Entretien avec Laurent James (Lord Of Mushrooms)
Le truc marrant avec les groupes de prog, c'est que la discussion a de fortes chances de partir en cacahuètes. Et pourquoi déroger à la tradition quand le représentant du groupe de prog est en plus un français, soit pas de barrière de la langue (il faut dire qu'au départ c'est un groupe français)? Aucune raison, en effet… et dans le fond, ça permet d'apporter un peu d'animation à ce texte-fleuve: bonne lecture et bon café!
Metalchroniques: Pour commencer: sérieusement, c'est quoi ce nom de « Seigneur des Champignons » [traduction de « Lord Of Mushrooms »]?
Laurent James: Je ne sais pas, désolé! C'est vieux, à l'époque où nous ne jouions même pas encore dans des pubs. Comme quoi quand tu fais une ânerie [censure powered] ça peut te poursuivre toute ta vie!
M.: Oui, enfin au début on a encore le temps de changer de nom de groupe!
L. J.: Oui mais non, parce qu'après, au fur et à mesure, on s'y est fait. Et puis j'aime bien! Evidemment il y a des gens qui nous disent que nous sommes malades…
M.: Au moins c'est original!
L. J.: Oui voilà, au moins tout le monde s'en souvient! Aux Etats-Unis comme au Japon, ça passe. Et puis c'est français de chercher quelque chose de bizarroïde comme ça. Donc au final… ben on garde, désolé!
M.: Il y a eu beaucoup de remue-ménage dans les membres du groupe depuis le dernier album: que s'est-il passé exactement?
L. J.: En fait les anciens ont voulu faire un autre style de musique, pour essayer de faire de la télé.
M.: Ah! C'est sûr que vu ce que vous faites… c'était pas gagné!
L. J.: Eh non, surtout à la télé française! Mais j'ai préféré faire ne pas passer à la télé et faire vraiment ce qui me tient à coeur. J'ai essayé quand même, pendant 2-3 mois, mais ça a commencé à me rendre malade.
M.: Et c'est quoi ce genre musical tellement télévisuel?
L. J.: De la pop française. Après je ne veux pas cracher sur ce qu'ils font, ça peut passer à la télé oui… mais c'est un autre métier! Je préfère rester là-dedans, le groupe avait déjà sorti deux albums, les gens commençaient déjà à nous connaître, les fans de ce style au moins. Les anciens voulaient que l'on garde le nom en restant avec la maison de disques [pendant les quelques mois où ils jouaient encore tous dans le même groupe je suppose, avec juste quelques uns qui voulaient continuer à faire du prog à côté], en disant que ça n'allait pas nous servir à nous. Mais là… j'ai décidé de garder le nom du groupe, c'était un peu compliqué mais on s'en est sortis!
M.: Chacun fait ce qu'il aime après tout comme ça!
L. J.: Voilà, d'autant plus que maintenant j'ai une équipe de gens qui aiment ça, vraiment: autant faire les choses de manière claire dès le départ.
M.: Et finalement, comment en êtes-vous arrivés à recruter deux italiens et un brésilien?
L. J.: J'ai cherché en France… et j'ai eu du mal! Pour le batteur et le claviériste, j'ai essayé d'auditioner un chanteur en Italie: il n'a pas fait l'affaire, mais il avait un ami claviériste et un ami batteur… et avec eux ça le faisait.
M.: « Ca tombe bien, on cherche aussi! »
L. J.: Oui, en fait je cherchais tout! Et étant donné que j'habite à côté de la frontière et que j'ai habité en Italie quand j'étais petit donc c'est ma première langue: ça ne me posait pas de problème [d’avoir des italiens dans le groupe]. Et puis je ne sais pas, les italiens sont un peu plus rock'n'roll disons. Un français, quand il commencent à être bons dans leur instrument, surtout dans le sud et surtout un claviériste, il va faire de la variété, du jazz, du piano-bar. Les italiens vont plus facilement vers ce qu'ils aiment.
M.: Et le brésilien?
L. J.: Nous l'avons recruté en 2009: ça commençait à être vraiment difficile, nous avions cherché en France, en Italie, rien… alors nous avons pensé chercher un peu plus loin. Et en fait, notre chanteur actuel habite à Montpellier 6 mois par an, alors pourquoi pas lui? Nous avons essayé d'autres chanteurs, mais c'est avec lui que ça collait le mieux.
