À chaque nouvelle livraison, Silence régale les amateurs d'AOR par sa musique qui sait se faire aussi bien élégante qu'énergique. Après quatre ans d'attente à la suite d'Open Road, le duo moteur de Silence, Ben Venet et Bruno Levesque a répondu à nos questions à propos de ce nouvel opus, le très réussi City.
Metalchroniques. Quatre ans ont séparé votre nouvel album de votre disque précédent, Open Road. C'est à peu près la même durée que vous avez prise pour enregistrer cet album après Nostalgia (2005). Pourquoi un tel délai ? N'avez-vous pas peur de de risquer à chaque fois d'être perdu de vue ?
Bruno. Non, les fans de Melodic Rock et AOR sont très fidèles ! Pour ma part, j'aime prendre le temps qu'il faut pour aboutir au meilleur résultat possible. Slience n'a jamais vraiment de contraintes de temps, alors j'en profite. Cela me permet de travailler comme un « artisan », sans pression extérieure. C'est un privilège, même si au bout d'un certain délai, il faut savoir dire : « stop, là, c'est bon ! ». Bien sûr, nous pourrions sortir un album tous les ans, mais ce serait prendre le risque d'être moins satisfaits du résultat global, de faire du « remplissage » coûte que coûte, et ça, nous ne le voulons pas. Et puis bon, 2 albums d'un coup, on se rattrape ! (rires)
Ben. Il ne faut pas oublier non plus que le délai entre Nostalgia et Open Road est aussi dû au départ de Jérôme Cazard, l'ancien chanteur pour lequel Bruno a du trouver un remplaçant… moi en l'occurrence (rires). Bruno et moi nous sommes rencontrés fin 2006. Comme il vit à Nantes et moi à Bruxelles, nous travaillons principalement à distance, ce qui allonge fortement le processus créatif. Pour Open Road nous nous sommes immédiatement mis au boulot et l'album était prêt dès l'été 2007. Ensuite il a fallu trouver un label, négocier etc., ce qui a pris de nombreux mois avant que l'album ne sorte, si ma mémoire est bonne entre mars et juin 2008.
Suite aux nombreux soucis rencontrés avec le label de l'époque, Kivel Records, qui nous a purement et simplement escroqués, nous avons fait une pause de quelques mois avant de nous remettre au boulot pour Silence.
Nous avons également bossé à deux sur une commande de single en français et anglais pour une chanteuse anglaise connue qui devait sortir un album de duos en français avec des grands noms de la chanson française. Malheureusement ce projet qui nous aurait permis de nous faire connaitre du « grand public » n'a finalement pas abouti, pour des raisons financières uniquement liées au label, qui est pourtant une major…mais le marché du cd actuel est malheureusement ce qu'il est… Parmi les nombreux titres composés pour ce projet, plusieurs ont été gardés et réadaptés pour Silence.
Nous ne nous sommes donc pas tourné les pouces pendant quatre ans, loin de là, même si nous bossons réellement sur les titres de City depuis fin 2009. L'enregistrement de l'album était initialement prévu pour juillet 2010 mais a du être reporté vu nos emplois du temps respectifs très chargés. A cette époque nous avions déjà une quinzaine de titres en chantier mais Bruno a continué à composer et, même après avoir laissé de nombreuses idées de côté, nous nous sommes finalement retrouvés avec 22 titres définitifs après la session d'enregistrement au studio de Bruno à Nantes en juin 2011.
Si certains titres étaient déjà presque totalement terminés depuis 2010 comme « Lift Me Up », « Drifting Away » ou « Brand New Start », dont les vocaux ont été enregistrés dans mon home studio en 2010, la plupart des autres titres étaient uniquement instrumentaux ou, pour certains comme « Ghosts » et « Insomnia », de simples ébauches encore à l'état de « chantiers ». Il a donc fallu, en une semaine, finaliser des structures, composer des lignes de voix et écrire des paroles pour une quinzaine de titres. Nous ne pensions vraiment pas arriver à en enregistrer autant dans un délai aussi court mais cette semaine a été tellement intense que l'inspiration est restée constante. Autant dire que ce fut un travail très intensif et que nous avons très peu dormi cette semaine là, enchaînant les nuits d'écriture et de mixage aux journées d'enregistrement, ou l'inverse… Bruno étant extrêmement perfectionniste, les titres ont encore connu plusieurs modifications et améliorations après cette session pour arriver au résultat final.
Comment est venue l'idée de ne pas faire un album, mais deux, ou plus exactement un album en deux parties ?
