Après l'apparition de deux RHAPSODY, chacun dirigé par les co-fondateurs de RHAPSODY (pas encore OF FIRE) et avec les changements de personnel que ça impose, on ne peut pas dire que l'on soit à court de questions à poser à Luca Turilli, un de ces deux co-fondateurs. Mais il est bavard le Luca. Très bavard. Notre liste de question, initialement longue comme le bras, s'est donc réduite comme peau de chagrin… d'un autre côté, ça permet de se concentrer sur l'essentiel!

Metalchroniques: Officiellement ce nouvel opus n’est pas ton quatrième album solo, ce n’est pas non plus le nouvel album de RHAPSODY OF FIRE. Il est qualifié de « onzième album de RHAPSODY ». Difficile de s’y retrouver… Pourrais-tu nous préciser ton point de vue ?
Luca Turilli: En réalité il s’agit d’une séparation amicale entre Alex (Staropoli) et moi. Nous en parlions déjà depuis 3 ou 4 ans à cause de nombreux problèmes extérieurs qui ont rendu les choses plus difficiles dans le groupe. Mais ce qui est génial, et que les gens doivent comprendre, c’est que tout a été fait sur une base amicale. Nous nous connaissons depuis plus de vingt ans, tu imagines donc que nous sommes de grands amis. Mais la collaboration professionnelle ne fonctionnait plus: quand tu composes composes avec quelqu'un et que ça te donne l'impression d'aller chez le dentiste… En tant qu’artistes, nous exprimons une partie de notre âme, de notre personnalité à travers nos compositions, il faut donc que chacun soit satisfait par le travail commun. Cette idée trottait dans nos têtes depuis un certain temps mais pour moi il était très important de conclure la saga avant de nous séparer. C'est fréquent dans la vie quotidienne: nous sommes très amis, sauf au travail! C’était difficile, nous avons vécu des moments de tension… Et maintenant il y a deux incarnations de RHAPSODY.

Pour répondre à ta question, je parle du onzième album de RHAPSODY parce que je ne voulais pas qu’il y ait d'incompréhension: certains ont cru que j’avais quitté le groupe, et rien n’est plus faux ! Parce que j'aurais très bien pu continuer sous le nom RHAPSODY of FIRE pendant qu'Alex aurait pris RHAPSODY of ICE ! (rires…) Mais la situation actuelle est plus logique car Fabio [Lione, chanteur] accompagne Alex dans cette nouvelle aventure et qu'il représente l’image du groupe, il était normal qu’ils conservent le nom RHAPSODY of FIRE. Ce fut un accord très simple à trouver. C'est pour ça qu'il est important pour moi de dire que ce disque est le onzième album de RHAPSODY, comme Alex et Fabio proposeront aussi leur onzième album de RHAPSODY quand ils seront prêts. Je craignais que les gens pensent qu’il s’agit de mon quatrième album solo. Le numéro de l’album n’a pas d’importance. Ce qui est clair c’est que j’ai arrêté ma carrière solo.

De la même manière, la conservation du logo par les deux entités montre l’esprit amical qui nous a animés dans cette séparation. D’habitude c’est la guerre entre les anciens membres pour des problèmes de droits et il faut faire face à des actions en justice… Ici tout a été facile, je garde aussi le nom mais j’ajoute « Luca Turilli’s » pour éviter les problèmes de droits que nous avons dû affronter dans le passé, ainsi tout le monde reste ami. Du fait de notre amitié, aucun de nous n’aurait osé demander à l’autre de renoncer au logo. Parce qu'aujourd'hui si tu renonces à ton logo, tu es mort. Lors de nos problèmes dans le passé, j’ai investi tellement de mon argent personnel et celui de ma famille pour sauver RHAPSODY, que RHAPSODY continue à exister, et pareil pour Alex, ça n’était pas pour tout perdre maintenant.

