C’est grâce à Sven d’Aborted (ou à cause de Sven, je n’arrive pas à me décider) et un de ses posts sur Facebook que j’ai pris connaissance de l’initiative des Australiens de Ne Obliviscaris. Une initiative qui vise à révolutionner l’industrie de la musique. Un crowdfunding récurrent, avec mensualités et contreparties plus ou moins intéressantes en fonction du montant. Il existe même un pack à 250 boules par mois. DEUX CENTS CINQUANTE BOULES. CHAQUE MOIS. Je pense que je ne dépense même plus ce montant en achats musicaux divers et variés, tous groupes confondus. Mais nos amis les kangourous partent sincèrement du principe que quelqu’un sera prêt à leur verser 250 euros par mois… mais pour quoi, au fait ?
La raison sous-jacente de cette initiative est la décision du groupe de pouvoir se consacrer intégralement à la Musique avec un grand M, sans devoir se soucier de ces considérations futiles que sont l’argent et un travail annexe pour en gagner (parce que bon, ils sont de moins en moins nombreux, ceux qui peuvent vivre de leur musique, et c’est en grande partie à cause de nous, de l’évolution de notre comportement vis-à-vis de la musique et de sa consommation, mais c’est un autre point qui mériterait à lui seul un article). Ce sont des Artistes, pas de vulgaires tâcherons réduits à devoir travailler comme le vulgum pecus et à y mettre de leur poche pour concrétiser leurs projets. À l’instar d’un Wintersun, Ne Obliviscaris donne l’impression d’un groupe avançant des arguments certes compréhensibles pour justifier leur décision, mais aussi détachés de la réalité. Certains y voient un nouveau type de mécénat ; d’autres, une nouvelle forme de mendicité.
J’ai un peu de mal à me positionner face à ce phénomène. J’ai déjà participé à des projets de crowdfunding, parce que le projet m’intéressait, parce qu’il permettait de concrétiser un objectif précis (un nouvel album, par exemple), parce que le groupe avait décidé de s’affranchir de tout label, de tout intermédiaire… Ici, ce n’est pas le cas. Aux dernières nouvelles, les Aussies sont toujours bien au chaud chez les Phocéens de Season Of Mist, et cette nouvelle forme de financement vient s’ajouter à leurs « revenus » actuels (difficiles à estimer). Comment cet argent sera-t-il concrètement utilisé ? N’y a-t-il pas un risque d’utilisation abusive au vu de la description somme toute très vague du projet (parce qu’au fond, ils cherchent un financement suffisant pour ne plus devoir travailler et pour se consacrer à 100 % à leur musique, on n’est pas dans le financement d’un album comme l’a fait The Project Hate MCMXCIX à trois reprises) ? Ce confort financier est-il vraiment nécessaire, surtout lorsque l’on voit ce que d’autres groupes établis arrivent à faire malgré leur « vrai » job ? Prenez Suffocation, par exemple : Frank ne peut tourner que deux semaines par an en raison de son boulot. Le groupe s'est-il pour autant arrêté ? Non. Il fait appel à d'autres chanteurs. Depuis trois ans, c'est Ricky Myers qui aide le groupe en live. En creusant un peu, je pourrais trouver des dizaines d'exemples similaires à celui de Suffocation…
Je me souviens d’une discussion avec deux membres du groupe Red Fang qui me racontaient les conditions de tournée aux States, les salles pourries, la bouffe dégueu, les congés pris pour pouvoir partir en tournée sans la moindre certitude d’avoir toujours son job en rentrant… J’avais pris une claque dans la gueule ce jour-là. J’avais compris que le monde du Metal, ce n’était pas forcément trois semaines de fiesta en backstage avec binouzes à volonté. Et Ne Obliviscaris, aujourd’hui, me donne l’impression d’un groupe qui veut se faire payer son confort (par ses fans) sans pour autant s’affranchir de la main qui le nourrit (son label). Et je comprends tout à fait la réaction de certains artistes choqués par cette démarche.
« On peut être fan et soutenir un groupe sans pour autant lui payer tous ses caprices ». C’est sur ces mots que j’avais fini mon article sur le crowdfunding. Ne Obliviscaris a ouvert une nouvelle porte, et d’autres groupes risquent bien de s’engouffrer dans cette voie. Une bonne idée ? Oui, pourquoi s’en priver si ça fonctionne ? L’avenir de l’industrie musicale ? Seul le temps nous le dira… Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : on aura jamais autant parlé de Ne Obliviscaris que depuis qu’ils ont lancé cette idée…
Addendum (09/03) : à la suite de la remarque d'un confrère qui me faisait remarquer que Ne Obliviscaris est un groupe australien et que cela implique des dépenses imcompressibles, j'ai contacté Psycroptic, un groupe dont la situation géographique est comparable et qui tourne souvent. Voici la réponse de Dave :
well, can still tour as we do things on the cheap – cheap van rental, minimal crew, cheap flights etc. It is still VERY expensive and we all still work day jobs to help pay for it. But when done smart, we can make some money from it. While Im not for or against what NeO are doing, it doesnt feel right for a band such as psycroptic to go down this path. we are hard working, and working other jobs helps us appreciate the touring side more and the effort we put in to make it happen.
Pour ceux qui ne parlent pas anglais : on arrive à toujours tourner parce qu'on fait attention à nos réponses : on loue un van pas cher, on a une équipe réduite au minimum, on prend des vols pas chers, etc. Oui, ça reste TRÈS cher, et nous avons tous un job qui nous aide à payer ses frais. Mais si on fait les choses intelligemment, on arrive tout de même à se faire un peu d'argent. Je ne suis pas pour ou contre l'initiative de NeO, mais ce serait bizarre, pour un groupe comme Psycroptic, de s'engager sur cette voie. On travaille dur, et nos jobs nous aident à encore plus apprécier les tournées et les efforts consentis pour pouvoir partir en tournée.
En bref, c'est une question de choix, de volonté. Comme le disait Airbourne, un autre groupe australien : There ain't no way but the hard way so get used to it