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11 mai 2022 : les réseaux sociaux annoncent le décès de Trevor Strnad. Je prends la nouvelle comme si on venait de m’annoncer la disparition d’un pote dont je me sens terriblement proche mais à qui je n’ai jamais parlé. Et je constate que je suis loin d’être le seul à vivre cela de cette manière. Comme me le confiait Patate, par exemple : « La disparition de Trevor m’a vraiment touché. Bien plus que celle de Lemmy. Lemmy, on sentait bien qu’il était plus proche d’une partie de poker avec Jésus que d’une tournée avec Judas ». Une sorte de chape de plomb qui a mis beaucoup de temps à se dissiper sur une communauté. Une figure emblématique, un geek puissance 1.000 du death metal ; un gars qui a largement contribué à la reconnaissance de ce style ces 15 dernières années et à l’émergence de tas de groupes. Le gars était un pilier du groupe, sa voix sur plaque, sur scène et en dehors. Et quels que soient ces domaines, il était devenu une référence tant ses compétences et son style étaient devenus reconnaissables. Il était également le seul membre originel restant avec Brian Eschbach, guitariste rythmique de la formation. On pouvait donc assez logiquement craindre pour l’avenir de ces petits anges noirs.

C’est donc avec le poids de cet héritage que The Black Dahlia Murder a repris le chemin des studios. Attendu par certains comme d’autres attendent un nouvel album de Bon Jovi (ou de Gojira), cette nouvelle plaque de The Black Dahlia Murder suscitait des attentes pour les fans teintées d’une réserve légitime sur la capacité du nouveau line-up à se passer de leur précédent leader. Si le transfuge d’Eschbach de la gratte au micro résonne comme quelque chose de logique en termes d’héritage et de légitimité, les craintes d’avoir une formation avec un chanteur d’une division inferieure pouvait assez logiquement s’entendre vu le niveau du gaillard qui officiait précédemment.

A contrario, le retour de Ryan Knight dans l’équipe augurait quand même de belles choses. Si Brandon Ellis est un soliste de niveau « wallah », Knight est quand même celui qui a permis au groupe d’acquérir ses lettres de noblesses. Après la sortie des premiers vidéos live du retour sur scène du groupe et de la sortie des premiers singles, les inquiétudes qui concernaient les capacités vocales de Brian Eschbach ont été balayées.

À l’écoute de Servitude, une chose saute aux oreilles : The Black Dahlia Murder n’a rien perdu de sa force de composition. Ils sont mêmes revenus à quelque chose de plus tranchant et direct qui rappelle les premières heures du groupe. Les solos sont à la hauteur de l’équipe des 6 cordes, ça envoie dans la plus pure tradition du genre. Les mecs ne dérogent à aucune des règles qui ont fait du groupe une valeur sure du genre. Cassidy n’a toujours pas décidé d’être chiant à la batterie, le flow et les passages aigus/ graves d’Eschbach sont largement à la hauteur. Mes préférences perso’ vont vers les deux singles « Aftermath » & « Panic Hysteric » ainsi que « Transcosmic Blueprint » pour ces passages solos qui sortent du lot.

Servitude n’est pas un album à la gloire de celui qui est parti, c’est la marque d’un groupe qui est passé par le bûcher et qui revient avec un petit sourire en coin pour démontrer qu’il avait assez de ressource pour revenir plus déter’ que jamais à provoquer des courbatures de nuques. Les prestations scéniques du groupe sont d’ailleurs largement à la hauteur tant au niveau musical qu’en termes d’ambiance.

Le roi est mort, longue vie aux rois !