M.: Ce nouvel opus sonne beaucoup plus moderne et moins orienté « fantasy » que les précédents albums de RHAPSODY of FIRE. Etait-ce une orientation que tu ne pouvais pas explorer avec le groupe avant la séparation ?
L. T.: Non pas du tout. Parce que j'ai écrit ces sagas, comme un journaliste, tout au long des différents albums [The Emerald Sword Saga puis The Dark Secret Saga]. C’est comme pour Harry Potter, il y a beaucoup de romans et de films mais tu dois rester dans un univers défini, tu ne peux pas introduire des éléments de Science-Fiction par exemple. C'est pour ça que, d'une certaine manière, j'ai été contraint de faire des albums solo, parce que j'avais décidé d'écrire une saga pour RHAPSODY OF FIRE. Et tout le monde aimait ça en plus ! Alex, et même Fabio qui n’était pas très enthousiaste au début car il a un héritage plus typé hard rock. Ce monde fantastique lui semblait étrange, mais petit à petit il a vu que les gens aimaient ça et il a commencé à l'apprécier lui-même. Il vient plutôt de WHITESNAKE, ce genre de groupes. Même avec Alex, je veux dire que moi j'écoute plus volontiers HELLOWEEN, NIGHTWISH, alors que lui sera plutôt dans le hard-rock américain, il préfèrera des artistes comme SAMMY HAGGAR ou ALTERBRIDGE. Mais avec le temps, nous avons su marier nos approches pour obtenir ce résultat incroyable, je trouve.

Au final, ces dix albums de RHAPSODY représentent pour moi la saga parfaite, au même titre que Harry Potter ou le Seigneur des Anneaux. C'est pour ça que je tenais à terminer ce chapitre avant de faire autre chose. Maintenant je ne sais pas ce que RHAPSODY of FIRE va choisir de faire. C’est amusant car désormais je vais donner mon Cd à Alex et lui me donnera le sien quand il sera prêt.

De mon côté je voulais pouvoir aborder tous les sujets sur un même album. Donc si je veux une chanson orientée « fantasy », je fais une chanson « fantasy ». Par exemple, sur cet album, quatre titres sont liés par un concept de science-fiction (« Quantum X », « Ascending To Infinity », « Dark Fate Of Atlantis » & « Of Michael The Archangel And Lucifer's Fall ») où j’aborde des sujets comme les portes des étoiles, le multivers, les dimensions parallèles et la théorie quantique. Et puis il y a aussi « Excalibur », une chanson plus spirituelle, plus historique, un peu « fantasy » disons, que l’on peut rapprocher des anciennes compositions. Mais après avoir évolué dans un univers uniquement fantastique, je voulais absolument avoir la liberté, comme NIGHTWISH par exemple, d’écrire un album avec une chanson sur un thème particulier, la chanson suivante sur un thème différent etc. Maintenant, c'est grâce à ça que je peux mettre un terme à ma carrière solo, car je n’ai plus besoin d’un espace en dehors de RHAPSODY pour exprimer toutes ces idées.

M.: Donc tu ne proposeras plus d'album-concept traitant uniquement d’un sujet ou d’une histoire ?
L. T.: Non, je proposerai des mini-concepts comme ces 4 chansons sur Ascending To Infinity mais plus un album complet. J’ai tellement travaillé à partir de ça, maintenant j’ai besoin de liberté!

M.: Tu avais fait appel à un très bon chanteur sur tes deux premiers albums solo [Olaf Hayer] et beaucoup s’attendaient à le voir officier aussi au sein de ce « nouveau » RHAPSODY. Pourquoi as-tu recruté un autre artiste ?
L. T.: Avec Olaf je n’aurais pas pu obtenir l'impact d'un ténor, qui est essentiel pour moi. Comme quand j’ai écrit « Lamento Erioco » pour Fabio, je savais que je pouvais écrire des chansons différentes. Même quand il était dans LABYRINTH il est très bon dans un timbre particulier [« le registre métal classique »], mais ça n'est qu’une dimension de sa voix. Mais avec RHAPSODY, avec des chansons comme « REIGN OF TERROR » ou « LAMENTO EROICO », nous avons pu mettre en valeur toutes les nuances, toutes les couleurs de sa voix. Je considère Fabio comme un des cinq meilleurs chanteurs au monde, et par rapport à ça c'était une vraie souffrance pour moi de l'abandonner. Et pour lui aussi je le sais.