M.: Toutes ces histoires n'ont pas dû aider l'enregistrement de l'album, le précédent date quand même de 2005 après tout?
L. J.: Tu imagines? Il a fallu re-fabriquer un groupe, avec de nouveaux membres, refaire des morceaux… ça prend du temps! L'album lui-même était fini en 2009, plus ou moins. Je compose avec Luca [Mariotti], le claviériste, nous faisons les structures, après il suffit de les mettre sur ordinateur et ça permet déjà de se faire une idée. Après comme le chanteur était au Brésil il a dû venir, il a fallu faire un pre-mix, trouver un ingénieur du son pour faire le mixage, pour lequel je suis allé au Canada avec Luca, ensuite le mastering à New-York… ça prend du temps! Mais ça n'est pas qu'il a fallu du temps pour composer l'album, c'est plutôt toute l'organisation qui va autour.
M.: Musicalement, il y a beaucoup moins de « musique pour musiciens » sur cet album, vous avez rendu votre musique bien plus accessible…
L. J.: De plus digeste.
M.: Ou plus digeste oui, même s'il ne s'agissait pas de passer à la télé pour autant?
L. J.: Disons qu'à force de voir ce qui se faisait dans les groupes de prog-metal ou prog-rock, nous avons essayé d'éviter de répéter les mêmes erreurs. C'est à dire que beaucoup de groupes ont tendance à tourner un peu dans les mêmes trucs, avec des instrumentaux de trois heures, les solos à fond la caisse… au bout d'un moment, c'est toujours un peu indigeste.
M.: Avec un changement de rythme toutes les deux mesures, ou encore mieux de mode après deux mesures et demi, parce que c'est beaucoup plus compliqué quand c'est deux mesures et demi.
L. J.: Mais oui, et quand tu fais de la musique il ne faut pas essayer de trop la diriger. J'ai toujour l'idée que nous sommes juste des capteurs, la musique passe par nous et il ne faut pas essayer de lui dire « rah, tu vas aller comme ça! » Tu laisses faire. Certaines personnes nous demandent pourquoi nous ne faisons pas des morceaux de 15 minutes… je ne sais pas? Ca n'est pas forcément mieux?
M.: Oui, si un jour vous êtes inspirés par un morceau de 15 minutes pour le ferez sans doute.
L. J.: En fait le morceau va venir tout seul, après tu te rends compte qu'il fait 15 minutes, mais si tu commences à trop vouloir diriger les choses ça finit par devenir un peu chimique, un peu hermétique. Donc là nous avons voulu faire quelque chose de… pas forcément simple, mais abordable. Un amateur de heavy peut s'y retrouver, il y a des gros riffs etc., et puis un peu cachés derrière il y a des petits machins qui peuvent être intéressants.
M.: Pas toujours si cachés que ça! Par exemple dans le sixième morceau, « Red Queen's Race », dans la partie instrumentale… je joue du piano depuis 20 ans, et autant la partie au clavier seule je pourrais la jouer sans problème, autant avec les trucs autour complètement à l'opposé… c'est tout simplement impossible!
L. J.: Bah, non! Franchement, c'est pas si compliqué que ça. C'est juste… voilà, il faut comprendre le rythme. Une fois que tu as compris le truc, tu rentres dedans et… ça va.
M.: Oui, je suis sûre que quand on a participé à la composition c'est tout de suite beaucoup plus facile!
L. J.: Ouais… non, franchement c'est pas si compliqué.
M.: Bon, en même temps il y a certains passages qui sont… peut-être pas injouables, mais au moins compliqués à jouer sur scène?
L. J.: Oui, c'est vrai, surtout pour moi qui ne suis pas très bon à la guitare… Non, c'est vrai! Quand on me parle de Petrucci ou ce genre de types… pour moi, c'est des monstres! J'ai vraiment fait ce que je peux faire, sans en faire plus.
M.: Alors ça va être plutôt quoi plutôt ton style…
L. J.: Eh bien ça fait quelques années que je côtoie le malade suédois là… Mattias Eklundh.
M.: De Freak Kitchen.
