Souvent en interview, le grand défi est de réussir à faire parler le musicien suffisamment en détails pour réussir à rendre l’article intéressant. Et avec des réponses de plus de deux lignes, si possible. Avec Tobias Sammet, le défi est tout autre : réussir à aborder tous les points que l’on voudrait aborder dans les 20-30mn généralement accordées pour une interview… en sachant que si on a le malheur de trop rebondir sur ce qu’il dit on est cuit, certaines questions resteront sans réponse pour cause de temps. On a coutume de dire qu’avec Tobias, on peut poser la question, aller chercher un verre, papoter avec des gens au bar, et quand on revient 5mn après il termine juste sa réponse à la première question. Ce qui, très honnêtement, n’est pas du tout exagéré. Et en effet, malgré trois questions abandonnées et une honteusement oubliée, cet entretien aura duré bien plus de 30mn. Vive les bons clients en interview !

Metalchroniques: Pourquoi sortir deux albums le même jour, et non un double album par exemple ?
Tobias Sammet: Ca sera aussi un double, puisque l’édition limitée inclut les deux albums. Si ça avait un double album, je crois que les gens l’auraient perçu différemment : pour moi, sur un double, il y a dix, peut-être douze titres, trois instrumentaux, deux passages parlés, et de longs thèmes sur le deuxième album. Je ne voulais pas que ça sorte comme ça, parce qu’il y a trop de matière, 125 minutes peut-être. Je voulais que les gens accordent à chaque album toute l’attention qu’ils méritent. C’est pourquoi j’ai pensé que ça serait plus efficace d’avoir deux titres, deux couvertures différentes et de les présenter comme deux albums complètement différents. Et à côté de ça, vous avez aussi la possibilité d’avoir les deux en une fois. Mais je pense que de cette manière les gens seront vraiment conscients qu’ils prennent deux albums complets, qu’ils doivent écouter de manière très attentive, chacun, et accorder autant d’attention à l’un qu’à l’autre.

M.: D’accord, mais dans ce cas… par exemple, est-ce que l’un est la suite de l’autre, est-ce qu’il y a une histoire entre eux, comme il y en a souvent dans les concepts d’Avantasia ?
T. S.: Il y a une histoire, c’est juste que le déroulement n’est pas vraiment chronologique. L’ordre correct serait d’abord The Scarecrow puis The Wicked Symphony et enfin Angel of Babylon. Mais ça n’est pas aussi chronologique que ça a pu l’être, ou aussi simple que ça a pu l’être par le passé. Quand, par exemple, sur la chanson numéro un le protagoniste allait de la forêt vers la côte, sur la chanson numéro deux il prenait un bateau pour se rendre sur une île, sur la chanson numéro trois il débarquait sur l’île… ça n’est pas comme ça ici. Au lieu de ça, je parle beaucoup en métaphores, c’est plus abstrait maintenant.

Il y a une chronologie dans l’histoire, particulièrement dans ces deux nouveaux albums. Chaque chanson dépeint tel ou tel état d’esprit du protagoniste, au fur et à mesure qu’il fait face à de plus en plus d’aspects de la tentation. D’une certaine manière il est en pleine apogée, mais en fait émotionnellement parlant c’est une personne isolée. C’est un artiste qui a trouvé la paix, sa paix, en composant sa propre musique, comme s’il créait son propre monde tout en rendant les autres heureux par la même occasion, et pour laquelle il reçoit de l’admiration qu’il prend pour de l’amour. Maintenant, il a atteint un point où plus il vole vers le haut plus il s’approche des frontières intérieures de l’existence humaine, il doit faire face à ses démons, ses vices, ses tentations. Et plus le pendule va vers ses tentations, plus il retourne dans l’autre direction, vers l’isolement à nouveau, vers une situation où il s’arrête et se dit que quelque chose est en train de très mal tourner là. Le pendule s’éloigne de plus en plus du centre et j’essaie de mettre en lumière les différents aspects de son existence et les différents états d’esprit qu’il doit traverser, les différentes tentations auxquelles il doit faire face.

