Archive for septembre, 2024

À l’origine de cette (potentielle) nouvelle série d’articles, une question posée un soir de festival, après (bien) trop de bières.

« Si tu ne pouvais garder qu’un seul morceau de chaque groupe que tu écoutes, tu choisirais lequel ? ».

Un exercice inutile, presque masochiste, où chaque réponse est non seulement personnelle, mais aussi à la fois éminemment correcte et totalement fausse selon le point de vue du lecteur. Parce que réduire un artiste à une chanson est un blasphème dans un genre où le nombre de groupes réputés pour être des « one hit wonders » est plutôt faible. Parce que les émotions suscitées par une chanson chez une personne dépendent parfois d’un contexte, d’un vécu, d’un Zeitgeist (non, pas besoin de vérifier, ce n’est pas un inédit de Rammstein). Et parce qu’invariablement, ces discussions tournent à la foire d’empoigne comme la fois où le boss a voulu ranger la Chimay bleue au frigo (NI OUBLI, NI PARDON).

Évidemment, actualité oblige (le groupe vient en effet de refouler les planches d’un festival outre-Atlantique après cinq années de retraite), il fallait que je commence par Slayer. Un groupe auquel j’ai voué un culte au fil des années. Un pilier du Thrash Metal qui, mis à part le petit dérapage Diabolus In Musica, avait su mener sa barque et éviter les écueils dans lesquels s’étaient vautrés certains de leurs petits camarades. Il ne se passe pour ainsi dire jamais un mois sans que je n’écoute du Slayer, malgré ma curiosité insatiable et mes heures passées sur Facebook et Bandcamp pour dénicher de nouveaux groupes, de nouvelles sonorités, de nouveaux genres.

Bon, avec le recul et l’âge, je dois avouer que mon amour pour ce groupe se muait parfois en complaisance, voire en aveuglement vis-à-vis de la qualité des derniers albums. Le groupe a atteint son sommet avec Seasons In The Abyss, qu’on le veuille ou non. Et même les fans les plus aveuglés par la hargne du quatuor doivent se rendre à l’évidence : depuis Christ Illusion, le groupe ne voguait plus sur des vagues d’hémoglobine. Il pédalait à vide dans la choucroute avec ici et là quelques rares fulgurances. Il faudra un jour que je revienne sur mes chroniques de l’époque, d’ailleurs.

Et si je ne devais retenir qu’un seul morceau de toute la discographie de Slayer, il viendrait de ce qui est probablement l’album le moins slayérien de la bande à Tom Araya. Il faut remonter pour cela à mon tout premier contact – plutôt tardif – avec le groupe. À l’époque, MTV passait encore de la musique (oui, je sais, OK Boomer) et n’enchainait pas les télé-réalités claquées au mur. Et tard le soir, les metalheads avaient aussi droit à leur dose de clips.

Et là, la claque. « I Hate You ».

Oui, si je devais garder un seul morceau, ce serait une reprise de Verbal Abuse.

Parce que tout y est.

Kerry King, la calvasse fière, le jersey des Raiders (de l’époque où ils jouaient encore à Oakland et n’avaient pas encore fait le pire move de l’histoire de la NFL en s’installant à Vegas) sur les épaules et – what else ? – un solo hasardeux et TELLEMENT KerryKingien qui s’intègre parfaitement dans la reprise et lui insuffle ce petit supplément de Slayer. Tom Araya arbore fièrement un débardeur de SON groupe, headbangue comme un beau diable (l’époque dorée où ses cervicales n’étaient pas encore en purée) et beugle comme un veau dans les oreilles de celles et ceux auxquels il adresse un message simple : la HAINE. Et Paul ? Il y est, à mes yeux, au sommet de son art. Pas de chichis, juste un métronome qui cogne comme une mule.  C’est court, c’est con, c’est efficace.

Au cours des semaines suivantes, je découvrirai d’autres clips de Slayer (« Dittohead » et « Seasons In The Abyss ») mais aucun des deux n’aura cette même saveur de la découverte d’un groupe spécial. « I Hate You » est en quelque sorte le terrier de lapin dans lequel j’ai plongé tête première sans me douter un instant que je venais de découvrir ce qui allait devenir mon groupe favori.

Fleshgod Apocalypse – Opera

Fleshgod Apocalypse fait partie de ces groupes qui, dans mon esprit de vieux con, font partie « de la nouvelle garde ». La bande à Francesco ? Je me souviens encore quand je les ai vus pour la première fois, c’était à un Mass Deathtruction à Namur, y’a quoi… 7-8 ans ? Eh bien non, sale boomer, Fleshgod Apocalypse à Namur, c’était en 2009. Il y a 15 ans. Et à l’époque, y’avait pas tout ce tralala de costumes, de pianiste, de chanteuse lyrique. Non, juste quelques ritals sur scène, en relative fin d’aprèm, et une furieuse tendance à pilonner le public avec son death brutal à souhait. De cette époque bénie, il ne reste plus que Francesco Paoli, le Rémy Bricka transalpin qui aura occupé tous les postes au sein du groupe. Le personnel a changé, mais la formule, quant à elle, a peu évolué depuis le pavé Agony sorti en 2011.