L. J.: Voilà. Et je suis allé au Freak Guitar Camp deux fois, et il m'a pas mal ouvert l'esprit. Il est vraiment impressionant, par son intelligence. Je m'imaginais un type avec son métronome qui travaille toute la journée, mais en fait non, il est super créatif. Par exemple il va faire un petit bruit avec son ampli, trouver ça marrant, il va partir là-dessus, et il en fait un morceau. C'est ça que je trouve génial, quand des types créent pas obligatoirement avec de la technique mais grâce à leur ouverture d'esprit. Au niveau des rythmes aussi il m'a apporté pas mal de petits trucs. Il y a aussi mon prof de guitare avec qui j'ai travaillé, et avec qui je joue maintenant dans d'autres projets; il est sur Paris, et voilà, il m'a apporté énormément aussi.
M.: Pour ne pas changer, votre troisième album est votre troisième album-concept: peux-tu raconter un peu de quoi il s'agit? Je me doute que tu ne peux pas trop rentrer dans le détail mais bon…
L. J.: Ah si je peux, je l'ai fait avec tout le monde! De toute manière ça n'est pas moi qui l'ai écrit, c'est le bassiste [Julien Negro], donc bon il va me casser la tête à la fin… mais tant pis! En fait c'est basé sur une nouvelle de Terry Pratchett… tu connais?
M.: Oui.
L. J.: Tu es bien la première, bravo!
M.: Quand même! [C’est vrai quoi, le Disque-Monde, tout ça? Depuis quand le metalleux ne s’intéresse plus à la science-fiction/fantasy granguignolesque! Ahlalala, ces jeunes qui manquent de curiosité…]
L. J.: Moi je ne connaissais pas! Mais bon… c'est lui qui connaît, nous, nous sommes bêtes.
M.: C'est l'intellectuel du groupe.
L. J.: Voilà, c'est l'intello. Nous on fait « crountch » à la guitare. Donc il m'a fait lire le passage en question, j'ai bien aimé, c'est dans The Reaper Man [ou Le Faucheur en français]. Je n'ai pas tout lu, trop de pages, mais il y a un petit passage qui parle d'un insecte qui vit 24h. Tu l'as lu?
M.: Non, mais Pratchett de toute manière c'est du grand n'importe quoi en général.
L. J.: Justement, ça colle bien avec ce qu'on fait! Et lui [le bassiste] a écrit cette histoire comme si c'était des êtres humains qui voyaient le temps passer à une vitesse…
M.: Très rapide.
L. J.: Voilà, sauf que pour eux c'est très lent. Donc il a tourné le truc comme si c'était la vie d'un homme: en fait sur tout l'album, si tu lis les paroles, tu ne sais pas qu'on parle d'un insecte. Mais à la fin, quand il se fait manger par son soi-disant Dieu, qui est en fait un poisson, tu te dis: « ah d'accord, c'était donc ça! » Et voilà, désolé Julien de le dire encore une fois aujourd'hui! Mais rien de grave, je vais avoir un oeil au beurre noir, c'est tout. Et du coup, ce concept nous a permis de traiter de plusieurs sujets qui lient l'humanité. Par exemple il y a la religion, la nature donc la pollution, l'amour, l'évolution des espèces, etc.
M.: Quand même, pour un insecte, il réfléchit beaucoup ce petit insecte!
L. J.: Ah oui! Mais de toute manière, nous sommes partis sur un insecte très intelligent qui parle avec ses congénères etc.!
M.: D'accord, donc complètement fidèles à l'esprit de Pratchett avec du grand n'importe quoi.
L. J.: Voilà, de toute façon. Et puis ça n'est pas moi qui l'ai lu ce livre!
M.: Quand même, et même si je dois avouer que je n'ai pas écouté 30 000 fois l'album pour préparer l'interview, sur la dernière chanson [« Awaken », là où Petit Insecte découvre La Vérité… et Le Poisson] je n'avais pas du tout compris qu'il mourrait le petit personnage. Malgré tout, j'avais bien compris qu'il trouvait la grande réponse de sa vie… et que ça finissait sur quelque chose d'assez négatif, ce qui est toujours dommage pour une fin d'album? Non?
L. J.: En fait je dirais que l'album lui-même est assez sombre. L'album était plus bling-bling, avec des petites clochettes dans tous les sens, plus joyeux. Là nous avons voulu faire quelque chose d'un peu plus dramatique. D'où une fin où ça se passe plus ou moins mal.
