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À l’origine de cette (potentielle) nouvelle série d’articles, une question posée un soir de festival, après (bien) trop de bières.

« Si tu ne pouvais garder qu’un seul morceau de chaque groupe que tu écoutes, tu choisirais lequel ? ».

Un exercice inutile, presque masochiste, où chaque réponse est non seulement personnelle, mais aussi à la fois éminemment correcte et totalement fausse selon le point de vue du lecteur. Parce que réduire un artiste à une chanson est un blasphème dans un genre où le nombre de groupes réputés pour être des « one hit wonders » est plutôt faible. Parce que les émotions suscitées par une chanson chez une personne dépendent parfois d’un contexte, d’un vécu, d’un Zeitgeist (non, pas besoin de vérifier, ce n’est pas un inédit de Rammstein). Et parce qu’invariablement, ces discussions tournent à la foire d’empoigne comme la fois où le boss a voulu ranger la Chimay bleue au frigo (NI OUBLI, NI PARDON).

Évidemment, actualité oblige (le groupe vient en effet de refouler les planches d’un festival outre-Atlantique après cinq années de retraite), il fallait que je commence par Slayer. Un groupe auquel j’ai voué un culte au fil des années. Un pilier du Thrash Metal qui, mis à part le petit dérapage Diabolus In Musica, avait su mener sa barque et éviter les écueils dans lesquels s’étaient vautrés certains de leurs petits camarades. Il ne se passe pour ainsi dire jamais un mois sans que je n’écoute du Slayer, malgré ma curiosité insatiable et mes heures passées sur Facebook et Bandcamp pour dénicher de nouveaux groupes, de nouvelles sonorités, de nouveaux genres.

Bon, avec le recul et l’âge, je dois avouer que mon amour pour ce groupe se muait parfois en complaisance, voire en aveuglement vis-à-vis de la qualité des derniers albums. Le groupe a atteint son sommet avec Seasons In The Abyss, qu’on le veuille ou non. Et même les fans les plus aveuglés par la hargne du quatuor doivent se rendre à l’évidence : depuis Christ Illusion, le groupe ne voguait plus sur des vagues d’hémoglobine. Il pédalait à vide dans la choucroute avec ici et là quelques rares fulgurances. Il faudra un jour que je revienne sur mes chroniques de l’époque, d’ailleurs.

Et si je ne devais retenir qu’un seul morceau de toute la discographie de Slayer, il viendrait de ce qui est probablement l’album le moins slayérien de la bande à Tom Araya. Il faut remonter pour cela à mon tout premier contact – plutôt tardif – avec le groupe. À l’époque, MTV passait encore de la musique (oui, je sais, OK Boomer) et n’enchainait pas les télé-réalités claquées au mur. Et tard le soir, les metalheads avaient aussi droit à leur dose de clips.

Et là, la claque. « I Hate You ».

Oui, si je devais garder un seul morceau, ce serait une reprise de Verbal Abuse.

Parce que tout y est.

Kerry King, la calvasse fière, le jersey des Raiders (de l’époque où ils jouaient encore à Oakland et n’avaient pas encore fait le pire move de l’histoire de la NFL en s’installant à Vegas) sur les épaules et – what else ? – un solo hasardeux et TELLEMENT KerryKingien qui s’intègre parfaitement dans la reprise et lui insuffle ce petit supplément de Slayer. Tom Araya arbore fièrement un débardeur de SON groupe, headbangue comme un beau diable (l’époque dorée où ses cervicales n’étaient pas encore en purée) et beugle comme un veau dans les oreilles de celles et ceux auxquels il adresse un message simple : la HAINE. Et Paul ? Il y est, à mes yeux, au sommet de son art. Pas de chichis, juste un métronome qui cogne comme une mule.  C’est court, c’est con, c’est efficace.

Au cours des semaines suivantes, je découvrirai d’autres clips de Slayer (« Dittohead » et « Seasons In The Abyss ») mais aucun des deux n’aura cette même saveur de la découverte d’un groupe spécial. « I Hate You » est en quelque sorte le terrier de lapin dans lequel j’ai plongé tête première sans me douter un instant que je venais de découvrir ce qui allait devenir mon groupe favori.

2021 : le Top 20 de Patate

Une fois n’est pas coutume, le Top 10 devient un Top 20, sans véritable hiérarchie (même si vous devez vous douter que plus un album apparaît tôt dans la liste, plus il m’a marqué).

