On ne sait comment qualifier Frontiers parfois ? Messie de l’AOR dont le label napolitain porte toujours la bonne parole ou nécromancien en rappelant à la vie ce qui aurait dû rester mort depuis longtemps ? Le cas de ce deuxième opus de Fortune est tout à fait exemplaire de ce cas de figure car il sort trente-quatre ans après le premier disque. Vous avez bien lu : trente-quatre ans. Entre temps le groupe des deux frères Fortune, Mick et Richard, a splitté et la mémoire de Fortune était surtout entretenue par le groupe du chanteur Larry Greene, le classieux mais confidentiel Harlan Cage.

La question se pose évidemment du pourquoi d’un tel retour à la vie dans lequel Frontiers a évidemment joué un rôle important. La réponse est simple : le premier (vrai) disque de Fortune, sorti en 1985, est un disque culte dans le monde des amateurs d’AOR. Un de ces disques qui sont devenus rétrospectivement des classiques comme Everybody’s Crazy de Michael Bolton ou le premier album de Signal, et ce malgré un échec commercial indéniable eu égard aux attentes. Le premier album de Fortune est d’ailleurs recherché toujours avec persévérance par les fans les plus mordus. Interprété par des semi-inconnus, il constituait une sorte de petit miracle en fait.

En nouveau Lazare, Fortune est de nouveau debout et marche donc. Mais il n’est pas aussi fringuant que jadis évidemment. Pourtant peu semble avoir changé depuis ce premier album : le logo chromé est inchangé, on retrouve toujours une main féminine gantée en couverture et surtout ce style d’AOR assez particulier. En effet, du fait de la voix si particulière et identifiable de Larry Greene, la musique de Fortune, malgré son caractère évidemment grand public, ne fait pas dans l’immédiateté soudaine. Il faut toujours un peu de temps pour rentrer dans les chansons des frères Fortune. Et la voix de Greene, bien qu’un poil plus éraillée, conserve ses intonations mélancoliques qui en font une exception dans le monde de l’AOR. Il se dégage ainsi une forme de douce tristesse des chansons de Fortune qui fait son charme et son originalité. Tout ceci est toujours et bel et bien là.

Toutefois, la qualité globale n’est pas celle de jadis : on en trouvera pas de « Stacy », « Thrill of It All », « Dearborn Station » sur ce II. Les choses s’ouvrent cependant sur de bons auspices sur « Don’t Say You Love Me » et « Shelter Of The Night »… la qualité ne baisse pas vraiment, les mélodies sont prenantes et le charme opère en partie, mais juste en partie. Il manque une étincelle sans doute inatteignable après tout ce temps malgré l’enchainement des morceaux de qualité (notamment « Overload », qui semble quasiment issu des sessions du premier album). Mais plutôt que de demander l’impossible contentons-nous de ce qui nous proposé et qui aurait été inimaginable il y a quelques années encore.

Baptiste (7,5/10)

 

Frontiers / 2019

Tracklist (44:00) : 1. Don’t Say You Love Me 2. Shelter Of The Night 3. Freedom Road 4. A Little Drop Of Poison (For Amy W.) 5. What A Fool I’ve Been 6. Overload 7. Heart Of Stone 8. The Night 9. New Orleans 10. All The Right Moves