strangers n'est en rien un disque teinté d'AOR (p. 211), mais plutôt un disque très (trop) classique du groupe. C'est le disque suivant qui verra le groupe verser dans cette direction. 

De quoi sursauter

C'est surtout le point de vue de Cabot sur Machine Head qui fera sursauter. L'auteur en fait un disque totalement surestimé, et ce non pour choquer (p. 186), mais avec des arguments qui se veulent solides. Au delà de la question des goûts personnels – qui font dire à Cabot que « Never Before » est « médiocre » –, il y a l'argument clé avancé : le succès de Machine Head est en fait rétroactif. Il serait dû tout d'abord aux qualités du live de la tournée, le fameux Made In Japan, qualités qui auraient été indûment étendues au disque studio. Par ailleurs, la réputation du disque aurait été aussi construite à partir de « Smoke On The Water », une chanson qui déplaît à l'auteur, qui la réduit injustement à son légendaire riff.

À mon avis les raisons de la notoriété du disque sont ailleurs. Si les années 70 raffolaient des lives notamment dans leurs aspects les plus outranciers, il est aujourd'hui bien plus facile d'aborder par exemple « Space Truckin' » à partir de Machine Head que par Made In Japan (sur lequel il totalise presque 20 minutes). De même pour « Lazy » ou « Smoke On The Water ». Car certains gimmicks du live n'ont pas survécu aux années 80. Par ailleurs la qualité de la production de Martin Birch, injustement décriée par Cabot, rend tout à fait justice au disque, quarante ans après sa sortie. Les remixes de 1997 de Roger Glover, contestés du fait des changements des solos de Blackmore notamment, parachèvent cette mise à jour. Jean-Syvlain Cabot, qui est né en 1955, est d'une génération musicale où Get Yer Ya Ya's Out ou Live At Leeds étaient plus prestigieux que les disques studio des Rolling Stones ou des Who. Les choses ont changé.    

Live et studio

Au final, Cabot insiste beaucoup sur l'importance de la qualité des live du Pourpre profond qui en ferait un groupe de scène plus que de studio : « il est regrettable, par exemple, que dans sa formation la plus célèbre principalement, Deep Purple ait sacrifié les disques studios aux prestations en public, en ne voyant dans chaque album qu'une manière de renouveler son répertoire scénique et n'ait pas démontré d'avantage d'ambition ». Il me semble que de nombreuses analyses détaillées de disque proposées par Cabot lui-même vont à l'encontre de cette remarque qui pêche par une généralisation hâtive à partir de quatre albums (car le Mark II des années 70 n'a enregistré que quatre disques, dont le dernier dans la douleur). 

Par ailleurs, cette sentence introduit la suggestion suivante de l'auteur : 

« Il leur aura peut-être manqué, finalement, un leader qui ne soit pas “seulement” un guitariste et un showman remarquable mais aussi un compositeur émérite, un producteur et un homme de studio comme Jimmy Page ».

Au delà de la comparaison somme toute convenue entre les deux groupes – que je ne chercherai pas à discuter en tant que telle –, il y a ici une conception des éléments qu'il faudrait assembler pour arriver au meilleur résultat musical : un homme, une direction, un travail en studio, etc. Cabot se fourvoie là. Les recettes n'existent pas en musique, rock ou non. Deep Purple a créé dans le contraste des personnalités et des influences, dans l'urgence et dans les volte-faces. En s'inspirant d'autres modèles de création, il n'aurait sans doute pas fait mieux. Son identité réside d'ailleurs là : à la croisée des qualités musicales et des tempéraments humains. À leur entrechoquement, on pourrait même dire. 

Actuellement, cette alchimie n'existe plus car tout semble bien plus calme depuis le départ de Ritchie Blackmore et l'arrivée de Steve Morse. La musique du Pourpre Profond s'en ressent d'ailleurs : plus apaisée, elle ne dévoile pas les mêmes qualités que celle des années 70, sans en être dénuée pour autant. Cabot fait remarquer un peu cruellement que le groupe est presque devenu son propre « tribute band » avec ses set-lists truffées de classiques et ses passages obligés. Ce n'est pas faux, même si Gillan et les siens font un point d'honneur à interpréter des morceaux récents, sans démériter. Cabot « plaide » pour une douce mise à la retraite, l'excellent Now What ?! constituant un parfait point d'orgue à une carrière, certainement pas exemplaire, mais exceptionnelle. On ne peut que le suivre ici.   

Ce Deep Purple. Rhapsody In Rock n'est pas qu'une plate biographie mais le livre d'un amateur, certes érudit, mais doté aussi un d'un avis très souvent pertinent. Une « pertinence » qui n'incite pas à le suivre aveuglément mais à revenir encore et une fois sur un des trois piliers d'un genre qui se dirige doucement vers le demi-siècle. À lire absolument. 

Baptiste

 

Page sur le site de l'éditeur

Le Mot et le reste / 2013, 267 pages.  23 €