M.: D'accord, il fallait qu'il finisse trucidé, presque dans d'atroces souffrances.
L. J.: Ouais, après c'est un moucheron hein, c'est pas bien grave.
M.: Oui voilà, ça ne souffre pas beaucoup un moucheron. C'est bien ça d'ailleurs: il réfléchit beaucoup mais il n'a pas trop la possibilité de souffrir, c'est sympa pour lui!
M.: De manière générale, quelles sons vos inspirations musicales? Parce que bon, je ne dirais certes pas que vous faites du rock progressif parce que c'est plus que « juste » du rock, mais ça n'est pas du « gros méchant metal » disons…
L. J.: Non, c'est du… « nous progressif ».
M.: Du gentil metal!
L. J.: Oui, par exemple! Comme je te l'ai dit j'ai composé avec Luca, et nous sommes tous les deux issus du monde de la musique classique. Nous avons forcément envie de transmettre des choses qui nous passionnent dans le rock, du coup ça fait « rock progressif ». Après tout c'est comme ça qu'est né le rock progressif, c'était des gens qui faisait du jazz et de la musique classique et qui ont voulu transmettre ça avec l'énergie du rock. Si bien que dans notre musique, tu ne retrouveras peut-être pas trop d'influences à la Dream Theater, par contre il y aura des harmonies à la Debussy ou même Ravel, nous sommes extrêmement fans de Ravel. Par exemple il y a un morceau pour lequel nous avons voulu mélanger un gros riff à la Messhuggah avec du Ravel. Et ça le fait je trouve! C'est dans « Nyx's Robe », sur le refrain. Ca donne des grosses guitares avec une rythmique qui ressemble à un engrenage qui tourne, avec par-dessus un piano qui fait vraiment des harmonies Raveliennes. Après il y a aussi plein d'affinités avec Stravinsky ou Steve Reich si tu connais un peu [un pionnier dans la musique minimaliste]: je suis un grand fan de Steve Reich et la musique minimaliste en général. Et en même temps j'aime bien le rock progressif! Donc plutôt que de parler de dragons et de flammes dans tous les sens, autant mettre des trucs que j'aime bien moi… et c'est vrai que ça donne quelque chose d'un peu bizarre, mais au moins c'est original!
M.: Justement les noms des musiciens que tu donnes m'y font penser, mais vous avez un style très visuel musicalement. Par exemple… souvent dans ces chansons, et même sans comprendre le détail des paroles etc., on peut plus ou moins voir une sorte de tableau [un peu plus tôt dans l’interview, même si c’était une apparté donc non retranscrite ici, j’avais aussi dit que cet album a un côté très aqueux… d’un autre côté si le Dieu est un poisson c’est normal.]
L. J.: Oui, je vois ce que tu veux dire. Ca respire, disons. De nos jours, les gens ne se donnent plus trop le temps de se poser. Ca s'entend dans le type metal où ils sont très [bruit de type égosillé].
M.: « Gros méchants ».
L. J.: Oui, et au bout d'un moment trop de « gros méchant », ça tue le « gros méchant »! Ca annule un peu l'effet. J'aimais bien cet aspect de montagnes russes justement, de temps en temps ça se calme, et puis hop ça repart, etc.
M.: Oui, mais même en dehors de ça…
L. J.: Toi tu voyais vraiment le truc visuel, les images…
M.: Oui, par exemple la « course de la reine » [ou « Red Queen’s Race » pour le titre exact]: on peut vraiment la voir en train de parcourir les mers [pour être honnête, avant même de jeter un coup d’oeil aux titres de l’album je m’étais dit: « ah, là, ça parle d’un poisson qui nage, et qui s’éclate dans la vaste mer! ».]
L. J.: C'est vrai, c'est vrai. En l'occurence c'est un instrumental… et même la musique avait été faite avant même de décider du concept, mais peut-être que ça a inspiré Julien notre écrivain? Je ne sais pas. Mais c'est vrai qu'à la base, je ne connaissais pas le concept, de toute manière je ne connaissais pas Terry Pratchett, je faisais juste de la musique et: « ouais, cool, j'aime bien, montagnes russes, ouaiiis! » Mais du coup, ça donne un peu ça, ces images, on peut vraiment imaginer… je vois ce que tu veux dire.
