Anathema – Vincent Cavanagh (2012)
Posted by PolochonMai 20
Au milieu des années 2000, Anathema a dû prendre une « pause forcée » de sept ans, à cause du rachat de leur label, la crise du disque et tuti quanti: ils sortent certes une compilation en 2008, mais il faut attendre 2010 pour voir (enfin!) un nouvel album original des britanniques. Ce We're Here Because We're Here est unanimement salué par une presse presque en extase (enfin, sauf les vieux très vieux qui ne supportent pas l'idée de ne plus les voir faire du doom-death, m'enfin depuis le temps ils devraient s'être fait une raison!). Il est généralement difficile de succéder à un disque qui fait une telle unanimité, pourtant Weather Systems, sorti en avril 2012, relève totalement ce défi.
Mais pourquoi parler dans MetalChroniques d'un groupe qui ne fait plus du tout de metal depuis une éternité, et ne veut tout simplement plus en faire? Tout simplement parce que, cher lecteur, le metal c'est avant tout une transmission d'émotions, fortes (et construites autour d'une base rock, musicalement). Or, comme le dit très justement Vincent Cavanagh [chanteur/guitariste] dans les lignes qui suivent, rien n'oblige à passer par des guitares qui crachent (plus fort qu'Atanase Perceval) pour faire passer quelque chose de fort… donc de metal, ou au moins très proche, eh!
Metalchroniques: Parlons d'abord de Les [Smith, claviériste d’Anathema jusqu’en 2011]. On a commencé par ne plus le voir sur scène pendant une courte période, et voilà qu'il quitte le groupe? Que s'est-il passé?
Vincent Cavanagh: Nous étions en train de faire Falling Deeper et Weather Systems l'année dernière, et pendant le processus pour ces albums il n'y avait que moi, Danny [Cavanagh, guitariste et frère de Vincent] et John [Douglas, batteur] en studio. Et ça marchait bien comme ça, pour commencer? Nous avons vite réalisé que nous recouvrions toutes les bases à nous trois, musicalement. Danny jouait les parties au piano de toute manière, il l'a toujours fait, mais… je pense que c'est peut-être ma faute? J'ai tellement appris en faisait We're Here Because We're Here [leur album précédent], sur l'enregistrement en studio, comment enregistrer moi-même, utiliser des claviers et programmer des choses, créer des sons et les jouer. Quand nous étions en train de faire Falling Deeper, je faisais des suggestions à Danny, comme mettre ceci à tel endroit, celà à tel autre. Danny regardait ce que je faisais et il était surpris, parce qu'il ne m'avait jamais vraiment vu faire ce genre de choses.
M.: Quel genre de choses?
V. C.: Des atmosphères, des choses que je créais pour aller avec la musique, des textures. Nous faisions aussi Weather Systems en parallèle, et j'y faisais la même chose. En fait, il a vite réalisé qu'entre lui qui jouait déjà les parties piano, moi qui faisait ces sortes de sons et qui gérait tout ce qui était programmation et production en studio, non seulement moi mais aussi John qui utilisait aussi un synthétiseur, nous écrivions tous les trois des parties pour des cordes etc. pour l'orchestre… c'est juste devenu évident que nous couvrions déjà tout, à nous trois? C'était plutôt triste en même temps, vraiment. Mais ça arrive.
M.: C'est juste dommage pour lui! Mais donc, je suppose que vous n'envisagez pas d'avoir à nouveau un claviériste?
