Interview à Paris de Stéphan Forté

(ADAGIO – guitares/chant extrême), 26 mai 2012

 

01. Quel est ton état d’esprit quelques mois après la sortie de The Shadows Compendium ?

Je suis content, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit accueilli de cette manière. Très bonne surprise, heureux, je suis vraiment surpris et content. Tu modifierais des choses à posteriori ? Il y a toujours des éléments que je souhaiterais modifier parce que, de jour en jour et parfois d’heure en heure, on a toujours des idées qui émergent, on découvre de nouvelles choses. Donc oui mais le disque rend quand même assez bien compte de ce que je voulais faire depuis longtemps. Je l’ai fait sans trop de compromis, pour me faire plaisir et donc j’ai atteint mon objectif.

 

02. On peut avoir une drôle d'impression à la lecture du site internet d'Adagio. 8 juillet 2010 annonce du travail du groupe avec Mats Leven sur un nouvel album et 8 août 2010 annonce du début de l'enregistrement de l'album solo. Pour mettre fin à la confusion, les compos du premier sont-elles passées sur le second ?

Non, ce n’est pas les mêmes compositions. En fait, il y a tellement de trucs à faire en même temps, sans cesse. On devait travailler avec Mats puis cela ne s’est finalement pas fait parce que Kelly (Ndlr Kelly Sundown Carpenter le nouveau chanteur) est venu habiter en Europe et forcément c’était avec lui qu’on voulait le faire depuis longtemps. Nous n’avions pas eu l’opportunité avant car il vivait au Texas. Maintenant il est en Europe et cela s’est fait naturellement. Avec Mats on avait arrêté car de toute façon car il ne voulait pas s’investir 100% dans un groupe. Il préfére ne pas s'attacher et multiplier les projets différents. C’était clair dès le début et il nous avait dit gentiment qu’il nous rendrait service le temps nécessaire pour trouver quelqu’un. Kelly est alors arrivé. Entre temps j’avais déjà entamé le process de l’album solo et j’étais arrivé à un point où il fallait que je le finisse. Je ne pouvais pas faire les deux choses en même temps ADAGIO et l’album solo. Cela reste deux projets différents avec bien sûr des similitudes.

 

03. Quelle a été ta démarche en commençant la composition de cet album solo sachant qu'on album instrumental est un exercice particulièrement casse gueule qui n'intéresse que peu de fans ?

C’est pour cela que dès le début, je t’ai dit que mon but était en fait vachement égoïste. Ma démarche n’était pas d’intéresser les gens ou alors des gratteux mais comme tu le dis cela représente une niche. C’était vraiment, purement… personnel. Je ne me suis pas fixé de limites en terme de guitare, je pouvais en mettre autant que je le voulais. Cela m’a permis aussi de rassembler des potes, des gens que j’admire, avec qui j’avais envie de faire des trucs depuis longtemps. C’était une belle opportunité de collaborer avec Jeff (Ndlr Loomis ex-NEVERMORE) et avec Mattias (Ndlr : IA Eklundh / FREAK KITCHEN) pour en citer certains…

 

04. Dans l'ensemble, The Shadows Compendium a un style très proche de ce que l'on pourrait entendre dans ADAGIO sauf qu'il n'y a pas de chanteur. Evidemment on pourrait dire que c'est parce que c'est un style dont tu as l'habitude, et que certainement tu apprécies, mais est-ce que ça n'est pas dommage pour un album solo ?

C’est parfois assez éloigné d'ADAGIO mais je comprends ta remarque. Pour moi c’est vraiment différent, je le ressens comme cela. C’est pas évident pour certaines personnes. J’avais besoin de proposer cela, il y a plus de gratte, c’était important. Avec ADAGIO je dois trouver un certain équilibre et si je mets trop de gratte il n’y a plus de place pour le chant. Et donc selon ton inspiration tu conserves tes compositions pour l’un ou l’autre projet ? Non pas vraiment. Je travaille avec un objectif en tête et si j’ai décidé de bosser pour un album instrumental, je bosse avec cette idée dans la tête et je structure mes morceaux pour de l’instrumental. Pour ADAGIO pareil et là je pense immédiatement la structure en y incluant le chant. Je ne bosse pas au kilomètre et je n’arrive pas malheureusement à faire els deux en même temps.

 

05. Comment comprendre le titre de l’album The Shadows Compendium (Le condensé des ombres) ?

Oui, oui un compendium c’est une sorte de recueil. J’ai toujours été attiré par le côté sombre des choses, de l’art, de la peinture, du cinéma et de la musique évidemment. Et voilà comme mes goûts sont plus portés vers les choses « dark » j’ai voulu l’exprimer sur mon album solo, tout simplement.