Il y a une certaine chronologie, mais chaque chanson fonctionne particulièrement bien en elle-même parce que chacune pourrait être un nouvel aspect de la tentation. Mais ça peut être à travers un souvenir, alors qu’il vient de se réveiller et qu’il réalise que quelque chose ne tourne pas rond du tout, quoi que ce soit de ce genre. Au final, chaque chanson a sa propre justification et c’est comme ça que l’on peut voir une histoire complète dans ces albums. Mais ça pourrait aussi être des albums traditionnels où chaque chanson a du sens en elle-même, sans être en liée aux autres. Du moins dans mon petit monde étrange… (rires)

M.: Puisque vous en parlez, je dois dire que quand j’ai lu l’histoire de l’album The Scarecrow, je n’ai pas pu m’empêcher qu’il y avait un petit quelque chose d’autobiographique là-dedans… avais-je tort?
T. S.: Oui, c’est possible. Pas complètement je veux dire, mais ça arrive quoi que vous écriviez. Même si vous prenez Goethe, non pas que je me compare à Goethe (rires), il était très intelligent mais il n’était pas très doué [avec l’autre sexe]. Si vous lisez ses poèmes ou ses écrits, vous verrez que l’on retrouve une partie de sa pensée dans chaque personnage, pas seulement le protagoniste principale ou Faust mais aussi dans Gretchen (note : pour les germanistes, Marguerite pour les plus francophones) ou le caniche. Et je crois que ça arrive à tout le monde, inconsciemment. Alors oui, il y a des aspects de moi dans ce personnage, il y a des aspects de moi dans chaque personnage. Je ne dis pas « c’est mal » et « c’est bien », je ne pense pas en noir et blanc. J’essaie juste d’apporter un éclairage sur la nature humaine, ce qui est évidemment basé en partie sur mon expérience personnelle et en partie sur mes théories.

Comme je le disais, je ne pense pas en noir et blanc, je ne suis pas comme l’Eglise catholique romaine qui explique que la chair et le sang représentent le mal et l’esprit le bien. Nous sommes dans un corps de chair et de sang, nous sommes des esprits enfermés dans le corps d’un animal. Et nous devons faire avec, c’est peut-être difficile mais c’est aussi un défi. Je suis attaché au fait que nous sommes les deux, je suis attaché au fait que je m’efforce d’être un esprit pur et une bonne personne et aussi le fait que je suis un animal, sale. Nous sommes les deux et nous devons faire au mieux avec ça, nous ne pouvons nier aucune des deux parties. C’est en gros de ça que parle l’histoire.

M.: Et c’est certainement un point commun avec la première saga d’Avantasia mais le passe alors passons aussi. S’il y a tellement de mouvements d’aller-retour dans l’histoire, comme vous l’avez dit, comment faites-vous le lien chronologique entre les chansons et les albums ?
T. S.: C’est juste que les choses vont de plus en plus mal, avec le pendule qui va encore plus vers la gauche et encore plus vers la droite. Au final il n’y a pas vraiment de règle dans l’histoire, pas comme si je donnais des instructions sur la manière de vivre sa vie, c’est plus théâtral. Ca reflète des situations dans lesquelles je me suis trouvé, dans une certaine mesure. Je n’ai jamais été accroc à des drogues par exemple, contrairement au protagoniste. A vrai dire je déteste les drogues. Bien sûr tout le monde fait des trucs dans sa jeunesse, mais je déteste vraiment ça. Si tu es un gamin de 20 ans et que n’es pas très intelligent, tu prendras peut-être de la dope ou de la cocaïne, mais si tu es intelligent tu n’en prends pas. C’est pour ça que je pense que c’est des trucs pour les petits gamins.