V. C.: Pas en studio en tout cas. Depuis, nous avons commencé à travailler avec Daniel Cardoso [claviériste sur scène pour Anathema depuis le départ de Les Smith], c'est quelqu'un d'important pour nous. En tant qu'ami, il fait partie de notre famille, nous l'adorons. Mais il y a un trio créatif dans ce groupe, moi, Danny et John, et à nous trois nous couvrons à peu près tout. Enfin, il y a aussi Christer[-André Cederberg, producteur de Weather Systems], qui est entré là-dedans en quelque sorte, surtout pour Weather Systems. Il semblait faire partie du groupe en fait? Ca marchait vraiment bien, il y avait une chimie très particulière. Si bien que faire cet album avec lui a été comme une révélation. Et puis Lee [Douglas, chanteuse et soeur de John] bien sûr, qui apporte sa touche. Tout ça nous a paru évident au final? Jamie [Cavanagh, bassiste sur scène et frère de Vincent et Danny] ne joue pas avec nous mais il est bien là sur scène.
M.: Parlons rapidement de Falling Deeper: pourquoi avez-vous tellement changé les chansons pour ces versions orchestrales? (même les mélodies je veux dire, souvent.)
V. C.: Elles se sont changées elles-mêmes? Très tôt, il est devenu évident que ces chansons allaient suivre un nouveau chemin, une nouvelle vie. L'orchestre nous a inspiré pour ça, mais aussi le piano, l'un autant que l'autre. Quand tu joues… tout dépend de l'instrument? L'instrument t'impose la manière de jouer quelque chose, ça devient évident. Ca fait partie de ces choses sur lesquelles il ne faut pas trop réfléchir, il faut juste ressentir et écouter. Parfois il faut savoir ce qu'il ne faut pas jouer pour une chanson, c'est tout aussi important que de savoir ce qu'il faut jouer. Alors quand nous faisions Falling Deeper, nous devions commencer par simplifier le plus possible parce que nous savions que l'orchestre allait être enregistré en dernier. Pour cette raison, nous ne voulions pas faire trop de pistes de voix, ou ajouter trop d'instrumentation parce que les cordes allaient prendre la place. Par exemple l'introduction de « J'ai fait une promesse » commence avec une très courte improvisation au piano de Danny, qui évolue dans cette belle partie avec des cordes, pleine de textures: quand nous avons entendu ça, nous nous sommes tout de suite dit qu'il n'était même pas nécessaire d'ajouter la voix par-dessus! C'était simplement évident. Nous n'y réfléchissons pas trop.
M.: Vous la laissez juste grandir toute seule.
V. C.: Exactement.
M.: Et apparemment cet album vous a fait tomber amoureux des arrangements orchestraux? Parce qu'il y en a énormément sur Weather Systems!
V. C.: Oui, enfin, il y en avait déjà sur trois chansons de We're Here Because We're Here: je pense que c'est ça qui nous a permis d'ouvrir cette porte. Pas seulement l'utilisation d'un orchestre, mais de travailler avec Dave Stewart [collabore avec Anathema pour composer les arrangements orchestraux depuis We're Here…]. Sur Falling Deeper, nous avons eu cette expérience géniale, très poussée, d'enregistrer un album entier avec lui. Le résultat a été tellement bon avec lui, que nous avons fini par nous demander quelles chansons sur le nouvel album allaient avoir besoin d'un orchestre. Parce que si elles n'en avaient pas besoin nous ne les utiliserions pas! Au final il n'y en a pas sur toutes les chansons, il y en a sur cinq je crois… et, oui, sur ces cinq chansons il -fallait- un orchestre!
M.: Pourquoi avez-vous coupé les deux premières chansons en deux? On dirait vraiment une seule chanson quand on les écoute!
V. C.: Eh bien… dans la première chanson, il s'agit de traverser quelque chose, dans la deuxième il s'agit plus de ce qui se passe après, ce que tu ressents, comment ou où est-ce que tu te trouves à ce moment-là. Es-tu prêt à ramasser les morceaux et avancer ou est-ce que tu vas juste t'écraser, quels sont tes sentiments? Il y a évidemment un lien assez profond dans l'histoire de ces deux chansons.
M.: Mais même musicalement elles sont très proches.