Bruno. Ben et moi n'avons pas toujours pu être raccord avec nos emplois du temps respectifs. Pendant de longs mois, j'étais dispo mais pas lui, et vice versa. Au bout d'un certain temps, les titres ce sont accumulés… et on s'est vite retrouvé avec une trentaine de morceaux. Le temps passant, on s'y était attaché ! On a commencé à se prendre la tête à faire des playlists de 13 ou 14 titres, avec des bonus tracks, etc. Mais à chaque fois ça finissait toujours par « des "ah non non non, on ne peut pas virer celui-là ! » (rires) Bref. L'idée d'un double album a alors germé, tout en pensant qu'aucun label n'accepterait (vue la conjoncture actuelle). Cela s'est finalement concrétisé lors des pourparlers avec Tom Mathers de Perris.
Ben. L'idée d'appeler l'album City, par opposition au précédent (Open Road) date de 2009. L'idée des deux albums s'est imposée d'elle même dans la mesure où nous ne parvenions absolument pas à nous mettre d'accord sur une tracklist limitée à une douzaine de titres. Nous avons donc envoyé les vingt-deux titres aux labels en leur laissant le choix (un album avec titres à déterminer, un double, deux sorties espacées, etc.). Plusieurs labels étaient intéressés mais ne voulaient sortir qu'un seul album… Ceci explique entre-autres le long délai entre la finalisation de l'album vers septembre 2011 et sa sortie en mai 2012. Quand Tom de chez Perris Records nous a dit qu'il était emballé par une sortie double nous n'avons pas hésité un seul instant et avons signé les yeux fermés, trop heureux de ne plus avoir à choisir parmi nos « bébés » (rires). Nous avons alors trouvé l'idée de séparer City en deux: d'une part « Days », globalement plus positif et, d'autre part « Nights », plus sombre et légèrement plus orienté hard rock que son jumeau AOR.
Le titre et l'artwork de l'album évoquent explicitement le monde urbain, la ville. Y a-t-il une forme de concept album derrière tout cela ?
Bruno. Pas de concept en tant que tel, mais plutôt une sorte de réponse au précédent album
Open Road. Le « quand on arrive en ville » de Starmania m'avait traversé l'esprit. Le concept visuel d'
Open Road était assez « country » et « grands espaces ». Alors l'aventure continue en ville, dans toute la complexité qui la caractérise, notamment son côté sombre (« Jenny », « Insomnia »…), mais tous les titres ne parlent pas de ce thème, loin s'en faut, même si un morceau comme « Business » peut s'y rattacher.
Ben. Au départ je voulais écrire des histoires avec des personnages récurrents qui allaient se croiser et interagir au cours de l'album. Ces personnages existent mais leurs identités et leurs liens ne sont finalement pas explicites pour ne pas limiter la portée des textes et laisser une certaine place à l'interprétation. J'aime les textes « ouverts » dans lesquels chaque auditeur pourra trouver une signification différente selon son vécu, son humeur… Un « vrai » concept album aurait limité Bruno dans son travail de composition… la musique aurait du « coller » à l'histoire alors que nous travaillons exactement en sens inverse puisque mes textes sont écrits sur une base de musiques et structures déjà établies par Bruno.
Une des grandes forces de l'album tient aux paroles. Si certaines sont plutôt légères, d'autres sont dotées d'une vraie force évocatrice (« Footprints », « Jenny »). Cela tranche par rapport aux habitudes de l'AOR, où les paroles sont rarement soignées…
Ben. Merci ! Ce commentaire me fait énormément plaisir dans la mesure où j'attache beaucoup d'importance aux textes même s'il est vrai que dans ce genre musical ils passent souvent au second plan, loin derrière la musique. J'essaye d'évoquer certaines choses sans les imposer à l'auditeur… de garder ce côté « ouvert » qui laisse de la place à l'imagination de celui qui écoute et le fait, d'une certaine manière, participer au morceau. Cela rend sans doute certains textes un peu moins « terre à terre », même si ca ne fonctionne pas à tous les coups.
Comment avez-vous organisé vos chansons pour obtenir deux albums – City (Days) et City (Nights) ? Vous n'avez pas procédé au hasard… Avez-vous chercher à créer des ambiances différentes ?