 

06. L'improvisation sur la Sonate au Clair de Lune à la fin de l'album a le mérite de mériter son nom. Par contre: pourquoi encore cette sempiternelle Sonate au Clair de Lune ? On a l’impression que tous les guitaristes virtuoses néo-classiques se sont dont plaisir avec ce titre !

Je comprends ce que tu veux dire mais il n’y a rien de virtuose dans cette improvisation, c’est très très épuré. Et j’ai choisi ce morceau… effectivement il y a pleins d’autres trucs possibles bien moins connus mais je ne sais pas… je sentais que j’avais besoin de faire quelquechose dessus depuis longtemps. Une fois de plus je me suis dit: je m’en fous de ce que l’on va penser, cela a déjà été fait 10 000 fois ok, il n’y a pas de shred et on s’en fout. C’est pour moi la piste la plus personnelle de tout l’album. Et celle qu’on entend sur l’album c’est la tentative numéro ? la prise numéro ? Non non c’est la première. Je me suis enfermé, j’étais vraiment dans mon truc et j’ai appuyé sur record et j’ai enregistré. A posteriori je me sentais bien au moment de le faire. Je ne l’ai pas écouté tout de suite après, puis je ne savais pas trop quoi en penser. Ce n’est pas grave, même si des éléments restent aléatoires j’ai saisi l’instant présent, j’ai vraiment saisi le moment et je l’ai capturé. C’était ça la démarche. J’ai gravé un moment nostalgique, j’étais dans un état d’esprit mélancolique…

 

07. Après Isabel de Amorim voici vous collaborez depuis les rééditions Adagio avec Perrine Perez Fuentes. Comment travailles-tu avec l'artiste réalisant tes pochettes ? Quelle importance y accordes-tu ?

Malheureusement pour eux, je guide vachement le processus. Je donne beaucoup de précisions tout en connaissant la personnalité de l’artiste aussi. J’imagine ce qu’il pourrait me donner dans la veine que je souhaite. J’avais envie de changer d’artiste à chaque fois c’est toujours sympa de changer la patte graphique. J’aime beaucoup ce que fait Perrine. Pour l’album solo le choix était logique et ils l’ont fait à deux. L’évolution est quand même marquée avec un travail sur la photo pour les deux premiers puis un dessin pour Dominate qui est disons… J’aime pas du tout c’est carrément raté ! C’est dommage car il y a des titres de cet album que j’aime bien mais la production est pourrie, la pochette est naze est c’est dommage. Mais elle vous a été imposée ? Non mais c’est que l’on n’a pas le temps. C’est toujours ça, on est constamment dans le speed, le speed. Le label japonais nous dit: "il nous faut l’album dans 5 jours" et on fait ce que l’on peut en 5 jours. C’est toujours comme ça et c’est ch… Là, pour l’album solo j’ai eu du temps et on vraiment pu faire le truc comme je le voulais : avec le corbeau, avec l’ambiance…

08. Il faut que je pose la question pour éviter de me faire frapper par Aske en rentrant à la rédaction. Quelle est ta marque préférée d’eye-liner 🙂 ?

Ah ah je n’ai pas de marque, je prends la première m… venue !

 

09. Quel regard portes-tu sur ton passage au CMCN de Nancy ?

D’abord cela m’a apporté un peu d’indépendance, je quittais mes parents à 17 ans. J’ai pu accumuler de l’expérience, une organisation de travail car cela se déroule comme au bahut en fait, mais avec des sujets qui m’intéressaient. Il y avait donc des horaires, des devoirs à rendre, des examens réguliers et voilà quoi. Mais cela n’a rien accéléré au niveau artistique. J’ai pris cela comme un stage pour me préparer à rentrer dans la vie active.