V. C.: Oui, en effet. Mais par exemple, tu pourrais me demander pourquoi « The Storm Before The Calm » n'a pas été séparée en deux, parce qu'il y a deux ensembles évidents. Mais pour cette chanson, la première partie est nécessaire pour enchainer sur la deuxième partie. Alors qu'avec « Untouchable 1 » et « Untouchable 2 » [deux premiers titres de l’album], les deux chansons pourraient exister de manière indépendante: ça a plus de sens si elles sont l'une après l'autre, mais elles pourraient très bien être deux chansons indépendantes, séparées. Alors que « The Storm Before The Calm » -doit- être un seul morceau.
M.: Mais de toute manière, est-ce que chaque chanson est vraiment indépendante? Parce que même les liens musicaux entre chaque chansons donnent l'impression d'avoir à faire à une seule unité…
V. C.: Oui, il y a surtout une séquence de chansons qui vont ensemble: « The Gathering of the Clouds », « Lightning Song », « Sunlight » et « The Storm Before the Calm ». Ces quatre chansons ont toujours été pensées pour être ensemble. L'enchainement de ces quatre chansons, et le fait d'avoir « Internal Landscapes » pour clôturer l'album, nous a imposé le fait d'avoir quelque chose pour introduire et ensuite pour sortir de cette petite suite. Quand nous les avons trouvées, nous savions que nous détenions un bon enchainement, pour l'ensemble. Ca paraît rapide au final, plus court que l'album ne l'est en réalité je veux dire? Parce que ça paraît naturel d'écouter l'ensemble d'une traite, on n'a pas l'impression que 55 minutes sont en train de s'écouler. Enfin, pas pour moi en tout cas!
Nous passons généralement beaucoup de temps à étudier l'ordre des chansons, l'équilibre que chacune apporte, la manière avec laquelle elles s'embriquent les unes dans les autres, d'une certaine manière. Les tonalités, les rythmes, les atmosphères… toutes ces choses sont importantes. Mais avec cet album, ça nous a paru assez naturel. D'ailleurs j'ai toujours aimé ça, les albums qui sont pensés pour être écoutés d'un bout à l'autre, on ne peut pas vraiment en enlever une chanson. Particulièrement de nos jours, où les gens fabriquent leurs propres « playlists »… c'est très bien, vous pouvez tout à fait le faire, mais j'aime penser que quelqu'un a créé quelque chose de manière intentionnelle, et pas juste quelques singles qui peuvent être joués dans n'importe quel ordre.
M.: Pour être honnête, dès la première fois où j'ai écouté cet album, pour des raisons très bizarres, ça m'a rappelé Press To Play de Paul McCartney [personne n’aime cet album, mais moi si, au moins certains titres, et je le revendique! Enfin, de plus en plus de gens admettent le tolérer… voire l’apprécier: vive les girouettes]. Parce que, pour chaque chanson de Press To Play, il y a une sorte de schéma qui permet de visualiser où se situe chaque instrument, « verticalement » [plus ou moins à droite] et « horizontalement » [couche plus ou moins en avant]… et j'ai l'impression que l'on pourrait faire ce genre de schéma avec Weather Systems aussi.
V. C.: Oui.
M.: C'est quelque chose que vous vouliez réaliser [ce genre de « son spacialisé »], ou c'est juste que la production a fait que…?
