Qu’on le veuille ou non, le crowdfunding fait maintenant partie des pratiques utilisées par les groupes pour réaliser leurs projets. Ventes d’albums décevantes, labels frileux… Il ne faut pas chercher loin pour comprendre les raisons de cette évolution. En quelque sorte, le crowdfunding est une planche de salut pour bon nombre de groupes, mais voir certains récupérer cette démarche à des fins parfois questionnables me laisse perplexe.
Et pourtant, à la base, le crowdfunding en tant que mode de financement de l’enregistrement d’un nouvel album est séducteur sur le papier : le fan permet au groupe de partager – dans un premier temps avec les participants au projet de financement, et ensuite avec le monde – la musique qu’il a créée. The Project Hate fonctionne de la sorte depuis deux albums, en toute indépendance, et au final, cette démarche leur convient parfaitement. Le hic, c’est qu’un tel projet est voué à l’échec si le groupe en question n’est pas connu. Vous en connaissez beaucoup, vous, des personnes qui miseraient 20 euros sur un groupe inconnu ? Même les labels ne misent plus un kopek sur les jeunes talents ! Le crowdfunding n’est donc, en quelque sorte, qu’une solution pour les groupes établis qui, pour une raison X ou Y, souhaiteraient supprimer quelques intermédiaires… Et encore, des gros poissons comme Exivious (chez Season Of Mist) et Obituary (pourtant signé chez Relapse) ont eu recours au crowdfunding pour leur nouvel album… de là à dire que la pratique, un jour, se généralisera et que les labels se contenteront de promouvoir les albums que « leurs » groupes auront composés/enregistrés sans la moindre intervention financière du label, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas.
Cependant, d’aucuns ont vite compris que le fan, à condition d’être correctement amadoué, est une vache à lait en puissance, bien plus généreuse qu’un label. Vous avez vu les montants dépensés par certains lors des enchères organisées par Megadeth quand Dave a vidé son grenier ? Apparemment, dépenser 50 euros pour une setlist signée (un bout de papier, quoi) n’est pas choquant pour un fan… mais revenons au crowdfunding…
Comme premier exemple (le plus récent en date), je pourrais citer celui de Loudblast, un « pilier du Death Metal français » (c’est pas moi qui le dis, d’où les guillemets) qui, en deux jours, a récolté 4.000 euros en vendant des goodies à ses fanboys pour aller faire la bamboche sur la route avec Death To All. « Partir en tournée » n’a jamais aussi bien rimé avec « mendicité », d’autant plus que le groupe en question laisse la campagne courir malgré l’objectif déjà atteint, histoire d’ajouter du pognon pour des « projets ultérieurs ». « Soutenons le groupe, donnons-lui de l’argent, il le mérite bien ». Il faut vraiment vous rappeler que le dernier album vraiment intéressant de Loudblast remonte au siècle dernier ?
Mais il y a bien pire.
Il y a ainsi le Kickstarter à 1.000.000 de dollars mené par Sepultura pour pouvoir sortir un documentaire sur les 30 ans du groupe. Un putain de million de dollars. Il va être réalisé par Michael Bay ? Il fallait acheter le silence de la femme de Max Cavalera ? Là aussi, mission accomplie, des fans du monde entier ont mis la main à la poche pour récolter ce montant. Dans un monde où on préfère laisser un clodo crever de faim dans la rue, voir des personnes du monde entier amasser un million pour un documentaire retraçant l’histoire d’un groupe qui vivote depuis des années (qui a dit « bientôt 20 ans » ?) me laisse songeur. Ou plutôt nauséeux.
EDIT (23/01) : Il faut savoir reconnaître quand on s'est planté. Le Kickstarter pour le documentaire sur les 30 ans de Sepultura visait à récolter 100.000 $ et il a échoué. Violemment échoué. Pour cette erreur, j'ai été fouetté 15 fois. Et j'ai aimé ça, grrrrr !
Il y a aussi – et c’est certainement le projet plus ridicule – la volonté de Wintersun de récolter des fonds auprès de ses fans pour construire son propre studio. Et pas un studio en carton, hein, non, le studio cosy, avec toutes les commodités, dont l’indispensable (ouais, ils sont finlandais) SAUNA ! Oui, vous ne rêvez pas. En précommandant l’album Time II au format MP3 (sortira-t-il un jour, d’ailleurs ?), le fan de Wintersun participe aux frais de construction d’un studio avec lequel le groupe pourra récupérer ses billes (en le louant à d’autres groupes, par exemple). Si quelqu’un a l’adresse du frontman de Wintersun, qu’il me la fasse parvenir et je lui enverrai deux briques. Ou un sac de ciment.
Alors, le crowdfunding, remède miracle ou attrape-nigauds ? Chacun se forgera sa propre opinion. En quelque sorte, certains pourraient considérer cette démarche comme du chantage. « Filez-nous votre caillasse, sinon vous n’aurez pas de nouvel album / de tournée qui passe dans votre pays ». Chacun est libre de faire ce qu’il veut de son argent, et s’il s’y retrouve au final, pourquoi pas ? Personnellement, je reste plus que mitigé. On peut être fan et soutenir un groupe sans pour autant lui payer tous ses caprices.