Olaf ne pouvait pas m’offrir cette variété dans le timbre de voix donc il fallait que je trouve un autre chanteur. C’est Fabio qui m’a parlé d’Alessandro [Conti], quand il a commencé à être question de séparation. Parce qu'il s'est passé quelques mois sont passés entre la décision et la concrétisation en deux entités. Entre-temps, j’avais reçu différentes propositions hors métal comme travailler sur des bandes-originales de film, ou même un projet similaire à Avantasia pour un autre label : je ne cherchais pas encore sérieusement un chanteur, car je ne savais pas ce que j'allais faire. Je cherchais donc un chanteur, de loin, et j'en ai discuté avec Fabio pendant notre dernière tournée en Europe. Il m’a conseillé de m’intéresser à un certain Alessandro en me présentant des vidéos YouTube. Et j’ai apprécié ce que j’ai vu, mais ça n'était qu'un timbre, ça n'était pas suffisant pour le juger. Alors je lui ai envoyé quelques chansons, comme « One Heart » de Céline Dion… vraiment! C'est après avoir entendu ce qu'il en faisait que j'ai décidé qu'il serait un bon chanteur pour moi. Mais il ne savait pas qu’il allait devenir le nouveau chanteur de RHAPSODY, tout simplement parce que moi-même je n'avais pas encore décidé de continuer avec Rhapsody! Nous avons pris cette décision avec Alex seulement 3 semaines avant l’annonce du label. Je lui ai annoncé la nouvelle une semaine avant l’officialisation et il ne pouvait pas y croire, parce qu'il pensait que nous allions collaborer pour un projet parallèle.

 

M.: Dans les derniers albums de RHAPSODY of FIRE, certains titres ou passages sont chantées en italiens. Dans ton esprit, fallait-il donc que le nouveau chanteur soit italien ?
L. T.: Oui absolument ! Un chanteur allemand n’aurait pas fait l’affaire. A l’époque, quand l’idée de proposer des chansons en italien m'est venue, Alex n’y était pas très favorable. Finalement, il a adoré ça! Le premier exemple est « Lamento Eroico », de nombreuses autres ont suivi. J’aimais beaucoup le lien entre notre musique, d'un groupe italien, et la langue italienne. Après, de nombreux autres groupes italiens ont fait comme nous et finalement cette démarche est devenue assez commune.

 

M.: N’avais-tu pas peur de désorienter les fans en multipliant l’utilisation de langues différentes, avec l'anglais, l'italien et le latin ? Surtout sur ce dernier album, où je ne suis pas sûre qu'il y ait même une chanson utilisant une seule langue !
L. T.: (Rires…) Tu as peut-être raison, je n’y ai jamais vraiment pensé ! Mais je ne crains pas vraiment que mon message se perde en route, parce que même en anglais, les gens ne comprennent pas toujours très bien. (Rires…) Au début, quand on a commencé à être en contact avec les gens de Nuclear Blast USA, ils nous disaient qu’il était parfois difficile de nous comprendre… Nous n’avons jamais travaillé la prononciation ou l’accent, et les gens dont c'était la langue maternelle nous disaient que c'était parfois étrange à leurs oreilles. Pour d'autres labels, ça nous donnait quelque chose d' « exotique ». Mais je ne peux pas juger, l’anglais n’étant pas ma langue maternelle.

M.: Mais comment décides-tu que tel passage va être en anglais, tel autre en italien, etc. ?
L. T.: Ca c'est important. Ca dépend surtout des mots, en fait. Quand le texte est en italien, je pars du texte pour créer car c’est ma langue maternelle, c'est donc avec elle que je peux donner ce que j'ai de meilleur. D’où la part grandissante de l'italien dans RHAPSODY of FIRE. Même Fabio préfère largement chanter en italien: il arrive à chanter beaucoup plus rapidement, il passe donc moins de temps en studio… et c’est génial ! Si tu demandes à Fabio, il te dira immédiatement qu’il préfère largement chanter en italien.

Mais donc : parfois, dans ta langue maternelle, tu penses à une bonne phrase avant d'avoir la musique. C'est pareil pour certains anglais ou américains, ils composent comme ça. Mais moi, quand je compose en anglais, je chantonne quelques mots, qu'il faut perfectionner ensuite. Ce sont des mots idiots, enfin parfois ils sont bons mais ça n'est pas le plus fréquent, parce que ça n'est pas ce que je crée immédiatement puisque ça n'est pas ma langue maternelle. Après on réunit le tout, on perfectionne ici et là, et on créé une phrase. Mais ça, ça vient après la musique, je dirais. Alors que les parties en italien me viennent avant.