Mais peu importe, pour résumer : je ne suis pas aussi mal que le protagoniste de mon histoire. Malgré tout il y a ce fil rouge, parce qu’à un moment donné il se retrouve dans une situation qui le mène dans une certaine direction, et je montre seulement les différents états d’esprit qu’il doit traverser pour atteindre son but. A la fin, il défie véritablement la tentation, au moins il défie Méphisto qui risque utiliser le hasard et les capacités du protagoniste dans le but de devenir plus puissant. Il le défie en lui disant : « non, je ne vais pas abandonner, je vais devenir un homme libre. » Il ne trouve pas la personne qu’il voudrait aimer, mais il continue de croire qu’il trouvera cet amour un jour, et il finit dans un asile de fous. C’est une histoire très tragique, j’espère qu’elle n’est pas très autobiographique…

M.: J’espère pour vous! (rires)
T. S.: Mais même, je trouvais que c’était une fin ouverte et théâtrale. Et ça montre que l’on peut basculer à droite puis à gauche tout en conservant un fil rouge là-dedans. Ca part d’un côté, puis de l’autre, puis de l’autre, et malgré tout vous avancez dans une direction.

M.: J’ai lu une interview où vous donniez l’impression qu’il important pour vous de savoir que Sascha Paeth allait enregistrer ces albums, ça aurait eu un rôle dans le fait d’accepter de vous lancer dans une nouvelle saga ?
(note: Vous lisez cette interview mais vous ne savez pas qui est Sascha Paeth? A savoir que vous aimez, peut-être même adorez, le metal mélodique d’après les années 90, mais vous ne connaissez pas ce nom ? Deux raisons possibles : soit vous n’avez pas lu vos livrets avec suffisamment d’attention, soit vous n’avez pas acheté les albums du tout… dans les deux cas c’est très mal et je vous recommande très vivement de remédier à ces très grandes erreurs au plus vite. Indice : il a produit les albums d’Angra ou Rhapsody depuis leurs débuts, parmi de très, très nombreux autres.)
T. S.: Oui, définitivement. Parce qu’il est comme un frère pour moi. Quand je l’ai rencontré, il m’offrait de nouvelles visions, de nouvelles perspectives, il me faisait percevoir la musique de manière différente, il m’a montré tellement de nouvelles options. Parfois nous avons besoin de quelqu’un pour nous dire :« Eh oh Tobi, réveille-toi, cette direction. » Alors nous nous engageons dans cette direction et nous nous disons :« ouah, il y a un monde immense, génial et superbe dans cette direction ! »

Je crois que nous nous avons été englués dans le schéma de ce que les gens appellent « le power-metal traditionnel » par le passé, avec les passages en Finlande pour être par le producteur de Stratovarius chez Finnvox et toutes ces choses. Je ne dis pas que je le regrette, c’était très bien, c’était très important, je suis très reconnaissant envers toutes les personnes qui y ont participé. Mais je pense que l’on se dirigeait vers une impasse parce que tous les groupes faisaient la même chose. Et maintenant si vous écoutez tous ces groupes de power-metal comme on les appelle, ils sonnent tous de la même manière : c’est les mêmes mélodies, la même production, le même son. Et Sascha m’a montré que l’on peut jouer ce genre de musique sans en perdre l’intérêt. Il a amené cet élément Frank Zappa dans Edguy par exemple. Comme s’il m’avait dit : « vous pouvez tout faire : ça sera Edguy, ça sera votre musique, vous écrivez les chansons que vous avez toujours voulu écrire et vous pouvez oser faire ci, vous pouvez oser faire ça. » Nous l’avons même intégré au processus d’arrangement d’Edguy, et c’est la même chose avec Avantasia. Ca représente un avantage énorme d’aboir quelqu’un de l’extérieur qui jette un oeil à ce que vous faites, ou une oreille à ce que vous faites. Il ne met pas vraiment les choses sans dessus-dessous, mais il montre vraiment, vraiment une nouvelle direction pour ça, et je le remercie énormément pour ça.

Sascha et moi travaillons vraiment très bien ensemble en fait. Pas en se substituant l’un à l’autre, mais il me demande devoir un autre aspect de certaines choses et je lui demande de voir un autre aspect de certaines choses. Nous formons une bonne équipe ensemble, on se complète d’une très bonne manière. Je fais parfois des choses qu’il trouve nazes, je lui dis « Non, ça n’est pas naze! A toi d’écouter! », et il me répond « oui, tu avais raison, ça n’est pas naze… » Et la même chose m’arrive : parfois il me dit que je devrais faire ci ou ça, et je lui dis que c’est naze, donc il me répond: « Non, ça ne l’est pas! Tu es tellement fermé d’esprit, Tobi! » Puis je réécoute et j’admets qu’il avait raison. Alors il y a beaucoup de tension entre nous, mais c’est une bonne tension, saine, nous avons beaucoup de respect l’un pour l’autre. Tout le monde a un partenaire musical comme ça : quand vous êtes avec lui, vous ne pouvez que gagner.

