Devil's Train – Entretien avec Laki Ragazas

Devil's Train surprend avant tout par sa musique: voir des gens connus pour jouer dans des groupes de power metal plus ou moins complexe faire du hard-rock typé années 80… est pour le moins inattendu! Profitons donc d'une certaine acalmie dans cet hiver tardif pour discuter musique avec le guitariste et co-fondateur du groupe.

MetalChroniques: Bien sûr on devine facilement comment Jörg Michael a pu faire venir Jari Kainulainen dans Devil's Train [les deux ayant quelque peu joué ensemble dans Stratovarius pendant plus de 10 ans], mais comment les autres se sont-ils rencontrés, comment est-ce que le groupe s'est créé au final?
Laki Ragazas: J'ai été pour la première fois en contact avec Lia vers octobre 2009 [R.D. Liapakis, déjà chanteur de Mystic Prophecy, et que Laki surnomme apparemment constamment « Lia »], il est aussi dans le groupe de power-metal Mystic Prophecy. Dans cette période, j'ai découvert qu'il envisageait de faire un groupe qui serait plus dans le « heavy rock'n'roll », avec des influences bluesy, etc. Il avait eu cette idée en tête depuis plusieurs années et il commençait à vouloir tenter de voir ce que ça donnerait. Nous avons commencé à échanger des idées de chansons, et nous avons réalisé que nous avions la même vision, d'une certaine manière. Nous avons commencé à travailler là-dessus, rapidement ces idées ont evolué pour être de véritables chansons, il y avait une bonne chimie entre nous, nous nous entendions si bien dès le départ.
M.: Donc c'est avant tout vous deux qui composez?
L. R.: Oui, c'est nous qui nous chargeons de ça. Mais voilà, c'est comme ça que les choses ont commencé.
Un peu plus tard, Lia a rencontré Jörg sur une tournée que Mystic Prophecy a fait avec Stratovarius en janvier 2010, et Lia a parlé de cette idée avec Jörg. Il avait déjà une bonne expérience dans ce genre de musique avec ce qu'il avait fait avant Stratovarius après tout. Il aimait l'idée, il aimait les possibilités que ça pourrait ouvrir, jouer dans ce genre de groupe. Après tout, pendant toutes ces années à jouer pour Stratovarius et Running Wild, il s'était toujours dit que ça serait bien de revenir à ses racines un jour, à la musique des années 70, dans l'esprit de groupes comme Deep Purple ou Led Zeppelin. C'est pareil pour moi d'ailleurs, j'y rajouterais même Jimi Hendrix, je suis guitariste après tout! Et c'est vraiment mon Dieu A La Guitare!
Là-dessus nous avons commencé à travailler ensemble sur les chansons, un peu plus tard dans la même année, à l'été peut-être, nous avons commencé à enregistrer la batterie… c'est comme ça que tout a commencé.

M.: Vous avez commencé à enregistrer dès 2010? Ca fait deux ans jusqu'à aujourd'hui…
L. R.: Ah oui, presque, ou un an et demi. Mais bon, tu sais comment ça se passe dans le milieu de la musique aujourd'hui, les choses peuvent prendre du temps, c'est très difficile. Quand nous avons commencé à travailler sur cet album nous n'avions pas de contrat avec une maison de disques, donc nous avons tout pre-financé, nous avons dû nous charger de l'image pour la couverture, et ensuite chercher un contrat. Tout ça prend du temps, et il vaut mieux le faire un peu plus tard et que tout se passe bien. C'est pour ça que les choses ont un peu traîné, mais au final l'album est comme nous voulions qu'il soit.

M.: Tu y as déjà un peu répondu mais quand même: trois des quatre membres de Devil's Train sont connus pour avoir joué dans des groupes complètement différents de ce que joue Devil's Train [à savoir Stratovarius pour Jörg et Jari, Mystic Prophecy pour… ok, Lia]: comment les avez-vous convaincus de monter dans le train? [cymbales]
L. R.: Eh bien comme je l'ai dit, nos influences principales sont les mêmes, si bien que quand ils ont écouté nos idées de chansons, ils ont adoré, tous. Un peu comme si ça avait déclenché, ou illuminé quelque chose dans leur coeur. C'était l'étincelle dont ils avaient besoin pour dire: « ça m'intéresse ». Et si tu écoutes l'album, tu t'en rends compte très naturellement: les chansons correspondent parfaitement à la manière avec laquelle elles sont jouées. C'est vraiment ce qui se passe dans nos coeurs, dans nos têtes. Quand nous avons commencé à travailler sur les chansons, tout nous venait sans forcer, de manière très spontanée, c'était assez magique. Ils n'avaient pas besoin d'être convaincus au final, justement parce que c'était si naturel, il était évident que c'était quelque chose que nous voulions tous! Bien sûr je ne suis pas aussi connu qu'eux, mais quand on tient la bonne vision et qu'on travaille suffisamment dur tout en restant dans la bonne direction, tout est possible.