Au final, ça dépend beaucoup des chansons. Par exemple pour « Dark Fate Of Atlantis » je voulais vraiment utiliser plusieurs langues ne serait-ce que pour refléter la signification universelle de cette chanson. Atlantis représente la naissance, la croissance et la chute de toute civilisation, pour des raisons anthropologiques: pour moi, c'était plus facile de lier ça à du grec, du latin,  de l'italien, de l'hébreu, et de l'anglais évidemment, toutes ces langues ensemble. Et là il ne s'agissait pas de savoir si telle partie sonnerait mieux en italien ou en anglais, ça découlait du concept. Dans certains cas comme celui-ci, je décide que je vais utiliser quatre langues, par rapport au concept universel qui relie les mots de la chanson. Dans d'autres cas ça aura été décidé avant, pendant que je composais au piano et que je suis parti en italien. Pour « Tormente E Passione » par exemple, j'étais assis au piano en train de chanter les paroles [en italien], ça n'aurait pas donné la même chose avec de l'anglais… et ça vient spontanément, ce qui n'est jamais le cas avec de l'anglais.

Ca dépend des chansons en fait. Si je compose au piano, c'est plus facile de commencer en italien, si je compose à la guitare j'ai plutôt tendance à partir sur du mauvais anglais, que je perfectionne après, petit à petit. Pour le latin c'est plus compliqué, donc ça vient toujours à la fin. Parce que c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, et le plus souvent je ne m'en souviens pas: je dois réétudier certains points, les déclinaisons… ça me donne l'impression de retourner à l'école!

 

M.: Pour l'«artwork » de ce nouvel album, tu as travaillé avec Felipe Machado Franco, qui a déjà collaboré avec RHAPSODY OF FIRE par le passé. De manière générale, comment travailles-tu avec l'artiste chargé du visuel de l'album ?
L. T.: Pour ça, j'ai une manière de travailler bien précise. Avec Alex nous commencions par faire quelques arrangements orchestraux basiques, je lui disais ce qui allait se passer dans la saga, nous finissions de travailler sur les chansons, et pendant qu'il terminait les arrangements orchestraux je travaillais sur la couverture et le livret. Ce qui m'amenait à passer de nombreuses nuits sans dormir, parce que c'est quelque chose que l'on fait généralement à la fin, quand la date limite arrive à grands pas. En particulier le livret, on peut commencer la couverture longtemps avant. Et travailler avec Felipe n'arrange pas les choses: quand je suis debout il dort, et vice-versa! Ca demande beaucoup de travail parce que je dois donner beaucoup de détails aussi. Il m'a dit que la plupart des groupes ne lui en disent pas autant, je suis celui qui lui apporte le plus d'information, avec Blind Guardian. Au final, cette couverture nous fait perdre beaucoup de temps ! Pour Frozen Tears Of Angels par exemple, je crois que j'ai reçu 45 mises à jour. Si tu voyais la première version, ça n'avait rien à voir: il a fallu débattre de la position de ceci, la position de celà, trop de lumière, et puis machin… et ça devient interminable !  C'est pour ça qu'à un moment il faut savoir s'arrêter.

M.: C'est peut-être une question idiote, mais j'ai déjà vu Alessandro deux fois sur scène [avec Secret Sphere, où il faisait un remplacement, et avec Trick Or Treat], et… on ne peut pas vraiment dire qu'il était le sérieux incarné?
L. T.: Oui, c'était un problème pour moi au début, et je m'y suis opposé. Quand Fabio m'a montré ces vidéos, il a dû m'expliquer que son groupe avait un état d'esprit à faire des blagues [“trick or treat” = “la bourse ou la vie” le soir de Halloween, à savoir des enfants qui demandent des bonbons, et littéralement “une blague ou une sympathie” (en gros)… à savoir que, dès le nom du groupe, les blagues sont annoncées] Si bien qu'une des premières choses que je lui ai dites quand je l'ai contacté, c'est que je n'arrivais pas à le regarder! Mais il m'a répondu qu'il a aussi fait une tournée avec un groupe appelé Secret Sphere, où il était sérieux.
M.: Oui, c'est la première fois que je l'ai vu.
L. T.: Et il n'était pas sérieux?!
M.: Il n'était pas sérieux, je confirme!
L. T.: Je dois le le lui dire! Parce qu'il m'a raconté qu'il avait dû se préparer à partir en tournée avec eux, donc apprendre les chansons, en une semaine seulement, parce que leur chanteur habituel était malade: il n'y avait pas eu de temps pour préparer des âneries. Si bien qu'avec eux il était sérieux, m'a-t-il dit…
M.: Non, enfin, certes, il a moins fait le fou que dans Trick Or Treat, mais… [de mémoire on avait eu droit au gant de Mickey, la blague sur Carla Bruni (un peu censurée quelques mois après avec Trick Or Treat, il avait dû se faire tapper sur les doigts!), et autres petites broutilles… loin du sérieux légendaire d’un Luca Turilli sur scène en tout cas!]
L. T.: Non, non, non, il sait qu'avec moi c'est pas possible ces choses-là! Je lui en parlerai, ne t'en fais pas! [mais euh, justement j’aime bien l’Alessandro tout fou moi! Bon, certes, ça n’est pas compatible avec un Luca Turilli ultra sérieux dans son Rhapsody… mais je ne veux pas qu’il ait des ennuis à cause de moi non plus le petit, sniff! Il va se retrouver au pain sec et à l’eau jusqu’à ce que toute envie de blague débile lui passe à cause de cette interview, si c’est pas malheureux…]