Bruno. On a essayé de dispatcher les titres le mieux possible, afin d'éviter tout déséquilibre, trop « cool » ou trop « rock »… Des titres comme « Drifting Away » ou « Beggars Day » se sont vite imposés comme les titres d'ouverture. Au final, « Nights » est un peu plus rock et sombre que « Days », ce qui est tout à fait légitime. (clin d'œil)
Ben. Placer tout le rock d'un côté et tout le calme de l'autre aurait effectivement abouti à deux setlists ennuyeuses. Nous avons fait le découpage en fonction des ambiances et des thèmes abordés mais comme tout n'est jamais tout blanc ou tout noir, « Days » renferme quelques titres plus sombres et « Nights » quelques titres plus doux, le tout étant mélangé comme le yin et le yang.
Comment se passent la composition et l'enregistrement lorsque la moitié du groupe vit en Belgique et l'autre en France ? Je vous imagine par ailleurs bien occupés à côté…
Ben. Bruno bosse sur les instrumentaux seul chez lui puis me les envoie dans leur version quasi définitive. De mon côté je bosse (dès que je peux) sur les mélodies vocales, que nous retravaillons ensuite à deux et j'écris la totalité des textes. Après ces nombreux échanges de fichiers qui nous permettent de faire évoluer nos démos, nous essayons de nous voir au même endroit pour enregistrer les prises de voix définitives.
Bruno. A notre époque, internet réduit beaucoup les problèmes de distances. Les premières démos peuvent se faire par webcam, on s'envoie les idées par mp3, notamment différentes idées de mélodies vocales que l'on compare avant de choisir la meilleure, la plus efficace… Mais pour l'enregistrement final, on se voit toujours. Ben est venu une semaine chez moi pour finaliser. Ce fut intensif ! Mais une grande part du travail étant faite en amont, cela s'est bien passé. Au final, même si certains titres ont néanmoins été enregistrés chacun de notre côté, c'est quand même plus sympa de se voir ! (sourire)
Ben. Non seulement c'est plus sympa mais c'est également nettement plus productif… J'ai tendance à remettre au lendemain ce que j'aurais du faire la veille ou 6 mois auparavant, ce qui n'est plus possible quand Bruno est à côté de moi dans la même pièce et que ca fait des mois que je lui fais croire que les titres sont « presque terminés » alors que je n'ai encore rien fait… C'est là que la magie opère et que tout vient à peu près instantanément, mélodies et textes. Je ne travaille bien que sous pression contrairement à Bruno qui prend son temps mais a toujours vingt titres d'avance sur moi (rire)
Bruno. Exact ! Enfin des aveux publics ! (rires) On a d'ailleurs comme prochain projet de sortir un « best of », avec des anciens titres réarrangés de fond en combles. Promis, on le sortira avant 5 ans ! (rires).
Malgré l'importance du matériau composé, on trouve deux titres apportés par des compositeurs extérieurs sur City : Frédéric Slama et Mark Spiro. Pourquoi avoir fait appel à eux ?
Bruno. Nous sommes de grands fans de Mark Spiro depuis de nombreuses années. Il y a longtemps que je voulais réaliser une cover de l'une de ses meilleures chansons (il y en a tant !). Nous avons donc opté pour « Guardian Angel ». Il a d'ailleurs beaucoup aimé notre version.
Quant à Frédéric Slama, c'est un ami, et nous ne pouvions que collaborer un jour ou l'autre ! Il m'a proposé la démo de « Just One Kiss » en me laissant carte blanche quant aux arrangements. Au final, cette chanson figure sur nos derniers albums respectifs, la version d'AOR étant interprétée par Philip Bardowell.
Bruno, tu joues de tous les instruments sur l'album… Sans remettre en cause ce choix, n'as-tu jamais été tenté de faire appel à des invités ponctuellement sur certains titres pour leur donner des couleurs plus variées ?
Bruno. J'invite ponctuellement des amis guitaristes à se lâcher sur des solos ici ou là. Notamment Eric Dupré, avec qui j'ai sorti l'album instrumental Premonition sous le nom de L.D.FUSION il y a quelque temps. Mais aussi Denis Paufique, guitariste du groupe Stratagème. Tommy Denander fait également une apparition solo sur le titre « Drifting Away ». J'aime ce genre de collaboration. Mais pour le reste, il est vrai que j'aime m'occuper de tout. J'ai la chance de pouvoir jouer de plusieurs instruments, ce qui rend la chose possible. Néanmoins, la carrière de SILENCE est assez atypique et les couleurs sont radicalement différentes selon les époques. Je compose en fonction de mes envies, avec une couleur dominante, mais il n'y a pas de carcan véritable. Selon le feeling du moment, je compose aussi bien sur guitare (électrique ou acoustique) que sur claviers. Certains titres peuvent même naître d'un simple loop de batterie.
