Il aura fallu huit longues années pour que Metallica sorte enfin un nouvel album. Les multiples réactions sur Internet, les commentaires et le traitement médiatique de chaque petit bout d’information qui parvenait au monde sont les témoins de l’attente énorme qu’il y avait autour de ce Hardwired To Self Destruct. Il faut dire que les bougres sont passés maîtres dans l’art du teasing. Et vas-y que je balance un riff, puis une vidéo de studio, puis un titre enfin…
Alors, bon sang, à quoi ressemble ce dixième album des Four Hoursemen ?
Eh bien, ne boudons pas notre plaisir, on ne va pas se le cacher : il est excellent. Depuis quelques jours, Metallica nous a abreuvés de clips, un pour chaque titre, et bon nombre de journalistes ont déjà pu écouter l’album en entier. Les avis sont en grandes majorités positifs. Et il y a de quoi.
Sorti en 2008, Death Magnetic était un mieux après la sortie du catastrophique St. Anger, mais il était loin d’être parfait. Même pas vraiment bon. C’est un album que j’ai à peine écouté depuis sa sortie. On a beaucoup critiqué le son et la longueur des morceaux, et à raison. Mais au-delà de ces remarques, il faut bien reconnaître que les titres sont parfois caricaturaux et, à la réflexion, si un groupe lambda avait sorti un tel album, il y a peu de chances qu’on aurait parlé de lui. Ne parlons pas de Lulu, qui est en fait un album de Lou Reed avec Metallica comme musiciens, et non une galette de Mets à proprement parler. Beyond Magnetic sorti en 2012 ne contient que des faces B de Death Magnetic qui ne sont ni meilleures ni moins bonnes que ce qui était apparu 4 ans plus tôt. Avant cela, il y a eu un live magnifique, S&M, mais un live seulement. Un album de reprise (Garage Inc.) et deux albums alternant le moyen et le mauvais (Load, Reload). Il faut donc remonter à 1991 et l’incroyable album éponyme, surnommé Black Album, pour trouver quelque chose qui satisfasse les fans de Metallica…et on sait combien cet album a divisé. Beaucoup de fans attendent donc un truc un peu correct depuis 1988 (And Justice…). Certains sont probablement morts d’attente depuis cette date.
Bon sang, c’est quoi ce son ?
Première écoute de Hardwired… et première déception. Metallica semble n’avoir retenu aucune leçon de Death Magnetic à propos de la production. L’album est toujours aussi compressé, on est toujours en plein dans la Loudness War, le son est toujours aussi fouillis, mal défini. La batterie et le chant sont toujours trop forts par rapport aux guitares et le pauvre Trujillo est encore une fois aux abonnés absents, hormis un petit solo vers 2.45min sur « Spit Out The Bone »…
Quand on y pense, c’est assez incroyable que le groupe de rock le plus riche du monde, ou peu s’en faut, équipé d’un studio personnel qui a coûté des millions de dollars et probablement entouré d’un tas de professionnels, n’est pas capable de faire sonner correctement sa musique. Pourtant, en lisant les commentaires ici et là, je trouvais des dizaines de « whaou, ça sonne !». Et bien non, non, non. Le mastering est merdique et ceux qui ne sont pas d’accord avec moi ont les oreilles qui vont avec ce mastering… Jugez plutôt avec des deux exemples.
Il s’agit des titres « Atlas Rises » et « Moth Into The Flames » une fois qu’on les ouvre avec Audacity et qu’on affiche la saturation (ou le clippage) en rouge. Tout ce qui est rouge et qui sature, c’est autant d’informations musicales purement et simplement perdues puisque tout ce qui dépasse a été coupé. Amusez-vous à écouter cet album sur Audacity et vous remarquerez très vite que les parties où l’on entend correctement chaque instrument sont les parties dynamiques, non saturées et sans clippage. Le début de « Halo on Fire », et les parties les plus calmes, sont un bon exemple de comment sonne cet album quand il ne sature pas. Et contrairement à ce qu’on peut penser, on peut aussi masteriser des parties très énervées sans les faire clipper, ce n’est ici qu’un mauvais hasard que les parties calmes soient aussi les parties les plus dynamiques.
