Comment se réinventer après une carrière de plus de trente ans ? Comme éviter les pièges de la répétition et de l'auto-citation ? Comment satisfaire toutes les générations de fans, certains conservateurs, d'autres friands de novation ? Ce sont les problèmatiques qu'affronte avec un certain brio depuis des années déjà Marillion. Le groupe est en effet un des rares groupe d'un âge franchement poussé à pouvoir produire non seulement de très bons disques (Hapiness Is The Road – 2009), mais de grands disques (le colossal Marbles – 2004).
Pourtant tout n'était pas au beau fixe dans le groupe, de telle sorte que les fans durent attendre trois bonnes années pour écouter ce successeur à l'excellent Hapiness Is The Road. Ce délai s'explique notamment par la durée du disque qui en ferait presque un double à quelques minutes près : Sounds That Can't Be Made affiche 74 minutes au compteur. Par ailleurs, les musiciens de Marillion ont révélé que le groupe avait connu une grave crise récemment, crise qui avait failli déboucher sur le split. Je ne sais si comme certains groupes, la créativité de Marillion est proportionnelle à la tension agonistique entre ses membres, mais la qualité de ce nouvel opus le suggérerait fortement.
Car ces « Sons qui ne peuvent être faits » constituent une fort belle réussite. Une réussite en rien révolutionnaire puisque le disque s'inscrit très nettement dans le prolongement de Afraid Of Sunlight ou de Marbles. Il n'en reste pas moins excellent. Un seul titre justifie l'existence du disque : le monumental « Gaza » en ouverture et ses dix-sept minutes d'une odyssée musicale visant à rendre compte de la situation dramatique des habitants de Gaza. À la fois en puissance (les gros riffs des premiers couplets), en cassure et en nuances mélodiques, doté un chant totalement habité de Hogarth, ce morceau est du calibre d'un « Invisible Man » ou d'un « Goodbye To All That ». La deuxième pièce épique, « Montreal », qui se veut plus légère en décrivant les séjours d'Hogarth dans la ville québécoise, est plus fluide dans sa construction mais n'atteint pas un tel niveau d'intensité. Et ce malgré un très beau break doté d'une belle structure impaire et de parties de claviers qui rappelleront le fameux « Supper's Ready » de Genesis. Cette remarque est évidemment un compliment et non un reproche.
Entre des deux titres, on trouve trois joyaux de rock/pop sophistiqué. « Sounds That Can't Be Made » sur laquelle la prestation de Hogarth est totament décoiffante. « Pour My Love », extrêmement accrocheur. « Power » qui fait office de single imparable. La durée des compositions – jamais en dessous des six minutes – est un bon indice de la recherche musicale et de la belle place laissée à quelques solos de Kelly et surtout d'un Rothery en grande forme.
La dernière partie du disque est un peu plus disparate : « Invisible Link », après un début tout en douceur, finit en un rock plus remuant, truffé de mélodies très riches. Plus franchement rock, « The Lucky Man » voit Rothery sortir sa guitare saturée pour un riff de très belle tenue. « The Sky Above The Rain » s'étend sur une dizaine minutes. Bon en lui-même, le morceau a le défaut d'évoquer trop fortement tout une suite de choses que Marillion a proposé de nombreuses fois au passé à ses auditeurs. C'est là que l'impression de tourner en rond se manifeste le plus clairement.
Voilà une fois encore un album subtil et personnel, aussi exigeant à maîtriser que gratifiant à découvrir pas à pas. Voici donc une réussite musicale dont seul Marillion a le secret. Par quelle alchimie ces gars arrivent-ils à être aussi bons ?
Baptiste (8,5/10)
Replica-Edel / 2012
Tracklist (74:17) : 1. Gaza (17:31) 2. Sounds That Can't Be Made (7:16) 3. Pour My Love (6:02) 4. Power (6:07) 5. Montreal (14:04) 6. Invisible Ink (5:47) 7. Lucky Man (6:58) 8. The Sky Above The Rain (10:34)