 

M.: Un petit retour vers le futur à présent : Quand tu as créé Thundercross en 1995, est-ce que tu t'imaginais sortir des albums et partir en tournée dans le monde entier presque 20 ans après ?
L. T.: Tu sais, quand tu es jeune tu as cette vision idiote où tout est facile. Alors quand on a commencé avec Alex, et plus tard avec Fabio, on s'imaginait vendre 1 million d'albums dès notre première sortie, sans problème! Si bien que quand on nous a dit: « Vous avez vendu 100 000 albums en une semaine, c'est fantastique ! », nous étions presque déçus. A l'époque dans les magazines tous les groupes racontaient qu'ils vendaient 600 000 copies, que sais-je, et après nous avons découvert que ces chiffres étaient inventés! [enfin, parfois les groupes confondent aussi « nombre de copies pressées » et « nombre de copies vendues »… en dehors de ceux qui veulent simplement faire monter la mousse, forcément.] Alors quand nous avons découvert la réalité des chiffres et que notre maison de disques sabrait presque le champagne en nous annonçant 100 000 albums vendus… Ca n'est même pas une question d'argent d'ailleurs, parce que le premier contrat est toujours mauvais pour les artistes: nous n'étions pas vraiment vernis d'un point de vue bancaire, et ça aurait été pareil en vendant 300 000 ou 400 000 albums. Evidemment quand tu es jeune tu te vois conquérir le monde, tu es un peu fou, pas vraiment réaliste, et au bout du compte nous avons plutôt de la chance de voir tout ça se réaliser. En même temps, rien n'aurait pu arriver sans l'espoir. Dans le fond, si tu travailles toute la journée sur quelque chose, 24h/24h, sans arrêt, et que tu sais communiquer à ce sujet, les choses finissent par arriver. Ou au moins, il y a plus de chances pour que quelque chose se passe!

 

M.: Maintenant que Rhapsody est divisé en deux entités, est-ce que tu pourras t'assurer que la qualité reste bel et bien présente dans « les deux Rhapsody », et si oui comment ?
L. T.: Disons que maintenant que nous avons atteint un certain âge, l'important n'est plus d'atteindre un certain succès mais de se sentir bien. Et en ce qui me concerne, avec Dominique [Leurquin, guitares] et Patrice [Guers, basse], ils font presque partie de la famille pour moi. Avec Alessandro évidemment c'est un peu différent, je ne le connais que depuis trois mois ! L'autre Alex [Landenburg, batterie] est très sympa aussi mais nous nous sommes connus il y a deux mois. Mais avec Patrice et Dominique, la « partie française du groupe » et un peu ma famille, c'est très agréable de partir en tournée, nous amuser. Surtout après tous les problèmes que nous avons traversés, en plus de la crise du marché elle-même [Rhapsody a eu beaucoup de problèmes avec leur maison de disques précédente, ça a fini en procès, ils ont failli ne plus pouvoir utiliser le nom du groupe… de longs moins très difficiles.] Si nous n'avions pas investi tout cet argent, moi et Alex… Rhapsody aurait arrêté il y a longtemps déjà. Mais nous nous sommes fait confiance! Après, je ne peux pas vraiment interférer dans ce qu'ils vont faire, je ne sais même pas quel style ils vont adopter.