V. C.: Un peu des deux, en fait. Pendant We're Here Because We're Here, je suis allé au clash parfois, à cause de la manière avec laquelle il fallait enregistrer l'album. Parce que je ne voulais pas enregistrer toutes et chacune des possibilités! Je préfère quand les choses sont sur le feu, directes, plutôt que quand c'est intentionnel et dans un but précis. Et c'est exactement ce que nous avons fait pour cet album! Nous avons travaillé avec le producteur dès le premier jour, et il était ravi de porter toute son attention aux plus petits détails… comme le placement des micros, le bon type de micro, être dans la bonne partie de la pièce. Toutes ces choses qui rendent le processus d'enregistrement beaucoup plus simple. Ca revient aux bases, aux rudiments, comme le placement des micros et la physique du son: où les placer, et comment. Après évidemment il faut que les instruments soient accordés correctement, pour avoir le bon ton, la bonne tonalité, et jouer comme il faut de l'instrument. Toutes ces petites choses additionnées permettent de créer une dynamique. Quand tu fais attention à tous ces détails dès le début du processus d'enregistrement, tu te retrouves avec tellement plus d'espace libre par la suite! Parce que rien n'est sur-produit, tout est naturel. Et tu te retrouves avec un espace gigantesque pour la batterie, parce qu'elle a cette vie, et de la puissance… il y a de la place pour tout! Au final tu as plus de place pour placer tous les instruments. Il suffit de ne pas déborder, il faut pouvoir dire avec beaucoup de goût où va tout ça. Et bien sûr quand tu créées un morceau de musique ça fait naître un sentiment en toi: c'est ton travail, ta responsabilité de recréer ce sentiment dans un environnement plus logique. C'est pour ça qu'il faut réfléchir à des choses comme le placement des micros, le son, sa physique, toutes ces choses.
M.: En fait il faut penser au résultat final…
V. C.: Exactement, même quand tu en es encore à poser les cymbales. Et comment attaquer les cymbales? Ca peut avoir une influence sur la dynamique du résultat final! Tout affectera tout le reste. C'est d'ailleurs très vrai pour tout ce qui concerne le son, et la création d'un album: tout influe sur tout. C'est pour ça qu'il faut être très attentif à la dynamique pendant que l'on dessine tout le tableau.
Ca a été facile pour nous par rapport à ça cette fois-ci, parce que nous avons travaillé avec quelqu'un qui comprenait ça aussi. Nous étions tous d'accord sur ce ce que nous voulions faire, et il était notre lien dans le studio, pour recréer ça. A partir de là, tout ce qu'il me restait à faire était d'écouter les sons, approuver ce qui était fait, et voir ce que ça donnait. Nous étions vraiment côte à côte dans cette phase, nous avons écouté tous les détails de la dynamique de la batterie, chaque partie, pour s'assurer que les changements étaient exactement au bon endroit, qu'il n'y avait pas de place à l'hésitation pour plus tard: tout était au bon endroit. C'est nécessaire pour créer le bon ressenti, et nous l'avons obtenu! Et plus tard, on obtient cette image complète. Si tu essaies de recréer quelque chose, un sentiment, ça devient beaucoup plus facile si tu as porté toute ton attention aux premiers instruments [et la batterie est toujours enregistrée en premier], puis les deuxièmes, ensuite les troisièmes, etc. Si tu crées une dynamique entre chacun d'entre eux, même trois ou quatre éléments, il n'est vraiment plus nécessaire d'en rajouter! Ca n'est plus la peine de rajouter des guitares juste parce que tu veux faire « lourd », c'est déjà « lourd », même avec un piano, une basse et une batterie. Et puis tu dois savoir quand tu ne dois pas ajouter quelque chose.
M.: Au départ, votre musique tendait avant tout à « transmettre des sentiments »; mais sur Weather Systems, on a l'impression que vous cherchez presque à « peindre des tableaux avec des notes », si ça a un sens?
V. C.: Les sentiments sont toujours là, dans ces notes. Mais il y a un côté plus imagé, oui, assurément. Sur « The Lost Child » par exemple. Je crois que nous avons réussi à « déshabiller » les choses jusqu'à leur essence, et ainsi créer cette impression avec très peu d'éléments au départ, pour les laisser évoluer à partir de là. Beaucoup de chansons sont très « construites » en fait. Il y a presque toujours une sorte de crescendo qui rend les chansons intenses…
M.: Vous l'utilisez beaucoup oui!
