Asia – Gravitas
Posted by OshyryaMar 23
Je ne vous ferais pas l’affront, chers lecteurs, de vous présenter les progueux anglais d’ASIA. Si vous ne savez pas de qui il s’agit, votre culture générale rock fait preuve de sérieuses lacunes. Avec une très grande régularité depuis le retour du line-up classiques, les britanniques publient tous les deux ans un nouvel album. On se croirait revenu à l’époque bénie du milieu des années quatre-vingt-dix entre entre Astra et Arena. Autant Omega (ici) et Phoenix (là) avait convaincu la rédaction de Métalchroniques, autant XXX (ici) avait laissé poindre un essoufflement inquiétant. Avec Gravitas, la question est de savoir si Wetton/Downes & co ont su relever la tête. Soulignons la pochette encore une fois colorée et superbe signée par l’incontournable Roger Dean. Il fait, au même titre que Rodney Matthews, vraiment partie de l’univers ASIA (l’horrible pochette de Silent Nation – chronique ici – signée ni l’un ni l’autre marquera d’ailleurs la fin de l’époque John Payne).
Considérations d'âge
Le chapitre Gravitas commence par un coup de tonnerre, avec l’année dernière l’annonce de Steve Howe, trop occupé tant par sa carrière solo que par YES, qui décide de quitter donc ASIA. Il est remplacé par Sam Coulson, un guitariste prodige qui pourrait être le petit-fils de ces messieurs. Point de jeunisme déplacé ici, mais à voir les vidéos en concert récente du groupe, nous ne pouvons être que frapper par l’âge maintenant avancé des musiciens. Je me faisais la même remarque en voyant une récente interview de Jon Anderson (ex et futur YES). Tous les membres historiques de la galaxie YES/ASIA sont largement entrés dans la soixantaine et s'approchent joyeusement des soixante-dix ans. L’aspect physique de Steve Howe lui-même, très maigre comme toujours commence à faire un peu peur.
Mais ces considérations d’âge impliquent surtout une énorme expérience et un sacré savoir-faire. Depuis le retour du line-up classique, ASIA a soufflé le chaud et le froid mais a toujours su proposer au moins un tube imparable sur chacun de ses disques (sauf sur un XXX décevant). Ils cherchent clairement à reproduire le coup de maître du « Heat of the Moment » de 1982. Et le « Finger of the trigger » et le « Never Again » de Gravitas s’appelle « Valkyrie ». Cette chanson semble très basique, très (trop) simple pour bien des fans mais pourtant son potentiel est monstrueux. Le refrain rentre dans la tête en dix secondes et difficile de s’en dépêtrer à partir de ce moment-là. L’adjonction de cordes au rock progressif habituel d’ASIA est une riche idée qui apporte un peu de profondeur à cette chanson.
Nombreux seront ceux qui diront que le groupe ne capitalise que sur ses acquis et semble être en pilote automatique. Ce n’est pas faux mais avec un tel savoir-faire, ASIA parvient encore à nous donner des frissons. Le solo de guitare signé Coulson est tout à fait au niveau et se fond parfaitement dans le moule du groupe. A l’image de YES qui ne montre aucune pitié pour ses membres, le guitariste a intérêt à filer droit s’il ne veut pas être éjecté en un clin d’œil.
À boire et à manger
Et en dehors de ce « tube » me direz-vous ? Et bien Gravitas offre à boire et à manger. ASIA comme à son habitude continue à louvoyer entre hard rock gentillet, ballades sirupeuses et chansons presque plus pop que rock. Le propos est clairement assez doux, les titres plus couillus manquent nettement à l’appel. Faites votre choix dans ce pot-pourri de rythmes et d’ambiances. Toujours très sage, ASIA offre avec Gravitas un album consensuel à même de plaire à un large public. Les fans ne sont seront pas désorientés et peuvent le regretter. Les britanniques sont encore une fois restés très sages et c’est dommage. Je regrette personnellement le foisonnement de l’époque Arena, une musique alors plus riche, surprenante et enlevée. A l’écoute de Gravitas, un sentiment de mollesse et de lassitude fini par émerger.
