« Je n’imagine pas la musique sans le style de vie. » Chacun, en ce jour de deuil pour le monde de la musique, peut être tenté de voir dans le style de vie de Lemmy Kilmister la cause de son décès brutal à l’âge de 70 ans. Le bassiste, chanteur et père fondateur de Motörhead est mort, ce 29 décembre aux environs de 2 h 30 du matin. Il laisse une famille éplorée mais aussi tout le monde du métal et du punk anéanti par la nouvelle. Ce n'était pas une surprise. Au regard de sa vie, Lemmy était un survivant. Et ces dernières années ont été marquées par plusieurs annulations de concerts ou de tournées en raison de la santé chancelante de l'homme aux bacantes. Au fil de titres tels que « Killed by Death », « Dead Men Tell No Tales » ou « Dead and Gone », l’ancien roadie de Jimi Hendrix a passé une bonne part de son temps à envoyer des doigts d’honneur bien sentis à la grande faucheuse.

Lemmy Kilminster (c) Christophe Ochal

Né le jour de Noël 1945, Ian Kilmister de son vrai nom grandit à Stoke-on-Trent puis dans le nord rural du Pays de Galles. Son père quitte la famille alors qu’il est encore jeune, le laissant seul avec sa mère. Sorti de l’école, il travaille comme éleveur de chevaux puis à l’usine sur une ligne d’assemblage avant d’émigrer pour Londres avec sa guitare en bandoulière. C’est là qu’il intègre le monde de la musique comme roadie, tout d’abord, puis comme membre plus ou moins éphémère de groupes à la durée de vie guère plus importante. Il se stabilise dans Hawkwind, groupe au sein duquel il troque la six-cordes pour la basse. C’est aussi au tournant des années 70 qu’il met le nez dans la drogue. Sans aucune modération. Plus tard, il dira : « Si j’ai vécu aussi longtemps c’est parce que je n’ai pas pris d’héroïne ». Il y a un bon dieu pour les métalleux.

La drogue n’est pas une anecdote dans la trajectoire de Lemmy. Dans son autobiographie White Line Fever, il explique s’être fait virer « parce que [il] ne prenait pas les bonnes substances ». C’est donc en sortant de Hawkwind qu’il fonde Motörhead, d’après le titre du dernier morceau qu’il a composé pour son ancien groupe. Mais Motörhead est aussi une vieille expression américaine désignant un accro aux drogues dures. Le but principal de son nouveau gang, tel que Kilmister le décrit, est de jouer « une musique basique, très forte, rapide, paranoïaque, du rock'n'roll de drogué ». Lemmy engage alors Larry Wallis à la guitare et Lucas Fox à la batterie. Quelques mois plus tard ils sont respectivement remplacés par « Fast » Eddie Clark et Phil « Philthy animal » Taylor pour le formation la plus emblématique du combo.

C’est dans cette période, entre 1976 et 1980, qu’avec des albums aussi fondamentaux que Overkill et Bomber,  ou encore avec le titre séminal Ace Of Spades, Lemmy et son crew posent les jalons d’un chemin que suivra ensuite Metallica, entre speed metal et thrash metal. Pourtant, Lemmy refusera toujours d’être catalogué dans un style. La place de la mélodie ancre solidement Motörhead dans la veine heavy metal, mais l’attitude de ses membres renvoie au punk, un mouvement auquel ils ne cesseront de rendre hommage au fil de leurs nombreuses reprises. 

Mais à bien écouter les compositions de Lemmy, au fond, Motörhead reste un groupe de blues et, plus précisément, de Boogie. Cet héritage a pris une place grandissante dans la seconde partie de la vie du groupe, quand son line up s’est enfin stabilisé en trio avec Phil Campbell à la guitare et Mikkey Dee derrière les fûts. Les concerts de ces dernières années en témoignaient de la manière la plus éloquente. Mais un des premiers 45 tours de la bande à Lemmy aurait dû attirer l’attention : c’est dès 1976 que Motörhead sort sa reprise de Louie Louie, un classique du blues poisseux. On devrait toujours faire attention aux premiers gestes des camés.

Au final, 23 albums au compteur, sans compter les compilations, lives et autres bootlegs, Motörhead, le grand œuvre de Lemmy Kilmister, au point que les deux se confondent, a inscrit son nom en lettres de feu dans le marbre de la musique populaire. C’est assez étonnant à bien y penser tant ce grand échalas au visage marqué de verrues n’a pas inventé grand-chose en matière de musique. Il a juste joué plus fort et plus vite que ses contemporains. En revanche, le môme de Stoke-on-Trent laisse une image de provocateur, de rebelle, jamais dompté. Une espèce de James Dean qui aurait oublié de mourir vite.

Nathanaël Uhl