Au menu, donc, cette combinaison désormais familière de death italien et de musique classique. Si vous n’accrochiez pas à cette formule par le passé, Opera ne vous rabibochera pas avec le groupe. On retrouve cette capacité du groupe d’alterner les passages pied au plancher (Eugene Ryabchenko, batteur depuis 2020, est loin d’être un manchot et peut rivaliser aisément avec ses illustres prédécesseurs) et morceaux plus posés, plus lourds sans pour autant se vautrer dans une pseudo-torpeur. Par contre (et c’est peut-être LA bonne nouvelle pour certains fans, dont moi) : Paolo Rossi ayant quitté le navire en début d’année, l’intégralité du chant clair est confiée à Veronica Bordacchini (qui s’occupait déjà du chant soprano depuis 2020). Personnellement, ce changement me plait beaucoup, et je serais d’ailleurs très curieux d’entendre les anciens morceaux en live avec le chant clair de Veronica.

Et la production (ce qui, à l’époque, avait plombé Labyrinth), me direz-vous ? Comme sur King, on sent que tout a été fait pour rendre le disque décortiquable lorsqu’on l’écoute au casque. Bon, la batterie est parfois un peu envahissante, mais on ne tombe pas dans une bouillie infâme. La grande inconnue reste, bien entendu, de savoir si le groupe parviendra à restituer ces morceaux de manière fidèle sur scène.

Au final, peu de surprises, mais un 6e album qui tient la route. Ca manque peut-être un peu de folie (comme le génial single « The Fool » sur King), mais Fleshgod Apocalypse continue à creuser son sillon dans son propre genre.

7,5/10

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Nuclear Blast / 2024
Tracklist (43:20) 1. Ode to Art (De’ sepolcri) 2. I Can Never Die 3. Pendulum 4. Bloodclock 5. At War with My Soul 6. Morphine Waltz 7. Matricide 8.21 8. Per Aspera ad Astra 9. Till Death Do Us Part 10. Opera

Verwoed – The Mother

Il doit y avoir quelque chose dans l’eau ou dans l’air aux Pays-Bas. Sinon, comment expliquer la qualité de la scène Black Metal de nos voisins du Nord ? Iskandr, Fluisteraars, Grey Aura, Turia, Infernal Cult, les nombreux projets de Mories… La liste est longue et, parmi tout ce beau monde, il est difficile de ne pas évoquer Verwoed (anciennement Woudloper), qui fête cette année son 10e anniversaire avec un troisième album tout en maîtrise et en ambiance.

En effet, Erik Bleijenberg, la tête pensante du groupe, n’officie pas dans cette école du Black Metal axé sur le riff à la tronçonneuse et la batterie sauce mitrailleuse. Son truc à lui, c’est l’ambiance, les tempos ralentis, la superposition de sonorités électriques et d’une guitare sèche. Si je devais faire un parallèle avec d’autres groupes, je penserais à des formations comme Jordablod et les Français de Svart Crown (ces derniers étant aussi passés maîtres dans l’art, sur leurs derniers albums, pour instiller une ambiance lourde et délétère). Chaque composition prend le temps de se dévoiler, d’évoluer sans pour autant s’égarer. Mieux encore : ce cheminement ne s’interrompt pas à la fin du morceau. Au contraire, en travaillant ses transitions, Verwoed offre une cohérence bienvenue et capte l’attention sur le long terme. Un exemple : la transition entre l’instrumental « Seven Trumpets » et « The Child », la première partie permettant un moment de pause avant une montée en puissance progressive débouchant naturellement sur le morceau suivant. Rien n’est gratuit, tout est calculé sans pour autant verser dans le chirurgical.

Monolithique sans être pour autant écrasant, mêlant habilement noirceur et trouées lumineuses, The Mother est incontestablement l’œuvre la plus aboutie d’un groupe dont la discographie ne comptait déjà que des albums recommandables. Loin des rivages du Black pur et dur, Verwoed nous invite à la contemplation, les yeux rivés sur les flammes.

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9/10

(Autoproduction – 2024)
Tracklist (43:41) 1. A Prayer of Blood and Fire 2. The Mother 3. Seven Trumpets 4. The Child 5. The Madman’s Dance 6. A Choir of Null and Void 7. Death in a Rosary