Je dois parfois me torturer pendant des heures pour pondre 10 malheureuses lignes sur un nouvel album. Souvent parce que ledit album est quelconque, certes, voire médiocre. Ici, avec ce premier single de Lindemann, le projet de Till Lindemann (Rammstein) et Peter Tägtgren (Pain, Hypocrisy), j’ai l’impression que je pourrais écrire une page sur tout ce qui ne va pas avec ce morceau.

Par où commencer ?

Tout d’abord par le volet purement musical, confié à Peter Tägtgren, un musicien au talent indéniable, qui a su s’avérer convaincant dans trois genres différents (parce que beaucoup oublient que Peter a aussi joué dans « son » groupe de Black Metal, The Abyss, et que ce projet vaut le détour). Mis à part peut-être Catch 22 (et encore, je ne fais pas vraiment partie des détracteurs), Hypocrisy frôle le carton plein, et on peut en dire autant au sujet de Pain. Sur le papier, on pouvait donc s’attendre à quelque chose de solide. Hélas, « Praise Abort » est loin d’être aussi passionnant. Le refrain est loin d’être mémorable, le propos manque de punch (on est loin du rouleau compresseur teuton)… Sur ce plan, Lindemann peine à décoller, et si le premier titre choisi pour promouvoir l'album est si faible, on est en droit de s’inquiéter.

Cependant, Lindemann (le projet) est aussi le naufrage de Lindemann (le songwriter). Avec Rammstein, Till a fait des merveilles en matière de textes. Certes, d’aucuns me rappelleront « Te Quiero Puta » et « Pussy » dont le niveau était très proche de la ceinture, et je ne peux pas leur donner tort, mais le reste de la discographie de Rammstein comporte son lot de textes travaillés, recherchés, comme la relecture du conte Erlkönig sur le morceau « Dalai Lama » que l’on retrouve sur Reise, Reise. Même « Mein Teil » évitait l’écueil de la provoc stupide en jouant avec les mots (le double sens de « Er hat mich zum Fressen gerne » n’aura pas échappé à ceux qui maîtrisent la langue de Goethe). Et si Till est un si bon songwriter, c’est parce qu’il manie sa langue maternelle avec brio. Ici, le passage à l’anglais a sensiblement réduit son efficacité. Chanter en allemand ? Ce n’était vraisemblablement pas une option, le parallèle avec Rammstein aurait été encore plus facile à faire. « Praise Abort » verse dans la provoc facile, habilement emballée avec de gros moyens dans un clip qui ne laissera pas indifférent. Mais en grattant un peu, on ne peut pas ignorer la faiblesse de ce morceau sur le plan textuel aussi. Et pour ne rien arranger, l’accent de Till est loin d’être convaincant. Il parle anglais comme quelqu’un qui dirait « Ach, si mes ancêtres avaient été plus efficaces en 40, tout le monde parlerait allemand et je n’aurais pas dû apprendre cette langue de Yankees » (1)

« Praise Abort » est donc censé nous teaser, nous emballer jusqu’à la sortie de l’album programmée d’ici peu. Personnellement, ce titre suscite chez moi bien plus d’interrogations que d’attentes. Si tout l’album est du même tonneau, on pourra en conclure que 1. Till et Peter ont fait ce qu’ils voulaient, sans se soucier des modes, des tendances et des attentes et 2. cela risque de faire bien des déçus.  Mon impatience s’est muée en inquiétude. J’ai l’impression que je suis sur le point d’assister au premier faux-pas de deux géants qui, au final, ne seraient donc que deux colosses aux pieds d’argile.


(1) Vous ne rêvez pas, c’est un point Godwin parfaitement assumé, et je me déçois presque de l’avoir sorti si tard dans ce texte.