arton33729« Convenu », « redondant », « éculé », « répétitif »… on aimerait accoler tous ces qualificatifs au dernier disque de Marillion. Et cela serait facile tant le groupe anglais n'innove absolument plus en rien, et ce sans doute depuis le phénoménal Marbles, son dernier grand disque. Il faut être clair : pour son 18e disque en studio, Marillion arpente des sentiers déjà longuement parcourus depuis l'intégration de Steve Hogarth dans le groupe. Les solos de Steve Rothery sont toujours d'un lyrisme mélancolique assez minimaliste. Steve Hogarth se meut toujours entre le chant parlé et le chant théâtral avec l'aisance qu'on lui connait. Les quelques ambitions techniques sont à retrouver au niveau de la section rythmique puisque le claviériste Mark Kelly propose des thèmes ou des accompagnements extrêmement dépouillés. Et l'on se plairait parfois à penser qu'on aimerait entendre moins Steve Hogarth occuper tout le spectre de l'espace sonore et écouter un peu plus les musiciens sur des plages instrumentales. Ou à souhaiter que Marillion mette quelque peu de côté ses structures archi-balisées à base de crescendos et diminuendos. Voire que les musiciens musclent leur propos comme ils surent ponctuellement le faire sur le très bon Sounds That Can't Be Made

Et pourtant, malgré tous ces regrets que l'on peut concevoir, il faut admettre que F.E.A.R. est un disque de haute tenue, qui touche au superbe trop souvent pour qu'on ne puisse pas se laisser conquérir par son propos. Ce dernier n'est pas grossier et facile, comme pourrait le laisser sous-entendre la signification de l'acronyme F.E.A.R. « Fuck Everyone And Run » n'est en rien une invite vaguement punk de la part de Steve Hogarth, mais un constat amer, mais non désespéré, sur l'individualisme obsidionnal qui touche la Grande-Bretagne et l'ensemble des sociétés du monde occidental. Porté par son sujet, Hogarth est encore une fois impérial sur les très longs titres à structure à tiroir qui constitue l'essentiel de l'ossature de F.E.A.R.

S'ouvrant d'emblée sur le majestueux « El Dorado », le disque pose aussitôt la barre extrêmement haut. On touche là à la qualité des grands morceaux progressifs de l'époque Hogarth, du niveau d'un « The Invisible Man » ou « Neverland ». Mais on pourra en dire de même de « The Leavers » et de ses 19 minutes de haute classe ou de « The New Kings ». Les titres cours et plus pop ne sont qu'au nombre deux et s'avèrent en outre de bonne tenue. Ils sont aussi imprégnés d'un ambiance musicale propre à F.E.A.R. mais aussi du fil conducteur thématique du disque. Pour une fois il n'y a pas à déplorer leur présence par rapport aux chansons plus classiquement progressives.

J'ai beau m'être construit des réserves et des a priori d'airain contre Marillion et son F.E.A.R., je dois admettre avoir été finalement totalement conquis. Je ne sais comment les Anglais après tant d'années arrivent-ils à toucher si facilement au sublime, mais j'ai accepté la chose comme un don ou une grâce dont chacun devrait profiter. 

Baptiste (8/10) 

 

earMusic / 2016

Tracklist  (67 minutes) : 01. El Dorado (I) Long-Shadowed Sun (II) The Gold (III) Demolished Lives (IV) F E a R (V) The Grandchildren of Apes 2. Living in F E a R 3. The Leavers (I) Wake up in Music (II) The Remainers (III) Vapour Trails in the Sky (IV) The Jumble of Days (V) One Tonight 4. White Paper 5. The New Kings (I) F**k Everyone and Run(II) Russia's Locked Doors (III) A Scary Sky (IV) Why Is Nothing Ever True ? 6. Tomorrow's New Country