M.: Et quand avez-vous commencé à travailler avec lui, environ ?
T. S.: Il a déjà travaillé avec Edguy, pour l’album Rocket Ride. C’est le premier album qu’il a produit pour nous. Avec Avantasia ça a commencé en 2006. Je me souviens que nous avons fait des choeurs pour Edguy, sur l’album Rocket Ride… je crois que c’était en 2006. J’étais dans un train avec Oli Hartmann et Ralf Zdiarstek ; Ralf Zdiarstek chante sur les nouveaux albums d’Avantasia aussi ainsi qu’Oli Hartmann bien entendu. Ils m’ont demandé quelque chose comme : « Pourquoi est-ce que tu ne fais pas un autre album d’Avantasia ? Tu as tellement d’expérience maintenant, tu peux vraiment le faire. Et tu as de quoi le financer, tu as le savoir-faire, tu as l’expérience, tu es relaxé : fais-le ! ». Ensuite je suis allé voir Sascha pour lui en parler. Il est toujours en train de travailler pour un groupe vous savez, sans arrêt, en tant que producteur pas guitariste. Et il m’a répondu : « Oui, faisons-le, je serai là, je peux être jouer de la guitare dessus, je peux le produire », et je me suis dit que ça serait une très bonne idée. Mais il avait décidé de n’en parler à personne, on devait juste commencer à travailler là-dessus et voir ce qui en sortait : ça n’allait pas forcément être de l’Avantasia. Nous nous sommes vus pendant deux jours peut-être, et nous avions déjà quatre chansons finalisées ! Et ça a continué comme ça. En peu de temps nous avions douze chansons. La première et la deuxième chansons que nous avons faites étaient« The Scarecrow » and « Lost in Space » : c’est là que j’ai su que ça allait être fantastique. Tout ça s’est passé en 2006 : c’est là que nous avons vraiment commencé à travailler sur des chansons, à nous concentrer là-dessus.

M.: Vous avez même réussi à lui faire jouer de la guitare sur ces albums, alors qu’il est plutôt rare de l’entendre jouer de la guitare de nos jours, même sur une seule chanson…
T. S.: Oui, mais il est tellement bon. Même quand il chante il sonne comme Jake E. Lee, le guitariste de Badlands ou d’Ozzy Osbourne. Eric (note : Singer, principalement connu comme guitariste de Kiss ou d’Alice Cooper, joue aussi sur beaucoup de titres d’Avantasia dans cette deuxième saga) et Jake ont joué ensemble dans Badlands et il dit que Sascha a le même timbre que jake. Eric a même dit une fois que si Sascha savait à quel point il est doué, il serait arrogant (rires). Je crois que c’est la manière d’Eric de complimenter Sascha.

M.: Comment décidez-vous qui joue quelle chanson? Et je dis bien « joue », pas « chante »…
T. S.: Eh bien pour la batterie par exemple ça a été très simple : Eric Singer était censé tout jouer… et il a bien joué sur les premières mais après il n’a plus eu de temps libre parce qu’il était occupé avec Kiss. Alors je pouvais annuler tout ce qu’il y avait autour d’Avantasia et me tuer, ou demander à quelqu’un d’autre de jouer ! J’ai donc demandé à Alex Holzwarth parce qu’il avait enregistré les premières chansons d’Avantasia. Et puis je me suis dit que ça ne serait pas juste si je ne le demandais pas aussi à Felix (note: Bohnke, batteur d’Edguy), étant donné qu’il avait sauvé mes fesses quand il s’est embarqué dans la tournée d’Avantasia à laquelle Eric ne pouvait finalement pas participer parce qu’il était avec Kiss, encore ! J’ai fini par faire deux tas au hasard, et demandé à chacun de jouer sur telle ou telle chanson.

