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Une fois n’est pas coutume, je me pencherai sur le cas de deux albums au sein d’une seule et même chronique. Par flemme ? Peut-être un peu, oui, mais cela réduit à néant les chances de voir les groupes et leurs labels partager cette chronique croisée (et pour être franc avec vous, je m’en secoue les kiwis). La principale motivation de cette démarche se trouve plutôt au niveau de la démarche des deux groupes : plonger tête première dans une ère musicale révolue, y pêcher quelques perles et essayer, avec plus ou moins de bonheur, de les accommoder avec leur bagage musical pour en faire un collier qui brillera de mille feux.

À ma gauche, les Transalpins de Bedsore, actifs depuis 2018 et géniteurs de Dreaming The Strife For Love, leur deuxième album chez 20 Buck Spin.

À ma droite, Blood Incantation et un troisième LP, Absolute Elsewhere, sorti chez Century Media.

À la fin de la première écoute de chacune de ces plaques, un constat s’impose : les deux groupes ont beau avoir un postulat de départ identique, leur cheminement est à mes yeux sensiblement différent.

Chez Blood Incantation, la combinaison Death Metal / prog 70s tient plus du mix eau / huile que du cocktail harmonieux : on a beau secouer le tout, l’émulsion ne prend pas. Il suffit d’entendre certaines transitions abruptes entre envolées 70s et Death Metal à la Morbid Angel pour se faire à l’idée que Blood Incantation propose davantage un patchwork qu’un réel ensemble bien intégré.

Bedsore, au contraire, parvient justement à marier Metal et prog en un ensemble cohérent. À aucun moment, je n’ai eu l’impression d’écouter deux albums collés bout à bout. Si je devais refaire un parallèle à la con impliquant des liquides, Dreaming The Strife For Love est une sauce qui aurait pris le temps de mijoter sur le coin du feu pendant des heures, avec un petit coup de cuillère en bois de temps en temps et un léger ajustement de l’assaisonnement.

Ceci étant dit, pour le fan de gros riffs et de blast que je suis, Blood Incantation garde un vrai visage Death Metal. Les ricains semblent avoir eu pour mot d’ordre « Des compromis ? Non merci ! ». Prenez « The Stargate [Tablet III] » ou le début de « The Message [Tablette III] » : ça, c’est du Death Metal ! Si tout l’album avait été du même tonneau, je suis certes persuadé que beaucoup moins de monde aurait crié au génie, mais on tiendrait entre les mains le meilleur album de Death de l’année ! Le son est incroyable, ça fleure bon la Floride, le gras, le marécage… Mais, comme je l’évoquais plus haut, les transitions sont rudes, parfois même au cœur d’un même morceau (« The Stargate [Tablet I] » qui semblait bien parti pour faire tomber les lambris avant la bascule à 2:01 vers des contrées sonores bien éloignées).

Bedsore, en revanche, a choisi la voie du compromis. Elle est bien loin, l’époque d’Hypnagogic Hallucinations ! Bon, OK, les Romains n’étaient pas aussi frontaux dans leur Death Metal, mais ils naviguaient tout de même sur des eaux bien plus agitées qu’aujourd’hui. Pour intégrer au mieux ces nouvelles sonorités, le groupe a revu la dose de gros riffs à la baisse pour que la recette soit harmonieuse. Et en quelque sorte, je regrette un peu cette décision parce que leur premier opus était très prometteur dans son genre.

Au final, Bedsore a peut-être sorti l’album qui correspond le mieux à un des arguments de vente avancés par Century Media pour son poulain du Colorado : (Blood Incantation) are leaving the notion of genre behind and writing a new language for extreme music itself. Pour moi, Bedsore est mieux parvenu à casser les frontières entre genres pour obtenir un résultat final qui aurait pu rencontrer un bien plus grand succès. Ou du moins qui l’aurait mérité.

Bedsore 8,5/10

20 Buck Spin / 2024
Tracklist (45:55) 1. Minerva’s Obelisque 2. Scars of Light 3. A Colossus, an Elephant, a Winged Horse; the Dragon Rendezvous 4. Realm of Eleuterillide 5. Fanfare for a Heartfelt Love 6. Fountain of Venus

Blood Incantation 7,5/10

Century Media Records / 2024
Tracklist (43:39) 1. The Stargate [Tablet I] 2. The Stargate [Tablet II] 3. The Stargate [Tablet III] 4. The Message [Tablet I] 5. The Message [Tablet II] 6. The Message [Tablet III]  

« Si tu ne pouvais garder qu’un seul morceau de Korn, tu choisirais lequel ? »

Fun fact : pendant de nombreuses années, j’ai eu en ma possession plus d’albums de Korn que d’albums de Slayer. Celles et ceux qui me connaissent dans la vraie vie véritable fronceront peut-être les sourcils en se demandant lors de quel festival j’ai pris un coup sur la tête suffisamment direct pour m’entrechoquer autant les neurones et me faire dire une telle énormité, mais entre 1996 et 1998, Korn, c’était un peu le sommet de la pyramide alimentaire du Metal pour le p’tit con que j’étais. Bon, à l’époque, même Slayer « faisait du néo » avec son poussif Diabolus In Musica, et pas mal de groupes plus extrêmes ne faisaient pas le poids face à cette déferlante sous-accordée.