 

10. Quelle importance d’avoir le soutien d’un luthier comme LAG ?

C’est énorme, c’est absolument énorme. Pour le côté ego avec une guitare à son nom ? Ce n’est pas trop ma façon de voir le truc en fait. Ce n’était pas mon objectif. On a développé au départ des guitares customs pour que je puisse jouer dessus et après beaucoup de boulot nous sommes arrivés, au bout de 10 ans, au modèle final. Et elle a été commercialisée en parallèle de la carrière d’ADAGIO. Cela fait plus de 11 ans que je suis avec LAG. Cela a débuté au tout début de ma carrière, avant ADAGIO. J’étais alors soutenu par d’autres marques et après quelques péripéties trop longues à raconter ici, j’ai commencé à travailler avec LAG. Et j’étais super heureux. Je connaissais déjà Michel Chavarria depuis longtemps et ça a été le bonheur. J’ai bien sûr dis oui tout de suite… Ensuite j'ai précisé que je voulais jouer sur 7 cordes. C’est vraiment du gagnant-gagnant ? A priori ils sont contents et moi je suis ravi, en terme de promotion c’est bien. Regarde, je fais la couverture de La boite noire du guitariste, un gratuit tiré à 20 000 exemplaires cela fait de la pub. Quand je sors un truc ils font beaucoup de promo donc cela m’aide énormément et puis au niveau instrument, si j’avais dû me payer ce que j’ai, j’aurais galéré. J’ai beaucoup de chance et moi de mon côté, pour compenser ça, je fais mon maximum pour associer mon image à LAG. J’en suis fier en plus.

 

11. Penses-tu parfois être victime de malentendus sur ta personnalité ou ton travail au sein du public métal et en France en particulier ? Et que voudrais-tu, une fois pour toute, clarifier ?

En fait quand j’étais plus jeune au début c’est vrai que cela m’a un peu blessé. C’est souvent ce truc de: "Forté c’est un con, il se la joue…" Moi j’ai toujours été très clair sur mon idée. Ce qui me faisait rêver étant gamin c’était Satriani, Vai, Malmsteen et ils avaient une image, une aura, un truc guitar-hero. C’est mon univers, cela me plait et j’ai envie de faire cela aussi. Et en France il y a toujours ce complexe, je l’ai déjà dit en interview, de ne pas faire telle ou telle chose car on va me prendre pour un poseur. Et je me suis alors dit c’est quoi ton choix ? Bien te faire voir par les français et la petite communauté ou faire une carrière. J’ai décidé alors de faire une carrière et j’en avais rien à foutre. Donc forcément je porte cette image. Au début cela m’a blessé mais maintenant je m’en tape et c’est même plutôt cool car souvent on me dit : "ah ouais je t’imaginais pas comme ça". Quelquepart c’est un bon retour et je suis content.

Les gens ont du mal à faire la différence entre le boulot, l’image que je donne en live, qui reste une partie de moi, et la vraie vie. J’ai un goût pour des trucs occultes et c’est exacerbé dans mon métier. Mais c’est pas pour ça que je ne suis pas quelqu’un qui aime la vie, déconner avec ses potes, boire des coups, être avec des nanas… C’est très français comme attitude ? Ah ouais, il suffit de voir à l’étranger, les groupes suédois ou autres. On ne leur dit pas "tu as un dégaine c’est pas possible, tu te la joues…". Le public n’en a rien à foutre et ils ont raison. On bosse tous dans un univers marketé et c’est cela qui nous a fait rêver. On a aimé MÖTLEY CRÜE sur Shout at the Devil ou WASP. C’est exagéré mais c’est ça qui te plait quand tu es gamin et tu as alors envie d’être pareil. Il suffit de voir la pochette de l’album solo, je m’amuse de mon image… J’aime cela, j’aime cet univers et ce graphisme mais je ne suis pas comme cela dans la vie de tous les jours. C’est deux facettes d’une même personne.

12. Beaucoup ont été surpris, moi le premier, du virage plus extrême à partir de Dominate. Finalement à la lecture de ta biographie on se dit que tu boucles ainsi une boucle. Cette évolution était-elle planifiée ou est-ce un mouvement naturel ?

Exactement. C’est vrai que je n’ai pas trop osé au début puis sur Underworld j’ai commençé à mettre des trucs plus extrême avec Hreidmarr par exemple. Puis finalement, je me suis dit on s’en fout et je me suis lâché.