Pour la guitare rythmique… Sascha peut jouer de tout: il est producteur, c’est un guitariste génial, il joue toutes les guitares rythmiques.

La basse… je joue tout ce que je peux jouer, mais parfois c’est Sascha qui joue. Non pas que je sois un mauvais bassiste, mais je ne considère pas que je sois un vrai bassiste. Je peux jouer, je peux jouer en rythme, et j’aime jouer de la basse. Mais je ne suis pas le type qui va rester assis chez lui et faire dix heures d’exercices juste pour pouvoir jouer certaines choses. Si je ne peux pas, vas-y Sascha ! (rires) Je pourrais jouer ces parties, je m’entrainais deux heures par jour pendant même quatre semaines seulement, parce qu’au bout d’un moment les habitudes reviennent. Mais je ne veux pas de ces habitudes, je n’en ai pas besoin. J’aime jouer de la basse, mais je ne l’aime pas à tel point que je gâcherais deux heures par jour pour devenir Billy Sheehan ou Steve Harris.

Pour les guitares solo, Sascha joue énormément de choses et Oli était un des deux lead-guitaristes en concert. En fait j’ai dit à Sascha que quoi qu’il veuille donner à Oli, il pouvait le donner à Oli. J’avais demandé à Bruce Kulick et Henjo Richter avant, et Sascha a dit qu’ils pouvaient jouer telle et telle chanson. Ca été décidé à l’instinct, par coïncidences.

M.: Vous dites que vous n’êtes pas un très bon bassiste mais j’ai entendu un mini solo de basse dans une des chansons que nous avons entendues cet après-midi… (note : il y avait une listenin-session juste avant cette interview, avec divers morceaux des deux albums en une heure)
T. S.: C’était certainement « Stargazers », c’est une chanson jouée par Sascha. C’est un passage facile d’ailleurs, mais je ne vais pas m’en attribuer le crédit : c’est une chanson jouée par Sascha, très officiellement.

M.: Après avoir écouté ces chansons, je me dois de vous demander: en aviez-vous marre d’entendre les gens dire que vous étiez de plus en plus dans le hard-rock et de moins en moins dans le heavy-metal?
T. S.: Non, ça n’est pas un secret que je ne fais pas vraiment de différence entre heavy-metal et hard-rock. Je ne sais pas qui s’est réveillé un matin avec cette idée idiote de mettre une étiquette sur chacun et de les séparer l’un de l’autre, ça n’a pas de sens. C’est quoi Ronnie James Dio? Du hard-rock? Du heavy-metal? Du rock? C’est quoi Thin Lizzy? Du blues-rock? Du hard-rock? Du rock? Je ne mets pas vraiment d’étiquette dessus…

M.: Je crois que ça a commencé quand Maiden a commencé à marcher…
T. S.: Oui mais… pourquoi est-ce que Maiden font du heavy-metal? Parce qu’ils utilisent une double grosse caisse ? Je crois que ça n’est pas suffisant. Pour moi, tant que c’est mené par de bonnes guitares ça me va très bien. Vous pouvez aimer AC/DC, Def Leppard, Iron Maiden et Helloween en même temps. Je ne vois pas où est le problème. J’en ai parfois marre des gens qui me disent : « Vous devenez commercial, en écrivant des chansons qui pourraient passer en radio. » Ca n’est pas vrai ! Ces chansons auraient pu marcher en radio en 1988, pas en 2010. C’est ça qui m’énerve vraiment. Mais je m’y suis habitué. Il y a beaucoup de chansons hard-rock sur cet album. Comme je l’ai dit, je ne sais pas où le heavy-metal commence et où le hard-rock s’arrête.