Et en 1998, il y a aussi et surtout le Family Values Tour, premier du nom. Et à cette époque, c’est sur MTV que les fans pouvaient espérer voir quelques morceaux de chaque groupe. Limp Bizkit, Incubus, Orgy, Rammstein… Je me souviens avoir enregistré la diffusion sur une VHS pour pouvoir me repasser ces extraits de live en boucle. À l’époque, Korn est « à son prime », comme disent les ricains. Depuis le premier album éponyme, le groupe gravit les échelons sans faiblir et sort son opus magnum : Follow The Leader. Je ne le savais pas encore à l’époque (j’étais con et naïf, je pensais que le groupe ne pourrait que poursuivre son ascension jusqu’à un pinacle ultime), mais j’avais entre les mains un monument du néo de la fin des 90s, voire du néo tout court (aux côtés de White Pony des Deftones, le premier System Of A Down et le méconnu et pourtant si parfait The War Of Art de American Head Charge). Et le point d’orgue de leur carrière, ce titre ultime, il fera l’objet d’un clip, début 1999.

« Freak On A Leash ».

Je me demande sincèrement si beaucoup d’autres gars de mon âge ont le même souvenir vivace du premier visionnage du clip. MTV, fin de soirée, ce début de clip en dessin animé inspiré de l’artwork sublime de l’album, la chute du policier, la balle qui brise le quatrième mur du dessin pour une incursion dans le monde réel, l’interlude Davisien dans cette pièce aux murs criblés d’impacts de balles et ces jeux de lumière entourant le groupe… La claque visuelle vient s’ajouter à la mandale musicale.

Malgré une débauche de moyens sur les clips suivants et un Issues qui trône très haut dans le cœur de nombreux fans de la bande à Jon Davis, Korn n’arrivera, à mes yeux, jamais à surpasser ce moment de grâce. Un quart de siècle s’est écoulé depuis la sortie de ce clip, mais le souvenir est toujours vivace, et cette madeleine de Proust conserve une saveur particulière.

« Si tu ne pouvais garder qu’un seul morceau d’Anaal Nathrakh, tu choisirais lequel ? »

Pour les deux premiers épisodes de cette série d’articles, j’avais choisi la facilité.

Pour Slayer, il y avait tout simplement cette nostalgie, ce rappel de « la première fois », de ce premier frisson, de cette montée d’adrénaline qui m’avait incité à creuser plus.

Pour Cannibal Corpse, ma reprise actuelle de la rédaction d’articles m’a renvoyé de nombreuses années en arrière, quand j’écrivais encore assidument pour le zine et que j’avais pu assister, avant même la sortie de Kill, à la renaissance d’un groupe qui semblait tout doucement s’essouffler devant mes yeux.

Pour Anaal Nathrakh, le choix s’est avéré bien plus cornélien. Parce qu’Anaal Nathrakh n’est pas un « simple » groupe comme il en existe tant pour moi. Il s’agit à la fois d’une de mes premières plongées dans le metal VRAIMENT extrême (la découverte de « Submission Is For The Weak » en 2001, quelques semaines après la sortie de God Hates Us All de vous-savez-qui, reste encore aujourd’hui gravée dans ma mémoire) et d’un fidèle compagnon lors de périodes plus compliquées. Certains optent pour la drogue, l’alcool, le sport ou tout autre exutoire pour se changer les idées, j’avais un faible pour l’énergie cathartique du duo de Birmingham. Et plusieurs de leurs albums, en particulier ceux sortis entre 2012 et 2016, m’ont aidé à surmonter des épreuves.

Sans ce contexte, j’aurais sans aucun doute choisi « Castigation And Betrayal » de l’album Hell Is Empty, And All The Devils Are Here (sorti en 2007, l’année d’un grand écart musical colossal de la part de Mick Kenney qui sortira à la fois cette grenade sonique et l’unique album de Professor Fate que je vous recommande chaudement si vous ne connaissez pas). Un riff colossal, une explosion grotesque de blast et de hurlements venant clôturer un album déjà hors normes, le tout assorti d’une production plus « respectable » que les tous premiers efforts du groupe. Ce titre est absolument incroyable, il me bluffe à chaque écoute, mais il s’inscrit dans un contexte plus insouciant de ma vie.

Et c’est peut-être justement là qu’on comprend à quel point la musique a aussi ce pouvoir de marquer les esprits, de servir de béquille, de défouloir, de psychothérapie. Si j’ai choisi un morceau de 2016, c’est parce qu’il est attaché à un souvenir clé, un de ces moments de la vie réelle où tout s’inscrit au fer rouge dans les neurones.

Octobre 2016, un dimanche, quelques jours avant la sortie de The Whole Of The Law. La copie promotionnelle tourne dans la voiture depuis déjà quelques jours. Une réunion de famille en présence d’un docteur et l’annonce qui tombe comme un couperet : tous les traitements ont échoué, il ne reste plus qu’une seule issue pour ma mère, et ce seront tôt ou tard les soins palliatifs en conclusion d’années de lutte contre la maladie. Et sur le chemin du retour, au moment de garer ma voiture devant chez moi, en plein déluge de décibels, j’arrive au 3e morceau : « Hold Your Children Close And Pray For Oblivion » et son mini-break lumineux à 2:08 juste avant un de ces hurlements dont Dave Hunt a le secret. Le catharsis parfait. J’ai coupé le contact, la Seat garée avec la roue arrière sur le trottoir, et j’ai passé le reste de l’album dans la voiture à entamer les deux premières étapes d’un deuil annoncé : le déni et de la colère.

« Hold Your Children Close And Pray For Oblivion » n’est pas le meilleur morceau du groupe. Ce n’est même pas le meilleur de l’album (j’hésite encore entre « Extravaganza! » et ses envolées king diamonesques dans les aigus ou « Of Horrors, And The Black Shawls » et ses chœurs en intro), mais il est la bande-son d’un épisode de ma vie. Pas le meilleur épisode, loin de là. Mais un de ceux qu’on n’oublie pas.