On sait que le rock rime peu avec l'âge et la vieillesse : un bon rockeur est jeune et fougueux. Et il a le bon goût de mourir vite pour ne pas souffrir des affres du temps. Or, il s'avère qu'après de très nombreuses péripéties – dont une des plus loufoques fut sans doute la période des deux Yes jusqu'à Union (1991) –, Yes est toujours en activité et qu'il s'agit du dernier géant du progressif qui tourne et enregistre régulièrement des disques. Alors que Genesis est en stand by et que le dernier avatar de King Crimson est plus que jamais un projet de Robert Fripp, les cinq musiciens de Yes sont là. Étant donné que le groupe a dépassé la quarantaine et ses musiciens la soixantaine, il serait facile de tomber à bras raccourcis sur les vétérans du rock progressif et de le railler copieusement. Toutefois, ça ne sera pas la démarche adoptée ici pour parler d'un disque auquel je ne croyais pas : Heaven And Earth. La mansuétude est donc de mise.
Un nouveau chanteur à l'aise
Mettons-nous d'accord d'emblée : oui, Heaven & Earth est a des années lumières de Fragile et Close To The Edge. Oui, l'inspiration n'est plus ce qu'elle était et les moments de bravoures sont rarissimes sur ce nouvel opus. Oui, le nouveau chanteur Jon Davidson n'est qu'un clone compétent de Jon Anderson. Oui, il n'y a aucune adace présente. Oui, Heaven And Earth est moins bon que son prédécesseur, le surprenant de par sa qualité Fly From Here. Mais le disque du retour de l'inattendu Geoff Downes avait un atout pour emporter la conviction : l'exhumation d'un long morceau très réussi, datant de plus de trente ans. Cette fois les membres de Yes ont dû composer entièrement cinquante-deux minutes de musique. Et le résultat n'est pas si mal.
De manière paradoxale, ce résultat tient surtout à la prestation de Jon Davidson. Cette prestation est très bonne. Si on admet son mimétisme avec Jon Anderson qui s'étend même jusqu'aux paroles mystico-philosophiques, on peut apprécier ses mélodies vocales et ses parties chantées qui tombent toujours très juste. « The Game », la très jolie ballade « To Ascend », ou « It Was All We Knew » sont des morceaux totalement portés par le chant de Davidson qui n'ennuie jamais. Le bonhomme est crédité sur quasiment tous les titres, ce qui démontre une créativité réelle.
Dur constat
Et heureusement que cette créativité est là, car du côté des quatres vieux briscards, Steve Howe, Chris Squire, Geoff Downes et Alan White, le bilan est bien plus sombre. Il y a très peu de parties musicales mémorables : un comble pour Yes… On retiendra le break bienvenu sur « Believe Again », mais qui aurait pu être tout de même développé plus. On remarquera l'introduction planante et agréable de « Light Of The Ages ». On s'attardera aussi sur la pièce la plus progressive qui clot le disque, « Subway Walls », où un peu d'ambition s'exprime là. Pour le reste du temps, les guitares se contentent de quelques mélodies, généralement plaisantes, sur les couplets et de quelques solos (« Step Beyond »). Les claviers de Downes restent eux d'un grand minimalisme, ce qui n'est pas surprenant si l'on suit aussi ce qu'il compose pour Asia. Quand à la section rythmique, elle n'est pas indigente mais on peut quand même attendre mieux de White et Squire au jeu bien linéaire souvent.
Sur Heaven & Earth, la durée plutôt longue des morceaux est surtout due à la lenteur des tempos : pas de folie à l'horizon donc. De telle sorte, qu'en fait la musique sonne plutôt comme de la pop un chouïa ambitieuse que comme celle d'un groupe qui a produit jadis des choses aussi monumentales que Relayer (1974). On ne peut que le déplorer et j'en suis un peu triste personnellement. Mais il faut reconnaître que le groupe ne peut, sans doute, viser autre chose à ce jour, sans se planter complètement. Dur et réaliste constat, mais relevons aussi que la musique du groupe s'écoute agréablement et qu'il n'en a pas sur le fond à rougir.
Baptiste (6/10)
Site officiel
Frontiers / 2014
Tracklist (52:00) : 1. Believe Again 2. The Game 3. Step Beyond 4. To Ascend 5. In A World Of Our Own 6. Light Of The Ages 7. It Was All We Knew 8. Subway Walls