L’album semble manquer de basses la plupart du temps, alors que si on observe le spectre de « Atlas Rises », on voit bien qu’il y en a. Et même beaucoup. Mais à cause du manque de définition, vos enceintes ou votre casque sont incapables de les restituer correctement. C’est flagrant en écoutant l’album au casque en augmentant artificiellement les basses avec l’égalisateur du lecteur (ampli, ordinateur ou téléphone) : la musique devient chargée de sub-basses agressives qui font mal aux oreilles. Et pourtant, on n’entend pas plus la basse de Bob. Contrairement à ce qu’on peut lire, cela n’a rien d’un « gros son », c’est un mauvais son qui est tout le temps « à fond » et qui donne une impression d’envoyer du pâté alors que c’est de la soupe en gros morceaux mal mixées. En fait, c’est mou. Ouvrez-vos oreilles, les gens !
Hetfield and Co sont au taquet
Mais si le son de cet album est à mon avis très décevant, et je pense l’avoir démontré, il en va tout autrement de l’écriture des chansons. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : c’est le meilleur album de Metallica depuis 1991. Hardwired … est dix fois supérieur à Death Magnetic, tout simplement.
James Hetfield nous a habitués à être une machine à riffs, on connaît ses capacités et son excellent jeu de guitare rythmique. Les bons riffs de cet album ne sont pas une surprise, mais encore fallait-il les transformer en bons titres. Le riff principal de "Am I Savage" est lourd, très moderne et à la hauteur du nom de la chanson : sauvage. Mais la vraie surprise du côté de James est son chant qui a énormément progressé. Sur « Dream No More » il est presque méconnaissable, il n’avait jamais chanté de cette façon, avec cette voix et ce style. Sur « Halo On Fire », il chante réellement, je veux dire de manière « classique » et il chante bien. Il a une belle voix le bougre. Quant à ses lignes de chant, j’ai été agréablement surpris tout au long de l’album et je suis extrêmement impatient d’aller chanter à tue-tête en live l’excellent refrain très mélodique de « Moth Into The Flame » (Sold your soul/Built a higher wall/Yesterday/Now you’re thrown away).
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est le côté très 80’s de cet album. Des titres comme « Here comes Revenge », « Halo on Fire », « Moth Into The Flames » et bien entendu « Hardwired… » n’auraient pas complètement dénoté sur un Ride The Lightning. Avec « Spit Out The Bone », on retrouve toute l’énergie folle de Kill’em All. En 2008, de nombreux commentaires avaient déjà fait remarquer que “Metallica retournait à ses racines”. J’ai peut-être dû le penser aussi, je ne m’en souviens pas trop, mais avec le recul, cela sonne faux à mes oreilles, surtout en écoutant la livraison de 2016. Voilà un truc qui sonne comme le grand Metallica !
Une blague récurrente depuis les premières notes de Hardwired est le « Lars Ulrich a-t-il travaillé ? » tant il semblait que Lars était pas mal sur ce que le groupe laissait écouter depuis quelques mois. Le batteur des Mets est plus connu pour son énervement contre Napster que pour son jeu de batterie, sa fameuse cymbale China à part, dont il use et abuse sans cesse. Alors, bien entendu, en studio c’est facile. La plupart des commentateurs du jeu de Lars ne critiquent pas la manière dont il frappe sur les albums des 80’s, mais la façon dont il les joue en live aujourd’hui (avec quelques exceptions comme sur le DVD Français Pour Une Nuit ou je trouve que, notamment sur « Blackened », il est vraiment très bien). Sur ce Hardwired… To Self Destruct, Lars est bien plus inspiré que sur Death Magnetic. On a même droit à du blast en règle sur « Spit Out The Bone ». Globalement, je me suis dit plusieurs fois qu’il a un peu retrouvé un jeu aux pieds corrects.