De notre côté, tout ce qui importe est de prendre du plaisir et de « remplir notre mission », d'une certaine manière: si tu lis les paroles de Rhapsody, depuis le début, il y a toujours un message positif. Même la réaction des fans peut être spectaculaire parfois: à chaque fois que je reçois un message où un fan explique comment notre musique l'a sorti d'une mauvaise passe… c'est quelque chose de très profond. C'est une satisfaction plus importante que 10 000€. Et tant qu'il y aura ce genre de choses, ça aura un sens pour nous d'exister.

M.: Avez-vous déjà prévu de faire une tournée, ou vous ne vous êtes pas encore penchés sur la question ? (*)
L. T.: Nous sommes en train de négocier ça avec l'agence qui se charge de nos tournées. Evidemment il y a eu ce problème avec notre batteur, qui était Alex Holzwarth au départ. Il était ami avec les deux groupes, et voulait continuer avec les deux… mais on a vite compris que ça ne serait pas possible. Alors comme son frère [Oliver, bassiste de son état] est avec RHAPSODY OF FIRE, c'était normal qu'il aille avec eux, il est plus heureux comme ça. Comme ça nous pouvons être totalement indépendants aussi, et chacun peut suivre son chemin sans causer le moindre problème à l'autre. Comme nous faisions une séparation amicale, c'était important de ne pas créer de problème l'un à l'autre.

M.: Un dernier mot pour les lecteurs, ou quelque chose que tu souhaites dire mais que l'on n'a pas demandé ?
L. T.: Eh bien, nous avons parlé de beaucoup de choses? Je veux juste ajouter que cette fois la production a été très particulière, très intense. C'était même certainement la plus intense depuis Symphony [Of The Enchanted Lands] Part 1. D'autant que c'était la première fois que nous ne travaillions pas avec Sascha Paeth, après toutes ces années, mais avec Sebastian Roeder, qui s'occupait aussi de la sonorisation des concerts de RHAPSODY OF FIRE, et évidemment pour nous maintenant. Je ne sais pas s'il continuera à travailler avec eux, mais je suppose que ça sera le cas. Nous n'avons pas arrêté avec Sascha parce qu'il n'est pas bon, c'est un excellent ami de toute manière, mais… ça commençait à le fatiguer je pense. RHAPSODY n'est pas vraiment son style de prédilection après tout; au départ c'était une bonne chose d'avoir quelqu'un comme ça avec nous parce qu'un point de vue extérieur peut toujours apporter une meilleure production, mais petit à petit avec Alex nous avons commencé à produire les albums nous-mêmes et il avait de moins en moins de choses à faire. Au final il n'était plus tellement impliqué, et il nous a fait comprendre qu'il n'était plus tellement chaud pour ça, et nous avons compris que ça serait mieux comme ça. Sebastian adore notre musique après tout, il aime aussi NIGHTWISH et ce genre de groupes, tandis que Sascha préfèrera Frank Zappa, ce genre de musique. C'est une personne extraordinaire en tout cas, et il n'est pas question de ne plus être en contact avec lui !

J'ai aussi demandé à Dominique de m'aider cette fois, sans ça nous n'aurions jamais pu fournir le produit fini à Nuclear Blast avant la date limite. Nous avons travaillé jour et nuit pendant trois jours avec Sebastian, parce que nous n'avions pas le temps de dormir, c'était assez incroyable. Dominique a donc enregistré les parties de guitare rythmique, ici en France, ainsi qu'un dénommé Arnaud Ménard de Hiroshima Studio. En fait nous faisons beaucoup de choses en France maintenant, puisque qu'une partie de l'album a été enregistrée en France, nous répétons en France, etc.

(*) Depuis cet entretien, le début d'une tournée française a été annoncé, dont trois dates en France :
10.11.2012 BE Charleroi – Coliseum
12.11.2012 UK London – O2 Islington
14.11.2012 ES Bilbao – Sala Santana 27
15.11.2012 ES Madrid – Caracol
16.11.2012 ES Barcelona – Sala Bikini
22.11.2012 IT Bologna – Estragon
23.11.2012 IT Milan – Live Club
24.11.2012 IT Rome – Orion
25.11.2012 IT Treviso – New Age
26.11.2012 FR Lyon – Le Transbordeur
09.12.2012 FR Paris – Le Trabendo
10.12.2012 FR Strasbourg – La Laiterie

– Propos receuillis par Oshyrya et Polochon, en mai 2012.
Chronique d'Ascending To Infinity (Luca Turilli's Rhapsody). –