Bruno, tu es un musicien plus qu'expérimenté. Même si avec Silence, tu ne t'imposes pas de limite car tu n'a pas de contraintes commerciales, n'y a-t-il des contraintes musicales qui fait que tu serais incité à t'exprimer aussi à côté du groupe ?
Bruno. Tu as tout à fait raison. Même si Silence reste mon projet principal, il ne me suffit pas ! (sourire) En parallèle, je poursuis mon travail instrumental, (je prépare un second album solo), je fais de l'habillage sonore, j'écris aussi des chansons pour ma femme (dans un registre plus pop), j'ai également mixé et arrangé le récent album solo Cocoon de mon ami Vince Vercaigne (Amartia)… et pas mal d'autres projets en cours ou dans les tuyaux… Même si tout musicien a un style de prédilection, il est important de ne pas s'enfermer dans celui-ci. Il faut s'aérer les tympans ! La conjoncture actuelle est de plus en plus difficile, surtout pour les indés, les financements ne sont plus ce qu'ils furent, les projets plus longs à aboutir, cela force donc de toute façon à se diversifier, sans perdre « son âme », dans la mesure du possible.
Le piratage fait beaucoup de dégâts, surtout chez les indés, bien sûr. Il est difficile à quantifier, mais probablement divise-t-il les ventes par deux, ce qui est considérable. On vit une époque de transition. En d'autres temps, on est passé du vinyle au CD. Ok. Parfait. Mais à l'heure actuelle, on passe du CD à rien, car le mp3 n'est rien. Un truc virtuel que l'on peut anéantir en un clic. Tout tombe en rade un jour ou l'autre. Si vous plantez votre disque dur ou votre Ipod, vous perdez tout. Alors quand je regarde ma collec de vinyles ou mes 3000 CD's, c'est presque jouissif ! (rires)
Sur l'album City (Days), il y a un très joli duo avec la soeur de Ben Venet, « Lift Me Up ». Comment est survenue cette idée de duo ?
Ben. Ce titre est totalement atypique par son côté très pop. Je ne suis pas certain qu'il était prévu à l'origine pour être un duo, ca s'est fait par hasard. Un jour Bruno était de passage chez moi à Bruxelles et je lui ai présenté ma soeur Justine qui est comédienne. Comme elle chante aussi, nous avons décidé de lui faire faire un essai sur ce titre. L'essai a été concluant et nous avons gardé le tout.
Sur « Lift Me Up », Justine chante à certains moments en français et je trouve que cela passe très bien. Ben n'a jamais été tenté de chanter, même ponctuellement en français ?
Ben. Les paroles de ce titre ont été écrites dans le cadre de la commande de single bilingue dont j'ai parlée plus tôt. Cela collait plutôt bien avec ce duo avec ma soeur qui chante habituellement en français. Chanter en français ne me dérange pas du tout. Je suis un grand fan des premiers albums de Goldman qui a réussi à allier rock et langue française avec talent. Nous avons d'ailleurs sérieusement songé, à l'époque d'Open Road, à sortir quelques titres bonus traduits en français. Nous n'avons finalement jamais eu le temps d'y travailler. Il n'est pas impossible que nous sortions un jour un album totalement en français… peut-être sous un autre nom… nous avons déjà quelques titres en chantier.
Même si le groupe est un duo, n'est-il pas envisageable de vous voir vous produire en live un jour ? Silence est-il condamné à rester un projet de studio ?
Bruno. Aaah, la question qui fâche ! (rires) Les portes ne sont jamais fermées, mais il est vrai que Silence est avant tout un projet « studio ». Je mets toute mon énergie à cela et ne pense que très peu au « live », je le confesse. Je suis avant tout songwriter, arrangeur et producteur. C'est ce que j'aime dans mon travail. Etre « de ce côté de la caméra ». Mais qui sait… Avec SILENCE ou un autre projet plus « basique »… car ne composant pas en fonction du « live », je n'ai aucune limite quant aux arrangements. Un grand nombre de titres contiennent par exemple de nombreuses pistes de guitares simultanées (disto, clean, acoustiques)… ce qui rend les titres difficilement jouables en live à moins de tout réadapter, et n'étant pas fan de concerts « acoustiques » (trop frustrants à mon goût)…
Ben. J'espère un jour arriver à convaincre Bruno (rires). J'ai d'autres projets musicaux qui, eux, sont essentiellement live. Je pourrais donc facilement monter un groupe pour jouer du Silence, même ponctuellement, mais je me vois mal faire ca sans Bruno…
Entretien croisé par courriel réalisé par Baptiste, le 12 jullet 2012
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