M.: Ma foi, je vous l’ai demandé surtout parce que les premières chansons que nous avons entendues sonnaient très heavy-metal à mes oreilles…
T. S.: Ma foi, je n’ai jamais dit que je n’aime pas le heavy-metal, mais je ne me suis jamais dit que je devais vraiment commencer à jouer plus de heavy-metal. Si vous prenez le dernier album d’Edguy par exemple, qui est pour moi le meilleur album d’Edguy à ce jour, ou celui dont je suis le plus fier, suivi de près par Rocket Ride : certaines personnes ont dit que c’est un album de hard-rock. Tout d’abord je ne vois pas ce qu’il y a de mal dans un album de hard-rock, mais même en dehors de ça, pour moi, des chansons comme « Speedhoven », « Wake Up Dreaming Black », « The Pride of Creation »… elles auraient toutes pu être sur Mandrake, par rapport au style. Si vous écoutez « Dragonfly », ce son plein d’emphase, les plus gros choeurs que l’on n’ait jamais eu. Ou peut-être que les gens n’aiment pas les riffs plus heavy ? Parce que si vous prenez des chansons comme « Sex Fire Religion » ou « Ministry of Saints », ce sont en fait les riffs les plus heavy que l’on n’ait jamais eu ! Alors peut-être que les fans de heavy-metal ne sentent pas que la musique puisse être du heavy-metal si c’est trop heavy ? (rires) Ce qui serait étrange, mais c’est peut être ça ! Je ne pense pas que les riffs de « Ministry of Saints », de « Dead or Rock », de « Sex Fire Religion », de « Nine Lives »: ce sont certains des riffs les plus lourds que l’on n’ait jamais eus, et tout à coup les gens commencent à se plaindre « oh, ça n’est heavy-metal ». Exactement, ces riffs ne peuvent pas être heavy-metal, il sont trop heavy!

M.: Je pense que c’est peut-être à cause du rythme, parce que des passages de ces chansons ont des rythmes amusants alors que… ce que les gens appellent généralement « heavy-metal » a un rythme assez linéaire…
T. S.: Ma foi, je pense que « Sex Fire Religion », « Dragonfly », « Ministry of Saints » ou « Dead or Rock », toutes ces chansons ont un rythme assez simple… Je pense qu’une chanson heavy-metal est assez facile, assez naïve, assez… simpliste. Parfois je me dis que les fans de heavy-metal ne saisissent pas vraiment les riffs heavy(/lourds), c’est là qu’ils commencent à se plaindre en disant que ça n’est plus du heavy-metal. Parce que le heavy-metal n’est pas censé avoir des riffs heavy, c’est censé avoir une batterie rapide qui sonne comme une boîte à rythmes, des guitares qui sonnent comme un clavier, un chanteur qui sonne comme une fille : quand tout ça est réuni, c’est du vrai heavy, heavy metal ! (rires)

M.: Etes-vous d’accord si je dis que, en dehors des coûts de production, la principale différence entre Avantasia et Edguy est que votre side-project est sérieux tandis que votre groupe principal est plus tourné vers l’amusement ?
T. S.: Non, je ne suis pas d’accord. Je veux dire, évidemment qu’il y a aussi des chansons marrantes dans Edguy, mais pas seulement. Pour en rester au dernier album, des chansons comme « Ministry of Saints », « Sex Fire Religion », « Dead or Rock » encore, « Wake Up Dreaming Black »… dans tout l’album, il y a peut-être deux chansons qui sont drôles de manière évidente : « Pride of Creation » et « Aren’t You a Little Pervert Too?! ». Peut-être avec les paroles de « Dragonfly ». Mais à part ça, il n’est pas si drôle.

M.: Dans la musique aussi, je voulais dire, pas simplement les paroles, assez souvent…
T. S.: Est-ce que c’est vraiment drôle ? Je ne sais pas… Parfois ça l’est, nous n’avons définitivement pas peur d’énerver des gens en montrant de manière évidente que l’on s’amuse beaucoup en faisant ce que nous faisons. Je trouve que c’est très rock’n’roll. Et c’est ce que j’aime tellement chez Frank Zappa, il n’avait pas peur d’énerver les gens, il faisait juste ses trucs. Pour moi, c’est l’attitude rock’n’roll la plus ultime que l’on puisse avoir, faire quelque chose sans avoir peur des conséquences. Le faire uniquement parce qu’on y croit, parce qu’on le peut. Frank Zappa est le parrain du heavy-metal pour moi, même s’il me tuerait immédiatement avec un éclair s’il entendait que je considère qu’il a quelque chose de heavy-metal. (rires)