M.: En écoutant l'album, il est évident que tu es un très bon guitariste, techniquement parlant aussi. En fait, tu es même le genre de guitariste qu'on imaginerait plutôt sur un album plus complexe, peut-être plus progressif?
L. R.: Oui, il y a beaucoup de trucs progressifs dans ma manière de jouer, je dois l'admettre.
M.: D'un autre côté, ça va très bien avec les chansons, comprenons-nous bien!
L. R.: Oui, c'est surtout que j'ai une manière de jouer très technique. Je m'imagine très bien dans un autre genre de musique aussi. Et même, j'ai une bonne information pour toi: je vais rejoindre Mystic Prophecy, ça a été décidé très récemment! Ils m'ont proposé de devenir leur guitariste, et bien sûr j'ai accepté avec grand plaisir, parce que Lia y est déjà et que c'est un très bon groupe. Ils ont sorti un très bon album en novembre dernier, Ravenlord, et je suis très fier de les rejoindre. C'est une occasion de montrer, comme tu l'as dit, des choses plus complexes.
D'un autre côté, ce qui m'importe le plus, quand il s'agit de jouer de la guitare, c'est de s'exprimer. Les sentiments que portent les notes. Au bout du compte je préfère fermer les yeux et garder la bonne note, peu importe si c'est un million de notes ou juste une seule, qui fait [un bruit intranscriptible]… c'était une note, en train de crier! Pour moi, le mieux est de réussir à combiner une bonne technique, qui vous donne la liberté de bouger entre les frets, mais aussi d'ajouter des épices sur les notes, sinon ça ne sert à rien.
M.: Sinon c'est froid.
L. R.: Oui c'est froid, comme l'hiver.

M.: Vous vivez dans des parties très différentes de l'Europe, donc comment avez-vous fait l'album, parce que je suppose que même répéter ne doit pas être très évident?
L. R.: Oui, pour l'enregistrement j'ai pris l'avion vers l'Allemagne, depuis la Grèce, là nous avons enregistré la batterie et les parties de base à la guitare, ainsi que quelques solos et overdubs. Le chant aussi a été enregistré en Allemagne. La basse par contre a été enregistrée chez moi en Grèce, Jari est venu chez moi et il était ravi parce qu'il adore la Grèce. Si bien que c'était un mélange entre des vacances et le travail! Une très bonne semaine… et très folle, à boire de la bière, des litres de bière, et de très bonnes séances d'enregistrement pour la basse.
Mais bien sûr il est difficile pour nous d'être ensemble dans une même pièce, ça implique trop de vols en avion, c'est cher. D'un autre côté, le groupe a sa propre chimie, tout le monde est tout à fait à l'aise avec ce qu'il doit faire: ça sera très facile pour nous de faire un concert, n'importe où. Par exemple, si nous étions tous dans cette pièce, nous pourrions très facilement jouer quelques morceaux, ça ne nous demande pas beaucoup d'efforts de « jouer ensemble » [musicalement parlant].
M.: Parce que vous connaissez déjà très bien vos instruments.
L. R.: Oui, c'est cher mais je pense que nous pouvons nous en sortir.

M.: Qu'est-ce que vous aimez tellement dans le hard-rock américain des années 80, ou 70?
L. R.: Ah… Le soleil! Les femmes! Les bières! Je trouve que les américains avaient tellement compris le truc, cette alchimie. La bonne philosophie, la bonne construction d'un morceau, ça pouvait plaire à n'importe quel public. C'est aussi ce que nous avions en tête, pour l'album de Devil's Train. Nous avons joué ce que nous pensions être le plus spontané, le plus énergique, et nous venait de manière très spontanée, très naturelle: nous sommes vraiment heureux et fiers d'avoir obtenu ce résultat.