V. C.: Oui, peut-être même plusieurs crescendo? Je ne dis pas ça juste pour la caméra, ça n'est pas notre faute! La différence, aussi, avec nos débuts est que nous n'avons pas besoin de faire beaucoup de titres différents avec des guitares fortes pour transmettre un sentiment: maintenant nous pouvons le faire avec juste quelques notes de piano.
M.: Oui, comme tu le disais juste avant, à l'époque vous deviez jouer fort pour « sonner » fort, alors que maintenant vous pouvez utiliser tous ces petits trucs de production…
V. C.: Oui, on finit par comprendre la dynamique de l'intensité, tout passe par ton jeu, en partie sur la composition et en partie sur ta manière de faire… mais principalement sur ta manière de faire pour être honnête. Il faut que tu arrives à avoir la bonne dynamique quand tu joues. Et il n'est pas nécessaire de brancher une pédale de distorsion pour être intense! C'est inutile, tout est dans le jeu, ça l'a toujours été. En fait, c'est plutôt que tu peux cacher beaucoup d'erreurs dans un « gros son », chose que tu ne peux pas faire avec une guitare « propre ».
M.: Mais je voulais dire… d'une certaine manière, votre musique est plus « visuelle » maintenant, est-ce que c'était volontaire?
V. C.: Oui, en effet. Je recherche des artistes visuels avec qui travailler pour cette raison. J'aimerais trouver quelqu'un qui pourrait interpréter ce que nous faisons, d'un côté plus visuel. Il y a beaucoup de manières de le faire après tout!
M.: Est-ce que ça serait plutôt pour la scène ou le visuel d'un album?
V. C.: Oh, peu importe, les deux! C'est juste qu'il y a plusieurs manières d'interpréter de la musique en quelque chose de visuel: des lumières, un film, la palette est très large. J'attends juste de trouver la bonne personne qui voudrait travailler avec nous.
M.: Sur cet album également, j'ai remarqué que Lee a tendance à chanter principalement des paroles de réconfort, amenant la paix et assimiulés… un peu comme une figure maternelle, en fait? Es-tu d'accord?
V. C.: En partie seulement, pas totalement. Sur « Untouchable, Part 2 » elle arrive et dit: « Why I should follow my heart, why I should fall apart » [« pourquoi devrais-je suivre mon coeur, pourquoi devrais-je m'écrouler », en gros]: ce sont les paroles de quelqu'un de très fragile.
M.: Oui mais sa manière de le dire…
V. C.: Oui, un peu comme si elle réalisait quelque chose.
M.: En tout cas elle ne sonne pas « brisée ».
V. C.: Oui, peut-être. Parce que, intentionnellement, elle a un choix à ce moment-là: ou bien se relever et avancer, ou bien s'écrouler en petits morceaux. Et elle ne va pas s'écrouler! Elle a très bien compris de quoi il s'agit dans cette chanson. Il y a aussi « Internal Landscapes » qui représente bien ce dont tu parlais, elle a cette influence apaisante sur tout le reste.
M.: Mais même quand elle chante juste une note isolée, sa manière de la faire apporte un certain réconfort, une certaine paix, ce genre de choses…
V. C.: Oui, ça peut être juste une note parfois, même sans des paroles, uniquement le son d'une voix… C'est un don à vrai dire, ça n'est même pas nécessaire de faire quoi que ce soit à ce sujet, de l'influencer, c'est simplement là! Elle se met derrière un micro et ça sonnera comme ça… elle a du talent.
M.: Musicalement, j'ai l'impression que Weather Systems est plus « conventionnel » que We're Here Because We're Here?
Par exemple je sais que les amateurs de musique progressive ont adoré We're Here…, mais je me demande s'ils trouveront suffisamment de détails intriguants sur Weather Systems?