M.: Quand vous parlez de l’album précédent (note : The Scarecrow), vous paraissez être très fier de « Lost in Space », en expliquant qu’il était assez risqué de la sortir, ce genre de choses : pouvez-vous me dire ce qui y est si risqué à vous oreilles, et avez-vous réessayé ça sur ces deux nouveaux albums ?
T. S.: Bien entendu tout ce que vous faites est plus ou moins risqué, parce que plus vous avez de fans plus vous êtes susceptibles de décevoir des fans. Avec « Lost in Space » j’avais le sentiment qu’il y aurait une controverse pour une raison ou pour une autre: c’était une chanson hard-rock très basique, pas de gros choeurs… Par exemple, si vous écoutez The Metal Opera – Part 1 et Part 2 puis « Lost in Space », il est évident que l’approche est différente. Avantasia avait disparu depuis cinq ans puis nous avons fait quelque chose qui représentait un aspect très, très extrême de la musique, très éloigné de ce que les gens auraient pu attendre d’Avantasia. Et certaines personnes ont vraiment eu peur que je sois parti complètement en dehors du heavy-metal, pour de bon. Je trouve que la chanson marche très bien au sein de l’album, mais elle utilisait une approche différente : pas de double grosse caisse, pas de gros choeurs, pas de Michael Kiske, un chant très, très aiguë, c’était tout sauf ce que les gens attendaient d’Avantasia. C’est pour ça que je pense que c’était courageux.

Et je l’ai faite dans ce but. Quand j’ai entendu la chanson j’ai pensé que c’était une très, très bonne chanson rock, ou une très bonne chanson hard-rock, différente de tout ce que nous avions fait auparavant. Puis je me suis dit que si les gens la détestaient ils allaient en parler, alors « cuisinons »-la.

M.: Et est-ce que vous à nouveau mis ce type de chanson dans ces deux nouveaux albums?
T. S.: Eh bien je ne sais pas… Les ballades définitivement, comme « Dying For an Angel » qui est une des chansons les plus gentilles, à savoir que la ballade va être la première vidéo : certaines personnes vont probablement s’énerver à cause de ça, un peu, à nouveau. Mais il faut respecter une certaine constance, un certain modèle, alors ça me va si ça arrive à nouveau.

M.: On dirait que vous adorez énerver les gens!
T. S.: (rires) Non, c’est un mensonge! Vous faites plein de choses pour obtenir une réaction, mais j’ai quitté l’âge où l’on fait des choses uniquement dans le but d’obtenir une réaction. Cependant, si ça arrive, je ne me plains pas !

M.: J’ai lu que, pour vous, être « purement metal » revient exactement à être « purement raciste », pourtant sur les albums d’Avantasia il n’y a que des musiciens ou des chanteurs de metal…
T. S.: Non! Je veux dire… oui, ça dépend de ce que vous considérez être du hard-rock. Je pense couvrir un éventail assez large. Il y a Cloudy Yang, une chanteuse que vous n’avez pas entendue aujourd’hui, elle sonne comme Kate Bush. Ou Bob Catley, qui est un chanteur de rock. Ou Bruce Kulick, un guitariste de southern rock. Bien sûr il est très, très logique et naturel que j’invite des musiciens de cet univers, disons « rock » qui inclut le hard-rock et le heavy-metal, puisque c’est la musique que je préfère personnellement. Je n’accuse personne de faire autre chose mais c’est évidemment les personnes avec lesquelles j’ai grandi, alors il est évident que je demande à ces gens de rejoindre ma famille. Mais par exemple si Tom Petty voulait faire partie de mon album… allons-y !

M.: Autrement dit vous êtes ouvert… tant que c’est du rock !
T. S.: Je suis ouvert à tout.

