Ça, pour une claque, c'est une claque. Il a sacrément bien grandi le petit Julian Casablancas. Le bouclier Strokes remisé au placard, il avance toujours, après Phrazes for the Young, premier succès critique et commercial, sans masque mais avec l'appui des Voidz ; à l'écoute de ce premier opus long format (et des vidéos live), il y a fort à parier que le clin d'œil à Richard Hell et ses Voïvods n'est pas loin. Entre écorchés, on se comprend.
Il faut se rendre à l’évidence, la créativité des Strokes, c'est lui. Et s'il en est aussi, sûrement, la partie agaçante (genre deuxième de la classe et fort en sport en plus), il a bien mûri le gars Julian. Tellement qu'on en oublie son côté fils à papa. Voici même notre chanteur et compositeur armé, depuis sa rupture avec les addictions, d'une conscience. Oublieux de l'ombre encombrante d'un autre brun charismatique mais décédé jeune, Jim Morisson, Casablancas délivre les 12 coups de cette Tiranny comme autant d'interrogations sur l’état d'un monde déroutant. Mais sûrement pas autant que le sont – déroutant, suivez un peu – les fulgurances Nintendo Blood ou les 11 minutes de Human Sadness, morceaux d'apparence déconstruits, concassant avec méthode le diptyque couplets refrain pour aller chercher avec les griffes cette émotion rageuse tapie au fond des ventres repus de Babylone. Concassée, c'est aussi ta petite gueule à la sortie de l'hallucinant Father Electricity, hommage tout sauf nostalgique à l'afrobeat de Fella, quarante ans après.
Le Julian et ses Voidz maîtrisent l'art du contrepied comme peu en mettant en avant la basse stricte que tout groupe post punk rêverait de jouer sur Where No Eagles Fly avant de hurler un final furibard porté par des guitares incandescentes et des claviers épileptiques. Et voilà que Xerox renvoie aux Strokes que l'on connaît… jusqu'à l'irruption de synthés unijambistes et de guitares anorexiques.
Assurément, Julian Casablancas tient là son In Utero à lui, cet album personnel et définitif. Celui qui consacre – enfin – le grand musicien qui se cachait derrière le poseur dilettante. A voir comment il réussira à réinjecter de cette furie créatrice dans les Strokes.
Tracklisting :
1. Take Me in Your Army 2. Crunch Punch 3. M.utually A.ssured D.estruction 4. Human Sadness 5. Where No Eagles Fly 6. Father Electricity 7. Johan Von Bronx 8. Business Dog 9. Xerox 10. Dare I Care 11. Nintendo Blood 12. Off to War…
Depuis le choc musical causé par leur premier album, Another Music in a Different Kitchen sorti en 1978 – imaginez ! Des punks qui savent jouer ! -, Buzzcocks a tracé une route jalonnée par des mélodies addictives et des riffs savants. Ce groupe c'est aussi l'histoire d'une bande de potes dont le plus habité, Howard Devoto, quitte le groupe au moment un an avant que leur premier LP ne soit dans les bacs, pied de nez situationniste toujours inégalé.
Bref, nous voici en 2014 avec ce 9e album studio officiel, sobrement titré The Way. A quoi bon ? Je me bats pour la retraite à 60 ans et le quartet vit en Angleterre, là où les pauvres ne peuvent même pas prendre le bus. Mais est-ce vraiment une raison de parler des Buzzcocks ?
En fait, écouter The Way c'est comme remettre ça avec une vieille maîtresse (ou amant, comme vous aimez). On se retrouve pour parler de la vie autour d'un verre, on évoque le passé et on finit au pieu. Très vite, on retrouve les trucs, la manière dont il ou elle vous excite comme peu. Aucune surprise, hein, que des repères un peu enfouis au fond de la mémoire mais qui reprennent leurs droits à la première sollicitation. Et on finit, essouflé, la cigarette aux lèvres à consulter ses sms pendant qu'il ou elle prend sa douche, tout en se demandant « pourquoi ? ».
Ben parce que ces trucs justement, ce confort chaud et protecteur de l'habitude, de la routine. Dehors le monde est dégueulasse, il te crache à la gueule sa violence sous forme d'albums de Justin Bieber premier au billboard et tout le monde regarde les Kurdes crever à Konabê, comme si c'était l’épilogue des Chtis dans la jet set. Alors, tant pis si tu fais une infidélité au dernier Lofofora, retrouver les Buzzcocks, en ce moment, c'est juste ce qu'il te faut.
Tracklisting (36 minutes) :
1. Keep on Believing 2. People Are Strange Machines 3. The Way 4. In the Back 5. Virtually Real 6. Third Dimension 7. Out of the Blue 8. Chasing Rainbows / Modern Times 9. It's Not You 10. Saving Yourself
C'est le genre d'album qui prend l'auditeur par surprise. Rien de vraiment novateur chez ces Ricains de The Orwells mais un deuxième essai compact, dense et rêche de purs rock n'roll aux accents punk et aux relents indie bostoniens. Le bien nommé Disgraceland après l’inaperçu Remember When sorti en 2012. Le quintette – deux cousins, deux jumeaux et un pote – déboule pourtant, toutes guitares en avant, de la banlieue de l'industrieuse Chicago, plus renommée pour sa contribution à la musique électronique qu'au rock hargneux.
A l’écoute attentive de Disgraceland (clin d’œil à Graceland, la résidence d’Elvis Presley à Memphis), The Orwells affichent effrontément ce côté anar (le punk à l'époque) et conservateur (le punk… aujourd'hui) qui caractérise l'auteur de 1984 et La Ferme des animaux. Cet encore jeune groupe (autour de 20 piges de moyenne d’âge) nous gratifie de onze titres sacrément bien torchés, carrément bien joués et jamais redondants. De Southern Comfort et ses chœurs masculins qui ne se prennent pas au sérieux à The Righteous One et son refrain rageux alternant avec des couplets tout en subtilité, en passant par ce clin d'œil aux Pixies que constitue Always N Forever, The Orwells évitent joyeusement de se répéter et, pourtant, ne perdent rien de leur cohérence musicale. De l'avantage de comprendre que la musique est chose trop sérieuse pour être jouée par des gens qui se prendraient au sérieux.
Canvasback – Atlantic / 2014
Tracklist (35 minutes) : 1. Southern Comfort 2. The Righteous One 3. Dirty Sheets 4. Bathroom Tile Blues 5. Gotta Get Down 6. Let It Burn 7. Who Needs You 8. Norman 9. Always N'Forever 10. Blood Bubbles 11. North Ave