V. C.: En partie, en effet. Je ne suis pas un grand amateur du terme « conventionnel », mais en même temps… oui, d'une certaine façon! « Dreaming Light » [sur We're Here…] avait des moments comme ça aussi, des chansons de ce genre… Mais il y a aussi des chansons comme « The Storm Before the Calm », plutôt longues et non conventionnelles, « The Lost Child », ce genre de choses. Les deux albums sont un peu liés de toute manière, et je pense que c'est un album dynamique. A vrai dire je préfère penser que des chansons comme « The Storm Before the Calm » et « The Lost Child » représentent l'essence de ce groupe, plutôt que chercher à savoir si elles sont plus accessibles. Tout ce que nous faisons est honnête et réel, et la véritable intention derrière tout cela est que si ça doit sonner « direct », alors allons-y comme ça. Si ça sonne bien avec des notes qui n'ont pas besoin d'habillage, apporté par une production travaillée, alors il n'y en aura pas. « Untouchable, Part 2 » sonne comme ça parce qu'elle transmet ce sentiment de la meilleure manière qu'elle puisse le faire, la chanson elle-même a imposé ce son, pas nous. Au bout du compte, nous nous laissons dicter ce que nous devons faire par la musique.
M.: Tu parles souvent de ça, la manière avec laquelle « la musique s'impose par elle-même », ce genre de choses.
V. C.: Oui, elle le fait, vraiment. Quand tu es au milieu de cette vague créative, ton travail est de permettre à ce sentiment initial, qui est toujours derrière ce que tu crées, d'entrer dans ce que tu fais. Et la seule manière de le faire est de ne pas penser à ce que d'autres voudraient que tu fasses. Il faut tout bloquer et réfléchir au sentiment, que signifie cette chanson, etc. Et elle te le dit déjà, ça transparait dans tous les instruments. Par exemple sur « The Beginning and the End » il y a un ensemble de cordes, un riff, mais pour construire cette chanson, pour qu'elle dure 5 minutes, pour qu'elle ait ce crescendo, cette montée et cette descente… tout cela est venu après s'être assis au piano, tout simplement! On essaie encore, et encore, on arrive au moment où on se dit: « ok, maintenant il faut que je me relaxe! », etc. Après, comment recréer ça avec un groupe? C'est ça que nous faisons.
M.: Tu aimes bien dire à droite et à gauche que vous avez trouvé « votre George Martin »? [producteur des Beatles, on considère très souvent, très certainement à raison, qu’ils n’auraient jamais fait les chansons qu’ils ont fait (de cette qualité s’entend) sans lui]
V. C.: Oui, on a vraiment l'impression qu'il fait partie des notres! Non seulement ça, mais il nous a aussi ouvert ce lien vers ce que nous essayions de créer. Il comprenait, et était capable de l'interpréter. Non seulement dans le son, mais aussi les sentiments de ce que tu essaies de créer, quand il faut construire ces petits moments. Sa sensibilité à la musique, tout simplement! Il est très concentré en studio, vraiment. Il travaille beaucoup, il s'implique énormément. Et il travaille pendant de très longues journées! Sans jamais perdre sa concentration, jamais: même à la fin de la journée, il sera droit et frais, comme s'il était 10h du matin! Véritablement un être humain extraordinaire. Nous avons beaucoup de chance de l'avoir trouvé.
M.: J'ai aussi été surprise parce qu'à chaque fois que vous (quelqu'un d'Anathema) parlez de ce producteur, vous expliquez à quel point le fait qu'il soit « si calme » vous a beaucoup aidés à réaliser cet album: pourquoi insister autant sur le côté -calme- de quelqu'un?
V. C.: Oui! Parce que ça fait partie de la chimie entre les gens, c'est tout aussi important que la musique elle-même quand on essaie de créer quelque chose. Le travail entre un groupe et un producteur repose autant sur cette chimie que sur les choses plus techniques. Au départ, quand nous avons commencé à enregistrer Weather Systems, nous avons fait deux sessions avec juste moi, Danny et John, dans notre propre petit monde et… avant Christer, personne n'arrivait jamais à vraiment comprendre ce que nous cherchions à obtenir, ce que nous cherchions à faire. Mais il l'a fait! Ca a rendu les choses très faciles, dès le départ.