CROWN – The End Of All Things
« Tu vas voir, c’est comme du NIN époque Hesitation Marks, mais en pas chiant ». Fallait pas me dire ça alors que j’avais à nouveau sombré dans les œuvres de Trent Reznor. Du coup, j’ai sauté sur cet album comme un enfant afghan sur une mine. Une énorme claque. L’album français de l’année, sans la moindre hésitation.
L’album sur Bandcamp

The Project Hate MCMXCIX – Spewing Venom Into The Eyes Of Deities
L’album de tous les superlatifs. Toujours plus dense, toujours plus fouillé, toujours plus grandiloquent… Et paradoxalement, tous ses aspects positifs en font un album tellement exigeant qu’il ne s’écoute qu’en de rares occasions. Il faut presque planifier un rendez-vous avec son casque et cette galette, en ayant la certitude de ne pas être dérangé, pour pouvoir le déguster à sa juste valeur. Oui, je sais #FirstWorldProblem
L’album est uniquement disponible auprès du groupe

So Hideous – None But A Pure Heart Can Sing
Appelez ça du post-black, du shoegaze, collez autant d’étiquettes que vous voulez à cette galette, je m’en bats les kiwis : cet album ne se décrit pas, il se ressent, il se vit. Les cuivres et les instruments à cordes ne sont pas un simple gimmick, ils apportent vraiment une profondeur incroyable aux morceaux. Et Mike Kadnar, bordel ! Un des incontournables de l’année 2021.
L’album sur Bandcamp

Ethereal Shroud – Trisagion
Le meilleur album de Black Metal de l’année (et pourtant, 2021 nous a gâtés en matière de Black). 64 minutes d’une intensité rare, qui prennent aux tripes. Pas de cirque satanique, pas de folklore diabolique, juste une déferlante d’émotions humaines. Inutile de se demander si le groupe parviendra à faire mieux un jour, Trisagion est son chant du cygne. Ce n’est pas un album, c’est un mic drop.
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Déhà – À Fleur De Peau IV / Déhà – Ave Maria II
Déhà est mon artiste de l’année, ça ne fait aucun doute. Et parmi toutes ses sorties en 2021, je n’arrive pas à départager ces deux morceaux. J’ai même des difficultés à décrire ce qu’ils me font ressentir. Les 5 premières minutes d’Ave Maria II, par exemple, devraient être mises dans tous les manuels du Metal à la rubrique « CA, c’est une intro ! ». Ou cette transition sur À Fleur De Peau IV qui culmine à 19:28 avec une trouée presque lumineuse. C’est du grand art. De l’émotion avec un grand É.
L’album À Fleur de Peau IV sur Bandcamp
L’album Ave Maria II sur Bandcamp