M.: Pourquoi est-ce que l'on voit deux couvertures différentes pour cet album? [même celle sur le site officiel est différente de celle sur le site de la Fnac, par exemple!]
L. J.: Parce que la maison de disques s'est plantée!
M.: D'accord!
L. J.: En fait, ça c'est la vraie couverture [= celle du site officiel, où un poisson s’apprête à gober un moucheron], et quand tu achètes l'album, ça se déplie et ça donne un grand poster, tu l'as vu?
M.: Juste la mini-version sur le site de la Fnac…
L. J.: Ah non, ça ça n'est qu'un petit bout, attends [il se déplace pour me montrer une image du poster en question sur son ordinateur] Je me suis dit que comme de nos jours presque tout le monde télécharge, pour ceux qui prennent la peine d'acheter l'album autant leur faire un petit poster! Et il a vraiment bien réussi le truc, et puis ça change du metal, donc il a réussi son truc. Voilà [l’image apparaît sur l’écran]: ça se plie en 5, et ça donne un joli poster, avec toute une histoire. Ils [la maison de disques] ont coupé un coin, du coup ça ne dévoile pas tout le reste. Celui qui s'occupe de ça chez Lion Music [la dite maison de disques] n'a pas imaginé que c'était un pliage quand il a reçu ça.
M.: Même, entre « le petit bout découpé » et les tous petits morceaux que l'on aperçoit sur votre site officiel, ça donne une idée, ça représente bien l'univers de l'album.
L. J.: Oui, je trouve que celui qui nous a fait la pochette, Travis Smith, s'est vraiment bien débrouillé.
M.: J'allais justement demander qui c'était!
L. J.: Travis Smith! Il fait les pochettes pour Opeth et Nevermore, que je ne connais pas, Devin Townsend, que j'aime beaucoup… et d'autres trucs que je ne connais pas. Mais voilà, il travaille surtout sur les pochettes d'Opeth. D'ailleurs juste avant de faire celle-là il avait fait la pochette pour le dernier Opeth avec l'arbre [pour l'album Heritage]. C'est vraiment un super artiste, très créatif.
M.: Et au final, qu'est-ce que vous lui avez donné pour qu'il s'insipire: le concept de votre histoire, ou la nouvelle de Pratchett?
L. J.: Non, nous lui avons donné notre concept, en lui expliquant un peu qu'à la fin de l'histoire le petit personnage meurt mangé par son propre Dieu… comme souvent les être humains aussi meurent « bouffés » par leur propre Dieu! Nous avons essayé de lui donner quelques pistes, mais quand j'ai vu ses premières planches ça n'est pas du tout ce que j'avais imaginé… et j'étais très content! J'aime bien justement qu'on m'étonne et qu'on me sorte des trucs… sans dragons ou flammes etc.
M.: Déjà, avec ce concept, ça aurait peut-être été compliqué de mettre un dragon… à la rigueur des flammes pourquoi pas, mais le dragon…
L. J.: C'est surtout que tous ces clichés… je n'en peux plus! Déjà c'est une musique que je n'écoute pas plus que ça, mais alors toute cette imagerie qu'il y a derrière… ça n'a jamais été mon truc.
M.: Donc, par exemple, autant tu peux être dans le classique, autant Rhapsody ça ne va pas du tout être ton truc…
L. J.: Ah non! Rhapsody, c'est… non! J'ai du mal, vraiment. A la fin ça en devient presque un peu comique, c'est toujours pareil. Le premier album je veux bien, mais après… Moi, tout ce qui est heroic-fantasy…
M.: Ca te saoule.
L. J.: Oui, voilà.
M.: En général, qu'est-ce qui vous souffle une idée pour un nouveau concept? Quelqu'un arrive et: « pouf, tiens, j'ai une idée! »
L. J.: Pour cet album, c'est Julien qui est venu et qui a fait: « pouf, tiens, j'ai une idée! » Moi je ne savais pas du tout de quoi on pourrait parler. Dans le fond je fais avant tout de la musique.
M.: Et à la rigueur s'il était venu sans concept, vous auriez pu faire un album sans concept particulier?
L. J.: A la base j'étais partant pour faire un album avec des chansons qui se suivent, normal. Après j'aime bien traiter de sujets qui ne sont pas souvent abordés dans le metal progressif, ou au moins éviter de parler de dragons et tout ça! Mais comme il est arrivé avec un très bon concept… tout le monde était partant!