 

13. ADAGIO doit-il faire face à la Malédiction du chanteur ? Kelly Sundown Carpenter sera-t-il enfin le bon ?

Je sais l’expliquer maintenant, pourquoi nous avons affronté tous ces problèmes. Quelquepart c’est moi qui a ait fait une erreur dès le départ. J’ai voulu prendre David (Ndlr Readman, PINK CREAM 69) et petit à petit cela ne passait plus avec son management qui demandait à chaque fois plus. Nous ne pouvions pas suivre. C’est dommage car c’est un grand chanteur. L’autre truc c’est que le line-up du premier album était composé de pièces rapportés : Richard de MAJECTIC (Ndlr Richard Andersson), Dirk d’ELEGY (Ndlr Dirk Bruinenberg), David de PINK CREAM 69 et nous n’avions pas l’image de groupe. Cela posait problème car par exemple dans Burrn! (Ndlr: mensuel métal japonais) au Japon on a eu un super article sur le premier album puis plus rien à partir du deuxième car ils ont dit: "ce n’est pas un groupe mais un projet. On veut en parler mais d’une autre façon". Et c’est vrai que c’était un projet. A partir d’Underworld, Kevin est rentré, le batteur est rentré et là c’est devenu un vrai groupe. Moi je ne voulais pas souffrir du syndrome d’avoir un chanteur déjà connu comme avec David. Et donc j’ai voulu prendre quelqu’un de complètement inconnu en disant: "on le formera".

Et je crois que l’erreur vient de là. On a reçu plein de démo, on a trouvé un bon candidat (Ndlr Gus Monsanto). Au niveau du chant ça le faisait, la photo aussi. De plus nous étions très pressés car nous devions jouer au ProgPower aux USA. On avait une semaine et demi, il était au Brésil, on s’est retrouvé directement aux Etats-Unis et on a fait connaissance là-bas. C’est là, ça l’a pas fait. On a fait un énorme travail et ça a été dur pour lui parce qu’on lui mettait la misère, on le faisait marcher avec de la musique… Mais voilà, cela faisait partie du truc. Et donc au bout d’un moment, quand tout commençait à aller mieux, cela lui est monté à la tête. Il avait peu d’expérience, il signait beaucoup d’autographes et soudain il ne voulait plus faire les balances avec nous, il voulait qu’un mec les fasse à sa place… Là j’ai dit non, ce n’est pas possible ça. "Tu te casses le c… avec nous, tu viens faire les balances comme tout le monde". Et cela a commencé à vraiment clasher. Donc, il a dégagé.

Là, même principe, j’ai voulu prendre quelqu’un de pas connu (Ndlr Christian Palin) en m’assurant cette fois que c’était un bosseur. Problème nous sommes tombés sur une personne souffrant de problèmes psychologiques graves, schizophrène… Et cela m’a posé pas mal de problèmes car il était ingérable et pétait soudainement un câble en insultant les gens, sans raison, sans que je comprenne pourquoi. Donc il a aussi fallu que l’on se sépare. Ben voilà. Par contre avec Kelly on avait déjà joué au Japon avec lui et là ça a été l’opportunité. On a déjà travaillé avec lui, on le connait et ce n’est pas vraiment un nouveau chanteur pour nous. Et ce soir, c’est la première date avec lui ce soir en Europe et c’est cool ! On a même pas répété car on avait pas le choix….

 

14. Et le nouvel album d’ADAGIO ?

Et bien je m’y remets dès que j’ai fini cette date au Divan du monde. Cela a un peu accaparé mon temps dernièrement. C’est reparti à partir de, disons, lundi histoire de se reposer demain (dimanche). Il faut que l’on ai fini le chant avant fin juin et le management décidera alors de la date de sortie du disque.

 

15. Comment vois-tu la scène métal française ?

Il y a des groupes que j’adore, c’est de mieux en mieux, c’est clair. Le succès de GOJIRA est tellement génial, cela fait très plaisir. Au moins, enfin, un groupe émerge. Il y a plein de bonne chose musicalement. Pour l’entraide entre groupes cela dépend des gens…

 

Et enfin "Le Quizz De Metal Chroniques Quizz" pour terminer cette interview:

1. Quelle est ta chanson préférée (tous artistes, époques,…)?

Wahou, comme ça là ? Le truc que tu sais mais quand on te le demande. « Probably Me » de STING.

 

2. Premier album acheté ?

Somewhere in Time (IRON MAIDEN) en 1986

 

3. Dernier album acheté ?

Euh… dur à dire, un truc de classique, ça je sais. J’écoute beaucoup de musique via Spotify ou via Youtube mais je suis pas très matérialiste…

 

4. Quel son ou bruit aimes-tu ?

L’eau qui ruisselle.

 

5. Quel son ou bruit détestes-tu ?

Des assiettes qui s’entrechoquent.

 

Tradition oblige, on te laisse le mot de la fin …

Merci pour cette interview. J’espère que des lecteurs m’auront vu ce soir au Divan du Monde et qu’ils se seront éclatés. Qu’ils n’hésitent pas venir dire bonjour pour un prochain concert d’ADAGIO !

 

Live review du concert donné le soir même ici