M.: Et selon vous, qu'est-ce que la musique a perdu depuis cette époque?
L. R.: Eh bien, il faut déjà constater que la musique des années 70 revient en force en ce moment, et c'est normal: tout suit toujours des cycles. Par exemple cette année on aime le gris, l'année prochaine ça sera le violet, une autre année on aimera telle autre couleur. Et c'est naturel, parce que ça plaît facilement aux gens, ça leur rappelle des souvenirs. Peut-être que dans 5 ans ça sera autre chose. Mais beaucoup de groupes jouent dans ce style aujourd'hui, par exemple Black Country Communion, Chickenfoot, ce genre de groupes. C'est quelque chose que les gens veulent jouer, ou écouter, c'est aussi simple que ça.

M.: Malgré tout… Pour toi, cette musique, celle de Devil's Train, est plus proche des années 70 que des années 80? Parce qu'en écoutant l'album, j'avais plutôt les années 80 en tête, même si les guitares sont peut-être plutôt dans l'esprit des années 70!
L. R.: Oui, je vois ce que tu veux dire. Mais c'est à cause de nos influences! C'est un peu la même chose, il y a toute cette admiration pour des groupes comme Led Zeppelin comme j'en ai déjà parlé, mais il y aussi Jörg et Jari qui ont joué dans Stratovarius pendant tellement d'années, et Lia avec Mystic Prophecy. Si bien qu'il y a beaucoup d'éléments metal dans notre musique. On y retrouve aussi notre passion pour des groupes comme Judas Priest… tout ça se retrouve dans cet album! Il y a beaucoup d'influences des années 70, mais elles sont rassemblées avec un son de guitare plus neuf, plus agressif: c'est un reflet de ce que nous avions en tête.

M.: Egalement, vous n'avez pas cherché à réinventer ce genre de musique. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, mais n'avez-vous pas peur qu'en restant si proches de ce que les gens connaissent déjà, le groupe ne puisse pas vraiment trouver sa propre personnalité?
L. R.: Oui, comme tu le dis très justement nous n'essayons pas de redéfinir quoi que ce soit, cette musique existe depuis 40 ans, et elle existera encore dans 50 ans, parce qu'elle appuie là où il faut dans le coeur de chacun. En fait, ce que nous cherchons à faire ici, c'est juste une bonne fête rock'n'roll. Et nous le faisons parce que nous aimons ça. Nous ne sommes pas là pour l'argent ou le succès.
M.: Ca serait difficile de nos jours!
L. R.: Oui, et surtout vous ne pouvez pas être convaincants si vous êtes comme ça. Je ne peux pas vous convaincre si je dis: « je suis là pour l'argent, achetez mon album! » Non, je joue parce que j'aime ça. Tu aimes aussi? C'est génial. C'est ça l'idée principale. Et je pense que c'est pour ça que les gens l'apprécient, à en croire les très bonnes critiques que nous recevons jusque là en tout cas. C'est un bon signe, et d'une certaine manière c'est suffisant: je ne cherche pas à vendre des albums, ça m'est égal, je veux avant tout envoyer un message. Je pense que ce message est déjà reçu, avec un peu de chance il se va se répandre encore plus, et c'est ça mon but. Communique, partager de bons moments, jouer des concerts, que des gens respectent et apprécient ce genre de musique autant que nous le faisons. Et ça s'arrête là, vraiment.

M.: Tant que j'y suis, et pour la même raison: comment convaincreriez-vous quelqu'un d'écouter votre album, au lieu de se contenter d'aller piocher dans sa collection de vinyles?
L. R.: En fait je ne peux pas vraiment, mais je dois lui faire voir, ou comprendre, que ce que je fais est sincère, c'est réel, sans faux-semblant. C'est pour ça que nous sommes ici, à Paris, en train de discuter avec vous tous, et c'est un honneur pour nous. Parce que ça veut dire que l'album reçoit déjà l'attention des médias, et c'est très important pour nous, c'est une très bonne opportunité pour répandre notre message. Et si ce message réussit à se frayer un chemin jusqu'à l'auditeur, je dirais: « Voilà pourquoi nous sommes là, c'est une fête rock'n'roll, vas t'amuser, embrasse ta copine, prends une bière, amuse-toi, fais l'amour cette nuit, tout ça est très bon pour la santé! »