M.: Justement parce que la musique colle beaucoup au concept, j'étais persuadée que vous aviez commencé à composer après avoir trouvé le concept, mais apparemment ça n'est pas du tout le cas?
L. J.: Pas du tout en effet. Plein de mélodies même ont été faites en yaourt-one-again-wanna-fly.
M.: Si c'est juste grosso modo après ça peut être arrangé, pour que ça corresponde au concept…
L. J.: Bah, Julien s'est bien débrouillé, très vite en plus! Ca cadre, il n'y a pas de coupures bizarres. Alors que sur le deuxième album… si tu regardes un peu le texte, tu remarques que ça passe vraiment du coq à l'âne, il y a des fins de phrases bancales au niveau rythmique, etc. D'ailleurs c'est aussi pour ça que l'on a pris un chanteur qui parle bien anglais.
M.: Faire du metal, certes pas le plus agressif mais metal quand même + progressif + en France + de nos jours… est-ce que ça n'est pas un petit peu du masochisme, quelque part?
L. J.: De toute façon faire de la musique de nos jours c'est masochiste!
M.: Faire de la musique -de tout temps- c'est masochiste!
L. J.: Oui, mais disons que dans les années 70 ça allait mieux.
M.: Oui, il y a eu 20 ans où c'était bien.
L. J.: Oui, enfin dans les années 80 déjà il fallait être habillé en fluo etc.
M.: Oh, même sans ça on pouvait se débrouiller pour vivre à peu près de sa musique, c'est juste que l'on n'étais pas supra connu! [et les musiciens avant les années 60, ils vivaient bien de leur musique peut-être, hein, hein? Je ne parle même pas d’il y a un siècle et au-delà!]
L. J.: C'est sûr… mais nous sommes tous un peu masochistes, à force de faire des choix sans savoir pourquoi. Si j'avais fait de la pop française, peut-être que… mais non, je ne peux pas! C'est comme ça.
M.: Tu disais aussi qu'à l'origine tu viens plutôt du milieu classique, donc c'est quoi ta formation musicale?
L. J.: Mes parents étaient chanteurs d'opéra. Donc très classique! Depuis tout petit j'entendais des répétitions, des trucs d'orchestres, des trucs faits au piano. C'est là que je me suis dit que tout ce qui est avant le XXème siècle ça me gave un petit peu, alors que Stravinsky, Bartok…
M.: Même pas un peu de XIXème, carrément que du XXème et au-delà?
L. J.: Oui, quand même un peu de XIXème, il y a des trucs. J'adore Puccini par exemple, ça me rend dingue. Après j'ai eu ma période: « non, la musique c'est nul! Je ne veux pas en faire, je veux jouer aux jeux vidéo! »
M.: Ah, ça, c'est l'adolescence!
L. J.: Exactement, et à 17 ans j'ai commencé la guitare, tout repris, je suis allé un peu au conservatoire, à Berkeley aux Etats-Unis [sorte de conservatoire/école de musique -très- connue], et j'ai fait musicologie à Nice. Et là j'ai eu de très bons profs, des gens qui te font découvrir ce qui s'est passé au XXème siècle, c'est ce que tu travailles en licence après tout. Schöneberg, le dodécaphonisme… et j'ai trouvé quelque chose là-dedans, voilà. Après il faut en sortir, quand même, et c'est là que j'ai découvert la musique minimaliste, répétitive, avec Philip Glass ou Steve Reich. D'ailleurs j'ai joué avec un ensemble de guitares Electric Counterpoint [du dit Steve Reich] il y a quelques années, et c'est… Tu as une guitare électrique, tu joues dans un théâtre, devant des gens type « soirée de l'ambassadeur »: du coup tu te dis que tu peux faire autre chose que du rock! Et après quand tu reviens dans le rock tu essaies d'apporter quelques petits trucs. Il y a pas mal de petites allusions à Steve Reich dans cet album, d'entrelacements guitare-piano. On ne s'en rend pas forcément compte, parce que nous avons vraiment fait en sorte de mélanger ça. Mais si tu vois les partitions tu remarques des petites notes qui alternent, ça donne des petites mélodies que personne ne joue mais le mélange des deux instruments donne une mélodie qui n'est jouée par personne… une mélodie résultante. J'adore les petits mirages comme ça, les mirages auditifs, quand quelqu'un dit: « ah, je vais essayer de relever ça! », mais en fait personne ne l'a joué. On s'embête un peu hein…
M.: Ah on fait du prog ou non hein, il faut assumer! C'est un peu ce que je disais tout à l'heure: vous avez fait plus abordable, mais en fait ça n'est pas si abordable que ça…
L. J.: A écouter c'est abordable… mais après, ceux qui voudront le jouer vont se dire: « woaaaah d'accord c'était ça! » Mais franchement non, par rapport à du Dragonforce c'est 50 000 fois plus abordable.
