« Si tu ne pouvais garder qu’un seul morceau d’Anaal Nathrakh, tu choisirais lequel ? »

Pour les deux premiers épisodes de cette série d’articles, j’avais choisi la facilité.

Pour Slayer, il y avait tout simplement cette nostalgie, ce rappel de « la première fois », de ce premier frisson, de cette montée d’adrénaline qui m’avait incité à creuser plus.

Pour Cannibal Corpse, ma reprise actuelle de la rédaction d’articles m’a renvoyé de nombreuses années en arrière, quand j’écrivais encore assidument pour le zine et que j’avais pu assister, avant même la sortie de Kill, à la renaissance d’un groupe qui semblait tout doucement s’essouffler devant mes yeux.

Pour Anaal Nathrakh, le choix s’est avéré bien plus cornélien. Parce qu’Anaal Nathrakh n’est pas un « simple » groupe comme il en existe tant pour moi. Il s’agit à la fois d’une de mes premières plongées dans le metal VRAIMENT extrême (la découverte de « Submission Is For The Weak » en 2001, quelques semaines après la sortie de God Hates Us All de vous-savez-qui, reste encore aujourd’hui gravée dans ma mémoire) et d’un fidèle compagnon lors de périodes plus compliquées. Certains optent pour la drogue, l’alcool, le sport ou tout autre exutoire pour se changer les idées, j’avais un faible pour l’énergie cathartique du duo de Birmingham. Et plusieurs de leurs albums, en particulier ceux sortis entre 2012 et 2016, m’ont aidé à surmonter des épreuves.

Sans ce contexte, j’aurais sans aucun doute choisi « Castigation And Betrayal » de l’album Hell Is Empty, And All The Devils Are Here (sorti en 2007, l’année d’un grand écart musical colossal de la part de Mick Kenney qui sortira à la fois cette grenade sonique et l’unique album de Professor Fate que je vous recommande chaudement si vous ne connaissez pas). Un riff colossal, une explosion grotesque de blast et de hurlements venant clôturer un album déjà hors normes, le tout assorti d’une production plus « respectable » que les tous premiers efforts du groupe. Ce titre est absolument incroyable, il me bluffe à chaque écoute, mais il s’inscrit dans un contexte plus insouciant de ma vie.

Et c’est peut-être justement là qu’on comprend à quel point la musique a aussi ce pouvoir de marquer les esprits, de servir de béquille, de défouloir, de psychothérapie. Si j’ai choisi un morceau de 2016, c’est parce qu’il est attaché à un souvenir clé, un de ces moments de la vie réelle où tout s’inscrit au fer rouge dans les neurones.

Octobre 2016, un dimanche, quelques jours avant la sortie de The Whole Of The Law. La copie promotionnelle tourne dans la voiture depuis déjà quelques jours. Une réunion de famille en présence d’un docteur et l’annonce qui tombe comme un couperet : tous les traitements ont échoué, il ne reste plus qu’une seule issue pour ma mère, et ce seront tôt ou tard les soins palliatifs en conclusion d’années de lutte contre la maladie. Et sur le chemin du retour, au moment de garer ma voiture devant chez moi, en plein déluge de décibels, j’arrive au 3e morceau : « Hold Your Children Close And Pray For Oblivion » et son mini-break lumineux à 2:08 juste avant un de ces hurlements dont Dave Hunt a le secret. Le catharsis parfait. J’ai coupé le contact, la Seat garée avec la roue arrière sur le trottoir, et j’ai passé le reste de l’album dans la voiture à entamer les deux premières étapes d’un deuil annoncé : le déni et de la colère.

« Hold Your Children Close And Pray For Oblivion » n’est pas le meilleur morceau du groupe. Ce n’est même pas le meilleur de l’album (j’hésite encore entre « Extravaganza! » et ses envolées king diamonesques dans les aigus ou « Of Horrors, And The Black Shawls » et ses chœurs en intro), mais il est la bande-son d’un épisode de ma vie. Pas le meilleur épisode, loin de là. Mais un de ceux qu’on n’oublie pas.