Avec autant de compétences et d’expérience emmagasinées depuis des décennies, ASIA publie cette année encore un nouvel album appliqué à défaut d’être enthousiasmant. Les standards restent élevés même si nous sommes en droit d’attendre beaucoup plus des britanniques au vu de leur talent. Certainement plus réussi que XXX, Gravitas laisse quand même beaucoup de regrets. L’arrivée d’un nouveau guitariste aurait pu apporter du sang neuf, mais on sent bien que Wetton et surtout Downes tiennent fermement la barre du navire. Un peu d’audace ne ferait quand même pas de mal…
Oshyrya (6,5/10)
Frontiers Records / 2014
Tracklist (49:31 mn) 01. Valkyrie 02. Gravitas a. Lento b. Gravitas 03. The Closer I Get To You 04. Nyctophobia 05. Russian Dolls 06. Heaven Help Me Now 07. a. Wings of Angels b. Prelude c. Heaven Help Me Now 08. I Would Die For You 09. Joe DiMaggio’s Glove 10. Till We Meet Again
4 comments
Commentaire by 58marillion92 on 24/03/2014 at 23:29
Commenter cet album d’Asia n’est pas simple, car il nous faut lever une ambiguïté sur l’entité Asia. En effet, membre fondateur, éminent guitariste et désormais démissionnaire, Steve Howe, a toujours su apporter un supplément d’âme, et cela malgré son manque d’implication créatif dans le groupe. Que serait cette “pop prog” de luxe sans ses magnifiques enluminures guitaristiques ? La réponse, Wetton & Downes l’ont donnée en 2004 ; Icon. Asia n’est plus tout à fait lui-même sans Howe, au reste son remplaçant au son abrasif, fait bien pâle figure. Le duo Wetton/Downes éprouve beaucoup de difficultés à faire de la place à un guitariste. Seul Howe en 82 eut l’espace nécessaire pour faire jaillir son exceptionnel talent. Pourquoi ne pas avoir alors embauché John Mitchell (Icon I & Icon II) ? Guitariste d’Arena (entre autres), il possède un touché exceptionnel, un son soyeux, compatible avec le groupe. Erreur de casting, dommage. Mais tout est affaire de goût et reconnaissons que la qualité générale des compositions de Gravitas s’avère certes, quelque peu inférieure à ses deux prédécesseurs, mais certainement pas d’une différence abyssale. Si l’album comporte son lot de jolies mélodies (« valkyrie », « heaven help me now, « I would die for you », « joe dimaggio’s glove »), il est également traversé par des faiblesses :
– quelques refrains ici ou là pas assez catchy, flagrant sur le titre « gravitas » (ne manquant pourtant pas d’emphase) et la balade « russian dolls » ;
– un travail linéaire et sans relief de Palmer, qui batteur fougueux autrefois, apparaît aujourd’hui bien cramé (on est loin d’ELP !) ;
– la surenchère récurrente (depuis la réunification) de balades épuisantes de mollesse (sic), à l’instar «the closer I get to you » dont le refrain est toutefois réussi ;
– enfin, l’absence de Howe révèle quelques carences mélodiques et harmoniques. Lui seul pouvait relever le niveau d’une “banale composition” en une puissante et lumineuse chanson.
Néanmoins, ne faisons pas la fine bouche, les fans d’Asia trouveront encore en Gravitas de quoi satisfaire leur amour du bel ouvrage et du lyrisme exacerbé dont le groupe a toujours fait montre. De toutes les façons, nous ne sommes plus en 82, Asia ne sera plus ce groupe miraculeux qu’il a été. Toutefois, il est encore capable, sporadiquement de produire de belles fulgurances, mais hélas dépouillées de toutes ambitions progressives. Howe, en était en quelque sorte l’ultime caution. Si vous voulez retrouver le paradigme musical originel d’Asia, alors foncez sur l’intro et l’outro de « hour of need » (bonus version Japan) extrait du dernier album de Yes. Assurément une madeleine de Proust ! Ce qu’Asia n’aurait jamais dû cesser d’être en somme…une icône !?
Commentaire by Oshyrya on 25/03/2014 at 20:11
Pas mal… Tu veux devenir chroniqueur chez nous 🙂 ?
Commentaire by 58marillion92 on 29/03/2014 at 21:12
Pas mal ? C’est tout ? 😉
Sachez que je suis très touché par votre proposition que je décline néanmoins.
Ancien chroniqueur du magazine de prog “Big Bang” (95/97), j’écris encore de temps à autre , librement et à mon rythme, ce qui vous en conviendrez est incompatible avec les impératifs d’une rédaction.
Bien cordialement.
Commentaire by Baptiste on 30/03/2014 at 12:38
Big Bang est un excellent magazine. C’est un honneur d’avoir ta plume ne serait-ce que pour un commentaire (très érudit par ailleurs)…