M.: Oui mais là c'est pas du tout pareil, quand même… Dragonforce quand même au niveau de la structure c'est beaucoup plus abordable! [par expérience de prof de piano, il est beaucoup plus facile d’acquérir la dextérité/rapidité que la complexité d’une structure hypra tarabiscotée!]
L. J.: Au niveau de la structure, oui. Mais pour ce qui est de jouer, je préfère jouer 50 fois cet album! Dragonforce, si tu me ralentis le tempo de 300 ça peut être faisable, mais sinon… je ne bois pas le même café! Comme m'a toujours dit mon prof: « tu ne peux pas mélanger sport et musique ». Donc pour faire de la musique, c'est pas compliqué: on se calme. Mais ils le font très bien eux, donc je leur laisse faire ça.
M.: Oh même eux s'en sont peut-être un peu lassés, parce que sur leur dernier album ils se calment un peu, il y a même un peu de mid-tempo etc.
M.: Qu'est-ce que tu écoutes en ce moment?
L. J.: Dernièrement j'ai téléchargé, légalement!, le Dillinger Escape Plan avec Mike Patton [EP de 2002], mon chanteur préféré. C'était vraiment pour voir dans quel délire il était parti, mais c'est un vieil album en fait. J'ai aussi commencé à écouter Shylock, un vieux groupe de progressif français qui avait bien marché, et mon prof était leur guitariste à l'époque. Ils viennent de se reformer pour faire une tournée aux Etats-Unis, mais ils n'ont pas de bassiste: moi je leur ai dit que je ne suis pas bassiste, donc justement je vais jouer avec vous! Du coup je me suis mis à la basse.
M.: Il faut savoir improviser dans la vie!
L. J.: J'adore les challenges, partir sur des trucs un peu différents. Du coup c'est ce que j'écoute en ce moment, c'est un peu mes devoirs à la maison: il faut que je relève les parties pour les jouer à la basse.
M.: Est-ce que vous avez beaucoup l'occasion de jouer des concerts? Vu que, comme déjà évoqué, prog + metal + France…
J. L.: Et surtout Brésil + Italie + France…
M.: Oui, enfin, l'Italie n'est pas très loin de chez vous [les français du groupe sont à Nice], et le Brésilien est près de chez vous 6 mois par an!
J. L.: C'est sûr, mais ils sont quand même à 600 km de chez moi! Il faut qu'on organise ça, mais on ne peut pas l'improviser justement: il faut trouver le moyen de faire une petite tournée, partir avec un autre groupe. Donc il faut que l'on trouve déjà un groupe avec qui ça peut coller… pas Dragonforce!
M.: Oui, c'est pas tout à fait le même style, je crois que vous vous feriez un tout petit peu descendre par le public…
L. J.: Ca va faire mal! On aimerait bien être avec Opeth, parce que leur dernier album est vraiment bien, ça fait partie des derniers albums que j'ai écouté d'ailleurs. Pain Of Salvation aussi j'aimerais beaucoup, je suis vraiment fan du chanteur, il a un grand charisme, une grande voix. Porcupine Tree pourquoi pas… je ne sais pas?
M.: Selon les occasions, en gros.
M.: Un dernier mot pour nos lecteurs, ou quelque chose que tu voulais dire mais que je n'ai pas demandé?
L. J.: J'ai dit beaucoup de choses! Du coup… n'hésitez pas à goûter au nouveau champignon de Lord of Mushrooms, il ne cause aucun problème pour les neurones, au contraire même je pense que ça peut appaiser ceux qui sont trop énervés. C'est assez digeste, ça peut faire du bien!
-Propos receuillis par Polochon en mars 2012.
Chronique de Perspectives (Lord Of Mushrooms).-