« Pris de vitesse ». Voilà sans doute ce que Geoff Tate doit se dire, en toute satisfaction, à propos de la sortie extrêmement rapide du disque de son « Queensrÿche ». Car dans la bataille opposant le chanteur historique du groupe au reste des musiciens du combo de Seattle, le temps est un facteur important. La justice ne tranchera qu'en novembre 2013 sur la question de savoir qui détient les droits d'utilisation du nom du groupe. Entretemps deux Queensrÿche vont coexister et occuper l'espace est devenu prioritaire. Geoff Tate s'est entourré du fidèle producteur Jason Slater (Operation Mincrime II, American Soldier, Dedicated To Chaos…) à la composition et d'une cohorte d'invités jouant sur tel ou tel titre (Paul Bostaph, Chris Poland, Rudy Sarzo, Simon Wright…) pour enregistrer en six semaines ce Frequency Unknown. Mettre un vrai groupe sur pied aurait sans doute pris de temps mais Tate a joué la carte de la célérité au détriment de celle de la qualité.
La fable du lièvre et de la tortue
Le mot est lâché. Ce Frequency Unknown pèche sur le plan de la qualité du fait d'un syndrôme de précipitation. Et plus qu'un défaut de composition, c'est d'abord un défaut au niveau de la production qu'on relèvera d'emblée. Jason Slamer s'est montré bien défectueux pour doter le groupe d'un son aussi sourd, caverneux et mal équilibré. Les critiques ont fusé tout de suite et il a fallu que le label Cleopatra se fende d'une nouvelle version remixée ! Mais cela n'évite pas la Berezina sonore…Nous sommes à des années lumières de ce que le heavy classieux et mélodique de Queensrÿche requiert pour s'exprimer.
Parlons de la musique maintenant. Toute chose égale par ailleurs, elle n'est pas ce qu'il y a de plus raté. Le principal problème repose sans doute dans le fait que – malgré un tournant « heavy » pour couper court aux critiques très acides envers le mollasson Dedicated To Chaos – le tout reste dans le sillage du Queensrÿche post-Promised Land. Ce tout est ainsi plus sombre, plus lent (il n'y a aucun titre vraiment rapide) et rapidement plus ennuyeux que tout ce qu'avait proposé le groupe même sur des disques controversés comme Operation Mindcrime II. L'accordage très grave des guitares est particulièrement pénible. Le fait que Geoff Tate commence à avoir des difficultés dans les aigus (même si ses graves et ses mediums restent excellents), explique cette direction artistique. Il n'empêche que la perte est sèche.
Malgré un « Cold » bien fichu en ouverture et pour une fois doté d'une bon refrain, l'ensemble tourne très vite au quelconque. Comment classer autrement un lourdaud « Slave » ou « Dare » et son refrain banal au possible ? Remarquons au passage, la propension dommageable de Tate à répéter ad nauseam certaines parties chantées pas forcément remarquables ce qui agace vite. Remarquons aussi le très fort décalage entre les solos, certains s'avèrant virtuoses (« Slave » avec Chris Canella ou Chris Poland sur « The Weight Of The World ») d'autres besogneux (Kelly Gray sur « Cold »). Cela ne fait que renforcer le côté bancal de la chose.
Perles dans le fumier
Au milieu du fumier on trouve toujours quelques perles. C'est le cas ici. Outre le morceau d'ouverture « Cold », il y a trois-quatre titres qui valent le détour de telle sorte que le disque évite le zéro pointé. Il y a d'abord un « Everything » soutenu par de très belles lignes de chant… mais desservi par une musique toujours aussi lourdingue. C'est dommage. Bien interprété et enregistré, le titre aurait sans eu sa place sur un Empire par exemple. « In The Hands Of God » est lui intégralement réussi, dans un genre atmosphérique qui retrouve une partie de la classe qu'on pouvait trouver sur Rage of Order par exemple. Le plus beau est à la fin : « The Weight Of The World » est une ballade somptueuse… sur laquelle Tate chante comme un dieu. L'homme a sans doute encore par mal de ressources. C'est d'ailleurs lui sauve beaucoup de chansons de la catastrophe.
Ce Frequency Unknown ressemble surtout à un disque solo de Geoff Tate, comme d'ailleurs les derniers Queensrÿche sur lesquels le reste du groupe avait été totalement évincé du processus de composition. Apparu sous le nom de Geoff Tate, le disque aurait été peut-être été salué comme un essai sympathique. Sous le nom de Queensrÿche, il n'incite qu'à une chose : que le disque de Wilton et des siens nous le fasse oublier au plus vite. Histoire de sauver une image très très dégradée.
Baptiste (4/10)
PS : Passons vite sur les reprises de quatre classiques de Queensrÿche en bonus track. Leur présence est uniquement « commerciale » comme l'a reconnu Tate. Mal produites et mal jouées, elles sont à oublier au plus vite.
Site du Queensrÿche de Geoff Tate
Cleopatra / 2013
Tracklist (60:00) : 1. Cold 2. Dare 3. Give It To You 4. Slave 5. In The Hands Of God 6. Running Backwards 7. Life Without You 8. Everything 9. Fall 10. The Weight Of The World bonus tracks : 11. I Don't Believe In Love 12. Empire 13. Jet City Woman 14. Silent Lucidity