Kadaf (8/10)

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Metal Blade Records / 2024
Tracklist (32:32) 1. Evening Ephemeral 2. Panic Hysteric 3. Aftermath 4. Cursed Creator 5. An Intermission 6. Asserting Dominion 7. Servitude 8. Mammoth’s Hand 9. Transcosmic Blueprint 10. Utopia Black

Hangman’s Chair aurait pu s’enfermer malgré lui dans le sillon du « groupe préféré de ton groupe préféré ». Une sorte de secret bien gardé, qui en aurait fait un groupe underground français connu des quelques baroudeurs de salles de concert sombres et des aficionados des sons pointus. Mais c’était sans compter sur cette putain d’intelligence musicale qui caractérise l’évolution des compositions du groupe depuis son premier album en 2007. En 2015 This is not supposed to be positive avait déjà ouvert la voie à de compositions plus subtiles, mieux construites et mieux produites. Après quelques secondes de Banlieue Triste, on sent immédiatement que le groupe a continué de travailler dans ce sens.

Les thématiques de prédilections du groupe sont toujours bien présentes, ce qui change c’est la manière de nous emmener. Cet album assoit encore un peu plus l’identité du groupe avec une écriture que je qualifierais de « cinématographique ». Chaque morceau semble proposer un tableau différent, dans une cohérence générale très bien maîtrisée.  Et puis à l’heure du catchy et des plaisirs immédiats, Hangman’s Chair s’inscrit à contre-courant et prend encore plus le temps. Ils installent le décor, articulent doucement leur propos et construisent un univers sonore… presque visuel : on ose les répétitions, les longueurs et les structures complexes. À l’image de « 14/09/16 » et de « Tired eyes » qui s’articulent en plusieurs parties distinctes. Mention particulière au second qui en 8 minutes 13 traduit le travail d’orfèvrerie dont ces quatre mecs sont capables pour installer des ambiances, viser juste et ne jamais emmerder leur auditeur. Ce morceau marque également une collaboration très réussie avec Pertubator, producteur de musique électronique parisien oeuvrant dans un univers indus, synthwave (je découvre ce dernier style en rédigeant ces lignes).  Les différents morceaux instrumentaux sont justes sublimes et apportent une vraie plus-value à l’album : Banlieue triste offre une ouverture en fade in ; quand « Tara » démarre comme une composition reznorienne et que « Sidi Bel Abbes » vogue entre désert song et mélancolie et signe la seconde collaboration du groupe avec le guitariste belge Mongolito.

Côté production, ça sonne très organique. Du relief, des instruments bien mis en valeur et une voix toujours au top qui devient une belle signature du groupe.

En fait, la musique de Hangman’s Chair a toujours eu l’art de plonger dans l’intimité noire de personnages dont le point commun était le désœuvrement et le désespoir ; des B.O. de docu sociaux qui passe sur Arte tard le soir, et encore…  Là où Banlieue Triste enfonce un clou supplémentaire c’est dans la poésie que les morceaux insufflent dans la sincérité et la rudesse des réalités qu’elle décrit.

Dans une interview, le guitariste répondait à la question « est-ce l’album de la maturité ? » en disant « c’est l’album de la retraite ». On verra ce qu’ils en feront, j’espère que c’est un trait d’humour, car je suis déjà curieux de voir quelle sera la prochaine étape de l’évolution musicale de ce groupe qui est, selon moi, le fer-de-lance du rock made in France.

Kadaf (8.5/10)

 

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Track list (67:18) : 1. Banlieue triste, 2. Naïve, 3. Sleep Juice, 4. Touche the Razor, 5. Tara 6. 04/09/16, 7. Tired Eyes (feat Pertubator), 8. Negative Male Child, 9. Sidi Bel Abbes (Feat Mongolito), 10. Full of Ashtray.

Nasty – Realigion

Dans la catégorie « Groupe qui ont bien choisi leur nom », il est difficile de départager qui de Nasty ou Tragedy occupe la première place. Si le second a logiquement connu une carrière éphémère (et on s’en réjouit),  Nasty affirme, sortie après sortie, son statut de poids lourd dans le paysage Hardcore européen. Entre leurs prestations scéniques musclées, la qualité des albums pondus, et un marketing intelligent, le quatuor germanophone a su développer une fanbase solide et une identité atypique.