M.: Oh ? Alors pourquoi pas un truc de rap ou que sais-je ? Ou bien vous n’êtes pas ouvert d’esprit à ce point ?
T. S.: Ca n’a rien à voir avec l’ouverture d’esprit, c’est juste que je n’aime pas le rap ! (rires) Je n’aime pas la plupart de ce genre, personnellement. J’aime bien Falco par contre, vous connaissez Falco ? Il est autrichien…

M.: Je crois que oui… (note: le pire c’est que c’est vrai, son nom a dû être cité lors d’un quelconque documentaire sur le rap ou NTM… car oui, je m’instruis toujours avant de critiquer, même concernant le rap !)
T. S.: « Der Kommisssar », des chansons comme ça. Il est mort hélas, mais il est absolument certain que je l’aurais invité. J’ai aussi pensé inviter une chanteuse allemande, une chanteuse allemande de pop, mais elle n’était pas disponible. Elle est tout sauf metal, peut-être pop ou… enfin, absolument pas « rock ». Je crois qu’elle n’a jamais fait d’album avec des guitares jusqu’à maintenant : on ne peut vraiment pas appeler ça « du rock ». Pourtant c’est une très bonne chanteuse ! Je n’ai pas peur d’inviter des gens comme ça, je ne suis contre rien en particulier, c’est juste qu’il est naturel que j’invite des gens qui viennent des racines avec lesquelles j’ai grandi. C’est la seule raison pour laquelle j’ai ces musiciens sur ces albums. Falco par exemple, s’il était en vie et s’il avait été d’accord pour être sur mon album, je l’aurais accueilli à bras ouverts !

M.: Et une question un peu idiote pour terminer cette interview : Préféreriez-vous mourir comme un artiste qui a fait tout ce qu’il a jamais voulu faire en tant qu’artiste, rien de plus rien de moins, ou comme un artiste célèbre qui a accepté quelques compromis ici et là parce que ça pouvait lui apporter plus de succès ?
T. S.: Tout le monde doit accepter des compromis. Tout dépend de la distance que l’on veut vous faire prendre par rapport à ce que vous croyez sincèrement. Mais nous devons tous faire des sacrifices, il faut marchander dès le tout départ, dans tout type de relation ou de situation : c’est quelque chose de très naturel, je dois faire des compromis, assurément. Ca fait cool de dire « oh, je ne fais absolument aucun compromis », mais quand la maison de disques dit : « ok, on veut que tu sortes cette chanson en single, on te donnera tant de milliers d’euros en support promotionnel pour ça, si tu ne le fais pas tu n’auras aucun argent, » que faites-vous ? Est-ce que vous vous lancez avec la chanson dans laquelle vous croyez, ou est-ce que vous vous lancez avec la chanson pour laquelle la maison de disques vous paie ? A partir du moment où vous acceptez toutes les chansons, celle dont ils parlent comprise… Il m’arrive d’écrire dix chansons pour un album et de dire : « C’est avec cette chanson que j’aimerais faire la campagne principale ». Mais ils répondent : « Non, ça ne nous parle pas, celle-là nous parle. » C’est une chanson que vous avez écrit aussi ! Alors vous ne pouvez pas dire que vous ne la prendrez pas, vous les avez toutes écrites : vous pouvez essayer de les convaincre ou vous vous pliez à ce qu’ils disent. Il faut faire des petits compromis comme ça, par contre vous ne devez pas faire ce que vous ne voulez pas faire. Et il est certain que je voudrais avoir du succès avec de petits compromis, je pense qu’il est complètement idiot de ne faire – aucun – compromis. Mais je ne changerais pas à 180° pour ça, je ne ferais pas de virage radical. Et tous ceux qui vous ont répondu qu’ils ne feraient aucune sorte de compromis, c’est juste un gimmick du heavy-metal, c’est complètement idiot. Si la famille Lapin ne fait aucun compromis quand la grosse machine coupe, s’ils ne disent pas : « oh, et si on allait à 500m sur la gauche ? sinon on va mourir ! », ce sont juste de courageux lapins morts.

(note: calme Tobias, calme, tu es le premier et sans doute le dernier à qui je pose cette question, puisque son unique but était de te permettre de répondre à tous ceux qui aiment à dire « ah, laisse tomber, c’est un vendu »… pas mordre moi, moi vouloir être gentil lapin vivant !)

– Interviewé par Polochon, le 8 mars 2010. –