Il y a bien entendu quelques trucs qui me dérangent chez le Danois. Par exemple les titres les plus progressifs comme « Halo On Fire » manquent cruellement de parties excitantes à la batterie. C’est le genre de titre où l’on remarque véritablement son jeu limité et répétitif. Ou encore cette double pédale triggée n’importe comment sur l’introduction de « Now That We’re Dead » qui a un son crapuleux. Ce même morceau d’ailleurs qui est à mon avis le plus faible de l’album. On dirait une caricature de Hard FM. Le riff est lent mais pataud. Mais sur ce genre de titre plus Hard que Metal, Lars Ulrich fait un bon job. Certes, c’est du simple « tchak boum » sur une mesure en 4/4 mais l’écrasante majorité des batteurs du style ne jouent pas différemment. Ce qui me fait penser que Lars n’est sans doute pas un grand batteur de Metal mais un bon batteur de Hard Rock… (là je m’attends à ce que tous les fans de Hard Rock me sautent à la gorge en me disant que Bonham, hein, c’est du Hard mais c’était aussi un putain de batteur). A revoir en live !
Kirk Hammett, on le sait puisqu’il l’a répété dans plusieurs interviews, s’est contenté ici de faire les soli. Tout, ou presque, a été composé et enregistré en majorité par James et Lars (et Bob qu’il ne faut pas oublier). Mais ce Kirk Hammett là m’a donné des frissons ! Jamais je n’avais pensé qu’il pouvait encore sortir des soli de guitares aussi beaux, j’avais perdu la Foi dans ce type qui, alors âgé de 21 ans, avait été capable de faire un solo complètement fou, presque hors propos, sur « No Remorse » (Kill’em All). Ici, ses parties de guitares mélodiques sur « Halo On Fire » m’ont laissé bouche bée tellement je trouvais cela magnifique. Les notes longues et bien choisies de son solo m’ont fait pensé à du Gilmour, le son caractéristique de Pink Floyd en moins. Sur « Moth Into The Flame » ou sur « Spit Out The Bone », on retrouve l’énergie du Kirk des 80’s et sa wha caractéristique. Le très Maiden « Atlas, Rise ! » nous offre un autre grand Hammett à plusieurs visages. Tantôt rapide, presque shredder, tantôt mélodique. C’est aussi sur ce morceau qu’on peut entendre James et Kirk jouer un solo à l’unisson, comme à la grande époque des Ride et Master.
En guise de conclusion
Cet album n’est pas parfait, certes. La production est ratée, je l’ai dit. Un morceau comme « Now That We’re Dead » est trop faiblard par rapport au reste… mais ce reste, justement, est vraiment d’excellente facture. « Moth Into The Flame » est probablement un futur classique, avec « Halo on Fire », deux excellentes chansons. Malgré un album globalement classique, Metallica tente parfois quelque chose d’un peu différent (« Dream No More »), et ça fonctionne. James est l’un de mes songwriters préférés, ses textes sont souvent bien écrits. Ici, il ne déroge pas à la règle bien qu’à mon avis « Here Comes Revenge » sonne un peu trop comme un ado en rébellion (Here comes revenge/Just for you/Revenge/You can’t undo Revenge/Set me free/ Eye for an eye/Tooth for a tooth/..You ask forgivness/I give you sweet revenge/…), il nous a habitués à mieux et notamment l’excellent « Confusion » qui traite du syndrome post-traumatique chez les soldats.
Il y quelques clins d’œil aussi qui méritent d’être soulignés. Comme dit plus haut, d’abord un petit rappel à Iron Maiden avec « Atlas, Rise ! ». Ensuite, un double hommage avec « Murder One », d’abord à Lemmy Kilmister, on s’en doute avec un nom pareil (et des paroles qui reprennent plusieurs tubes du groupe) mais aussi en guise d’introduction les arpèges quelque peu modifiés de « One » (And Justice for All…).
Un bon Lars, deux excellents James et Kirk et un Bob qu’on devine bien groovy dans les parties que l’on peut entendre de lui et des compositions globalement d’un très bon niveau, moi je dis : merci les mecs, on y croyait plus.
Poney (08.5/10)
Blackened Recordings – Universal Music / 2016
Disc 1 (37:36)
1. Hardwired 2. Atlas, Rise! 3. Now That We're Dead 4. Moth into Flame 5. Dream No More 6. Halo on Fire
Disc 2 (39:53)
1. Confusion 2. ManUNkind 3. Here Comes Revenge 4. Am I Savage? 5. Murder One 6. Spit Out the Bone