Plebeian Grandstand – Rien Ne Suffit
« La vérité c’est que personne veut admettre que des Toulousains aient réussi quelque chose haha ». Ouais beh parle pour toi, moi, j’ai du mal à admettre que j’ai déjà mis deux albums français dans mon Top 20. Mais en même temps, quel album. De la douleur auditive. Une des plaques les plus radicales de l’année.
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Blood Red Throne – Imperial Congregation
Pas vraiment de surprises sur ce dixième album des Norvégiens de Blood Red Throne. C’est brutal sans tomber dans l’excès, il y a toujours une petite dose de mélodie et une grosse louche de groove… C’est « juste » du Death Metal (et dit comme ça, c’est tellement réducteur), mais ça fait du bien.
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Cannibal Corpse – Violence Unimagined
Cannibal Corpse n’avait pas semblé aussi inspiré depuis Kill. Qui est sorti il y a 15 ans. Bon, ok, les albums précédents avaient encore leur lot de morceaux intéressants, mais Violence Unimagined est parvenu à me convaincre dans son ensemble. On dira ce qu’on veut, mais l’ajout de Rutan à la gratte apporte un plus indéniable.
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The Amenta – Revelator
Tout est déjà dit ici
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FLUIDS – Not Dark Yet
1 EP, 2 singles, 3 splits (dont un avec les Japonais de Pharmacist, qui font du Carcass mieux que Carcass) et un album : les ricains de FLUIDS n’ont pas chômé cette année. ET PUTAIN QU’EST-CE QUE C’EST CON ! Les riffs sont pachydermiques, les samples dégoulinent de malaise, la B.A.R. permet des accélérations fulgurantes, et ce chant… HA CE CHANT ! Le genre d’album qui s’écoute à toute occasion, qui ne requiert aucun effort mental. C’est con, mais c’est bon.
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Blockheads – Trip To The Void
Un troisième album français dans mon Top 20, arrêtez tout, putain, cette année est vraiment claquée au sol. Plus sérieusement, Blockheads fait partie de mes chouchous (et je ne les ai vus qu’une seule fois, au Bloodshed 2013 après la sortie de This Word Is Dead) et ils ont sorti ZE album de grind de l’année. Rien que ça.
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Acausal Intrusion – Nulitas
Du Death sinistre et décousu, avec une caisse claire qui colle des migraines en trois minutes. Vendu comme ça, c’est pas très alléchant. Pourtant, la sauce prend. Le genre de galette à classer avec Ulcerate et Ad Nauseam. Il faut quelques écoutes pour rentrer dans le trip, mais l’effort en vaut la chandelle.
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Cult Of Luna – The Raging River
« Ils ont vraiment ce truc pour exprimer le ‘feeling dead inside’ en musique ». Ha, si tu savais à quel point tu as raison. Une de mes découvertes de l’année. Ouais, je connaissais pas Cult Of Luna.
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Rivers Of Nihil – The Work
Je ne m’en cache pas : je suis un fanboy de Rivers Of Nihil, et j’attendais cet album avec impatience. Mission accomplie : le groupe progresse encore inlassablement et propose un parfait équilibre entre technique et lourdeur. Si vous aimez votre Death Metal avec une petite touche jazzy et ici et là un peu de cuivre, sautez sur cet album.
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Fuoco Fatuo – Obsidian Katabasis
Des Italiens qui sortent un album de Funeral Doom tellement sombre et étouffant qu’on le croirait tout droit sorti du fond de l’enfer (ou de la Finlande, au choix). Et on s’étonnera encore que nos gosses sont des billes en géographie. Cet album a été testé sur un Hamster adulte. Il a kiffé.
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Tardigrada – Vom Bruch Bis Zur Freiheit
Interlude – pavé épique – interlude – pavé épique – interlude – pavé – interlude – coup de grâce avec un… PAVÉ, bien entendu. Certains reprocheront quelques longueurs, mais c’est justement ce qui m’a plu dans ce deuxième album des Suisses de Tardigrada, ce côté hypnotique.
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Dream Unending – Tide Turns Eternal
« Mec, c’est un des mecs de Tomb Mold et un des mecs d’Innumerable Forms, la fusion de ces deux groupes de Death, ça ne peut donner qu’un groupe de Super-Death ». Ou pas. Genre pas du tout. Un grand merci à eux, j’ai pu caser un album de « Prog » dans mon Top 20.
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Voices – Breaking The Trauma Bond
Savoir jouer dans plusieurs registres, c’est bien. Parvenir à combiner tous ces registres en un seul album sans pour autant donner l’impression d’un patchwork décousu, c’est mieux (et beaucoup plus compliqué). Ils sont forts, ces Anglais.
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Friisk – …un torügg bleev blot Sand
Black Metal + Allemagne + Vendetta Records = la promesse d’un bon moment.
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Il est aujourd’hui difficile, voire impossible, d’échapper à Gojira sur les réseaux sociaux, tant le groupe est porté aux nues par l’ensemble des zines Metal généralistes. « Album de l’année », « Groupe de la décennie »… nos confrères ne tarissent pas d’éloges et de superlatifs pour parler des Landais et de leur nouvel effort, Fortitude.

Mais cet engouement est-il vraiment dû à la musique ? Si on regarde bien l’évolution du groupe depuis maintenant quelques albums, Gojira donne l’impression d’un groupe qui dilue son propos, qui le polit, l’adoucit sans pour le rendre pour autant plus digeste. Vous vous souvenez de l’époque de « Backbone » ? Cette époque est bel et bien révolue. Vous me direz qu’il faut respecter les choix de l’artiste, et je vous rejoins sur ce point. D’ailleurs, je regrette souvent amèrement la frilosité des artistes qui se cantonnent à une seule formule gagnante, mais dans le cas de Gojira, c’est le message sous-jacent à l’album et non l’album lui-même qui est à l’origine de l’engouement.

Retirez les thématiques abordées dans Fortitude, oubliez un instant la récolte de fonds pour l’Amazonie et concentrez-vous sur la musique. Comme à l’époque de L’Enfant Sauvage, le groupe retombe dans l’écueil des passages redondants. Le titre éponyme, par exemple : à quoi sert-il, si ce n’est à allonger artificiellement un « The Chant » qui est déjà bien assez long. Mis à part les deux premiers titres qui tirent leur épingle du jeu, Fortitude manque de punch et de cohérence.

Si Fortitude rencontre un tel succès, c’est parce que son message parle aux gens*, et ce, malgré ses défauts au niveau de la forme. Comment pourrait-on haïr un groupe qui dénonce, pour ne citer que cette problématique, la déforestation en Amazonie ? Le message est important, la démarche est louable (la récolte de fonds tourne bien et ça fait plaisir de voir des groupes se mobiliser)… Mais cela ne doit pas nous aveugler sur les défauts de Fortitude. On peut dénoncer des problèmes sociétaux ou environnementaux sans adoucir son propos pour le rendre aussi accessible que possible. Demandez à Napalm Death ou à Cattle Decapitation comment ils ont fait…

* et encore, le message porté par « Another World » est tellement résigné qu’il en devient déprimant