Hangman’s Chair aurait pu s’enfermer malgré lui dans le sillon du « groupe préféré de ton groupe préféré ». Une sorte de secret bien gardé, qui en aurait fait un groupe underground français connu des quelques baroudeurs de salles de concert sombres et des aficionados des sons pointus. Mais c’était sans compter sur cette putain d’intelligence musicale qui caractérise l’évolution des compositions du groupe depuis son premier album en 2007. En 2015 This is not supposed to be positive avait déjà ouvert la voie à de compositions plus subtiles, mieux construites et mieux produites. Après quelques secondes de Banlieue Triste, on sent immédiatement que le groupe a continué de travailler dans ce sens.
Les thématiques de prédilections du groupe sont toujours bien présentes, ce qui change c’est la manière de nous emmener. Cet album assoit encore un peu plus l’identité du groupe avec une écriture que je qualifierais de « cinématographique ». Chaque morceau semble proposer un tableau différent, dans une cohérence générale très bien maîtrisée. Et puis à l’heure du catchy et des plaisirs immédiats, Hangman’s Chair s’inscrit à contre-courant et prend encore plus le temps. Ils installent le décor, articulent doucement leur propos et construisent un univers sonore… presque visuel : on ose les répétitions, les longueurs et les structures complexes. À l’image de « 14/09/16 » et de « Tired eyes » qui s’articulent en plusieurs parties distinctes. Mention particulière au second qui en 8 minutes 13 traduit le travail d’orfèvrerie dont ces quatre mecs sont capables pour installer des ambiances, viser juste et ne jamais emmerder leur auditeur. Ce morceau marque également une collaboration très réussie avec Pertubator, producteur de musique électronique parisien oeuvrant dans un univers indus, synthwave (je découvre ce dernier style en rédigeant ces lignes). Les différents morceaux instrumentaux sont justes sublimes et apportent une vraie plus-value à l’album : Banlieue triste offre une ouverture en fade in ; quand « Tara » démarre comme une composition reznorienne et que « Sidi Bel Abbes » vogue entre désert song et mélancolie et signe la seconde collaboration du groupe avec le guitariste belge Mongolito.
Côté production, ça sonne très organique. Du relief, des instruments bien mis en valeur et une voix toujours au top qui devient une belle signature du groupe.
En fait, la musique de Hangman’s Chair a toujours eu l’art de plonger dans l’intimité noire de personnages dont le point commun était le désœuvrement et le désespoir ; des B.O. de docu sociaux qui passe sur Arte tard le soir, et encore… Là où Banlieue Triste enfonce un clou supplémentaire c’est dans la poésie que les morceaux insufflent dans la sincérité et la rudesse des réalités qu’elle décrit.
Dans une interview, le guitariste répondait à la question « est-ce l’album de la maturité ? » en disant « c’est l’album de la retraite ». On verra ce qu’ils en feront, j’espère que c’est un trait d’humour, car je suis déjà curieux de voir quelle sera la prochaine étape de l’évolution musicale de ce groupe qui est, selon moi, le fer-de-lance du rock made in France.
Kadaf (8.5/10)
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Track list (67:18) : 1. Banlieue triste, 2. Naïve, 3. Sleep Juice, 4. Touche the Razor, 5. Tara 6. 04/09/16, 7. Tired Eyes (feat Pertubator), 8. Negative Male Child, 9. Sidi Bel Abbes (Feat Mongolito), 10. Full of Ashtray.