M.: En dehors-même de la musique etc., l'humeur générale de l'album est très positive, alors que parfois dans ce genre de musique ça peut devenir assez sombre, Led Zeppelin par exemple a fait beaucoup de chansons plutôt sombres. Mais vous l'avez vraiment fait avec…
L. R.: …Beaucoup d'énergie, une humeur positive, oui. C'est tout à fait ça, et encore une fois ça nous est venu très naturellement. Nous n'avons rien forcé, du tout. Quand nous avons commencé à travailler sur les compositions avec Lia, nous avons commencé à faire quelques riffs, et oh! c'est « Devil To The Ground » [nom initial de « To The Ground », je suppose]! Après ça peut être un rythme, et voilà « Find New Love ». C'est l'énergie positive que possède ce groupe.

M.: Même si je pense déjà connaître la réponse, au moins un peu, je veux entendre votre propre réponse: pourquoi avoir choisi un son aussi propre pour une musique qui revendique en général « la crasse », sous toutes ses formes?
L. R.: Tu veux dire ma guitare?
M.: Non, l'album lui-même, le son de l'album.
L. R.: Ah, le son du groupe, la production. C'est vraiment propre? Je pensais que c'était sale!
M.: A mes oreilles, c'est particulièrement propre! Chaque instrument est bien à sa place, bien audible, tout au même niveau, etc.
L. R.: Ok, ok, je n'ai pas entendu ça jusqu'à maintenant. C'est nouveau! Lia s'est chargé de la production, c'est un excellent producteur. C'est peut-être bien que tu mentionnes ça, parce que Lia travaille généralement plus dans le metal à proprement parler, que ce soit du prog, du power ou du death-metal. Alors peut-être que c'est sa manière de rendre ses productions aussi claires que possible? Il ne faut pas oublier le mixage par Fredrik Nordström non plus, à Göteborg en Suède, c'est un très bon producteur etc. et il y a ajouté sa propre touche personnelle. Mais voilà, si le son est propre ça vient de la manière avec laquelle la production a été arrangée.

M.: Est-ce que tu comprends, ou perçois, pourquoi est-ce que j'ai pu m'énerver en regardant la vidéo d'American Woman? Parce que je me suis énervée!
L. R.: [Après un instant de réflexion?] Les filles qui dansaient en face de moi…
M.: Ma foi, que des femmes dansent dans tous les coins, ok, pourquoi pas, mais j'osais espérer que les choses avaient un peu évolué dans le metal depuis les années 80, même dans le metal?
L. R.: Ok, ok… mais tout est très symbolique! Ces filles sont des amies à nous, nous ne les avons pas forcées à écarter les jambes et tout le reste! Blagues mises à part: tout est vraiment symbolique, même les paroles de la chanson. Elle a été écrite quand les Etats-Unis étaient en guerre avec le Vietnam, et je crois qu'ils voulaient forcer le Canada à participer à la guerre. Guess Who [qui a écrit ce morceau] étant un groupe canadien, ils ont écrit ce morceau pour dire: « laissez-nous tranquilles, nous ne voulons pas prendre part à cette guerre! » Au final la femme est un symbole dans cette chanson, la liberté des femmes. Simplement, au lieu de brandir une balance [de la justice je suppose, et « libra » en anglais], elles brandissent leur soutien-gorge [« bra » en anglais]!
M.: Bien sûr!

M.: Un dernier mot pour nos lecteurs, ou quelque chose que tu voulais dire mais je n'ai pas demandé?
L. R.: Je veux d'abord te remercier pour me donner l'occasion de parler de Devil's Train, c'est un album que nous aimons vraiment: nous sommes fans de notre musique et nous espérons que vous aussi vous en deviendrez fans! Parce que nous pouvons passer un excellent moment ensemble, à jouer sur scène, nous aimerions vraiment venir à Paris et jouer pour vous. Nous espérons sincèrement que ça arrivera très bientôt, même si c'est encore trop tôt puisque l'album est sorti il y a seulement quelques jours. Nous verrons comment il marche, et avec un peu de chance nous viendrons jouer ici.

-Propos receuillis par Polochon en mars 2012.
Chronique de l'album éponyme de Devil's Train.-