M.: Bien entendu, pour préparer cette interview, j'ai lu quelques interviews que tu as pu donner ici et là et… ça paraît toujours extrêmement difficile pour toi, si ce n'est impossible, de dire les mots: « je suis heureux », ou même « je peux être heureux »?
V. C.: Oui… il y a beaucoup de raisons à cela. Je peux être heureux ces temps-ci, je suis une personne heureuse dans le fond. Mais si je regarde l'ensemble de ma vie… personne n'a un p***** [censure powered] de sourire au visage tout le temps! La vie est plus « colorée » que ça, on traverse beaucoup de choses, tous. Si tu es une personne profonde, c'est certainement impossible d'être heureux tout le temps. Je suis une personne très… [« contented » en anglais, "content" en version française enfantine, plutôt l'idée de « bien-être / vivant le bien-être ».] Mais ça n'est pas vraiment le cas de Danny, il y travaille! John non plus, mais il y travaille!
M.: Après autant d'années à jouer ensemble, composer ensemble, et parfois même vivre ensemble, est-ce que vous ne vous tapez pas un peu sur les nerfs les uns des autres, parfois?
V. C.: Oui! Enfin, ces temps-ci nous ne vivons même pas dans le même pays. C'est certainement bien mieux ainsi! Peut-être aussi que grâce à ça nous nous apprécions plus quand nous devons nous retrouver. Mais en réalité nous restons beaucoup en contact les uns avec les autres, même si nous nous voyons peu. En fait nous ne nous voyons que pour le groupe. Ca facilite les choses. Nous ne répétons pas etc. avant d'entrer en studio, nous attaquons directement: le premier jour d'enregistrement, John demandait « alors, qu'est-ce qu'on fait? » Danny et moi avons… je dirais un certain passé de disputes colorées entre nous!
M.: J'ai aussi un grand frère, donc je saisis l'idée…
V. C.: Tu vois comment certaines personnes arrivent à te faire sortir de tes gonds, plus que d'autres.
M.: Tout à fait!
V. C.: Il y a certainement juste deux personnes, à la rigueur trois, dans toute la vie de quelqu'un qui savent vraiment comment…
M.: T'énerver pour de bon!
V. C.: Oui! Danny est l'un d'eux, pour moi. Mais ça ne nous est pas arrivé depuis si longtemps que… tout va bien. Et puis il y a quelqu'un d'autre dans ma vie qui est comme ça, alors ça ne me manque pas. Je crois que l'un des secrets est de savoir ne pas commencer une dispute: si personne n'en commence, il ne devrait pas y en avoir! Ca n'est pas parce que quelqu'un est un enc*** [censure powered] qu'il faut le lui dire!
M.: Un dernier mot, ou quelque chose que tu veux dire mais je n'ai pas demandé?
V. C.: Je suis impatient de pouvoir nous recréer à Paris, le 2 mai [l’interview a été réalisée avant]. Et peut-être aussi à l'automne? Peut-être que nous aurons l'occasion de jouer en dehors de Paris, de revenir dans certains des endroits merveilleux où nous étions allés la dernière fois. Je suis impatient de partager ces chansons avec tout le monde, voir les réactions des gens… et juste avoir la chance de partager cette musique! C'est quelque chose que j'apprécie chaque jour, vraiment.
M.: De toute manière si ça n'était pas le cas je suppose que tu aurais arrêté le groupe depuis longtemps!
V. C.: Oh certainement oui!
-Propos recueillis par Polochon en mars 2012.-
[Chronique de Weather Systems (Anathema).
Compte-rendu du concert du 2 mai 2012 au Bataclan
/ Photos d'Anathema à ce concert.]
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