Car si Nasty sait faire une chose, c’est jouer avec les codes. Entre la musique hargneuse, les tenues hip hop, un univers visuel « musclé », l’esthétisme brut et soigné, Nasty pourrait juste être un groupe de hardcore inventif. Mais le vrai génie du groupe a toujours consisté dans sa volonté de surprendre, au risque de dérouter leurs fans. La première tentative franche date de leur album Love pour lequel le chanteur d’Evergreen Terrace avait collaboré en voix clairs sur un morceau. Cela avait provoqué des critiques de la part de puristes. Mais Nasty avait intelligemment évité de rentrer dans le jeu des justifications, assumant ces choix de collaboration au nom d’un principe d’autorité. Un groupe habitué à distribuer des coups de pied dans la fourmilière hardcore, parfois enfermée dans ses propres clichés. Et il semble que le menu de Realigion ne contredira pas cet état d’esprit.

Avec leurs deux premiers titres (F.Y.W. et Rockbottom), Nasty annonce la couleur. C’est direct, ça sent la rage, le crachat et le beatdown.  At war with love (morceau sorti il y a un an) enchaine avec tous les ingrédients qui ont fait la renommée du groupe : alternance de bpm, refrain qui reste dans l’oreille, flow rageur et intention de s’assoir sur les visages et d’y faire ce qu’ils veulent. Et ce sentiment de toute puissance, c’est plus ou moins ce qui transparait de tout cet album. Le groupe est chez lui partout, par principe. Nasty investit l’espace sonore comme il investit une scène : il n’y a pas de place pour les questions. Les titres se succèdent avec une facilité assez déconcertante. Forgiveness (clippé) confirme son efficacité, et le morceau Realigion, en featuring avec J.J. de Deez Nuts, nous gratifie même d’un superbe Nasty, Deez Nuts, from New York to La Calamine,  qui me vend du rêve par tonneau. La Calamine étant un bled de 18km² à l’est de la Belgique. Preuve qu’il n’est pas nécessaire, en hardcore, de venir des grandes villes pour devenir une pointure. La production est impeccable, c’est tranchant, efficace et le mix cohérent avec les intentions de l’album. Les sonorités métales font encore partie du cru 2017. À l’image de Prediction qui laisse plus de place à cette part de leur musique. Mais une fois encore, le mélange est habile, sans jamais tomber dans les pièges d’un metalcore convenu. Le morceau permet de respirer dans la déferlante de titres marqués du sceau du beatdown, toujours omniprésent tout au long de l’album. Par contre, on dépasse rarement les 2 minutes par morceau, pour durée totale de 28 minutes pour 13 plages. C’est un peu maigre, même si c’est intense à souhait.

Si jusqu’à présent Realigion ressemble fort à un album de très bonne facture, c’est sans compter sur les petits extras que Nasty a pris soin d’élaborer. Ils prennent la forme de morceaux remixés ou inédits, disponibles  dans le box collector, ou sur spotify. Le clip Zeit sorti moins d’un mois avant la sortie est un superbe exemple de contrepied dont le groupe à l’habitude. Les mecs se transforment le temps de ce morceau en groupe de rap tendance PNL. Quand on sait les débats qui existent autour de ce même groupe de rap français au sein même des acteurs de ce mouvement, on mesure plus ou moins que l’initiative de Nasty est un superbe contrepied à leur propre marketing ultra codifié. Un second degré implicite que l’on remarque également dans ce remix eurodance de leur morceau d’intro, F.Y.W.. Le reste est à découvrir sur spotify ou en s’offrant le box édition limitée.

Realigion est donc un putain de bon album pour tous les amateurs de méchanceté. Il est un album dingue pour tous ceux qui aiment la méchanceté et le second degré. Sur la forme, ce nouvel album ressemble donc à une sorte d’ode à la liberté de penser et au fait d’assumer intelligemment ses choix jusqu’au bout.

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Kadaf (8/10)

Tracklist (28min): 1. F.Y.W.  2. RockBottom  3. At war with love  4. Drty FNGRZ II  5. Forgiveness  6. Realigion (feat jj, Deez Nuts) 7. At Night  8. Interlude 9. Prediction 10. Welle (feat Samis, Reduction) 11. In defeat (Alex & Konan, Malvolence) 12. Outro  13. Babylon (feat Makoto, Sand)