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Dans notre univers, il y avait quelques repères, immuables, des choses qui ne changeaient pas. Comme la position de la main de Lemmy Kilmister sur le manche de sa basse depuis 20 ans, disait cette bonne vieille blague pourrie qui me faisait sourire à chaque fois. Mais aujourd'hui, même avec toute la bonne volonté du monde, le sourire se fige quelque peu. Parce qu'avec le décès de Lemmy, c'est un de ces repères qui vient de disparaître.

Et pourtant, je n'ai pas été tendre avec lui depuis bien longtemps déjà. Entre albums qui n'apportaient plus rien (si ce n'est les petits coups de canif à la légende) et concerts de plus en plus laborieux, Motörhead agonisait à petit feu, suspendu au fil devenu bien fragile de la santé de son frontman. Mon dernier souvenir de Motörhead en live était le Fortarock 2013, avec un Lemmy usé jusqu'à la corde. "On achève bien les chevaux", avais-je dit alors à un pote présent à Nimègue.

Certes, je n'ai pas découvert Motörhead aussi tôt que certains de mes confrères. Je n'ai "que" 34 ans, un petit merdeux, en somme, qui n'était encore qu'une vague idée dans les couilles de son père quand Dieu crachait Ace Of Spades à la gueule du monde. J'ai donc raté l'âge d'or de ce groupe, et tous leurs albums sortis à partir de la date à laquelle je me suis intéressé à Motörhead sont anecdotiques face aux premiers opus. Et pourtant je connais Ace Of Spades (l'album entier, pas juste le titre éponyme) quasiment par coeur. Et malgré toutes les blagues et tout ce que j'ai pu dire de négatif sur Lemmy ces dernières années, je ressens un pincement au coeur. Peut-être même encore plus qu'au décès de Dio. Sacré coming out pour le fan de Black, de Death et de Grind que je suis. 

Lemmy ne jouait pas du Rock. Il incarnait le Rock comme très peu de personnes peuvent le faire. Avec lui, c'est une page qui se tourne. Avec lui, c'est une partie du Rock qui est morte. 

Für mich wird er unsterblich sein. Ein Mythos für die Ewigkeit. (c) Onkel Tom

Je dois parfois me torturer pendant des heures pour pondre 10 malheureuses lignes sur un nouvel album. Souvent parce que ledit album est quelconque, certes, voire médiocre. Ici, avec ce premier single de Lindemann, le projet de Till Lindemann (Rammstein) et Peter Tägtgren (Pain, Hypocrisy), j’ai l’impression que je pourrais écrire une page sur tout ce qui ne va pas avec ce morceau.

Par où commencer ?

Tout d’abord par le volet purement musical, confié à Peter Tägtgren, un musicien au talent indéniable, qui a su s’avérer convaincant dans trois genres différents (parce que beaucoup oublient que Peter a aussi joué dans « son » groupe de Black Metal, The Abyss, et que ce projet vaut le détour). Mis à part peut-être Catch 22 (et encore, je ne fais pas vraiment partie des détracteurs), Hypocrisy frôle le carton plein, et on peut en dire autant au sujet de Pain. Sur le papier, on pouvait donc s’attendre à quelque chose de solide. Hélas, « Praise Abort » est loin d’être aussi passionnant. Le refrain est loin d’être mémorable, le propos manque de punch (on est loin du rouleau compresseur teuton)… Sur ce plan, Lindemann peine à décoller, et si le premier titre choisi pour promouvoir l'album est si faible, on est en droit de s’inquiéter.

Cependant, Lindemann (le projet) est aussi le naufrage de Lindemann (le songwriter). Avec Rammstein, Till a fait des merveilles en matière de textes. Certes, d’aucuns me rappelleront « Te Quiero Puta » et « Pussy » dont le niveau était très proche de la ceinture, et je ne peux pas leur donner tort, mais le reste de la discographie de Rammstein comporte son lot de textes travaillés, recherchés, comme la relecture du conte Erlkönig sur le morceau « Dalai Lama » que l’on retrouve sur Reise, Reise. Même « Mein Teil » évitait l’écueil de la provoc stupide en jouant avec les mots (le double sens de « Er hat mich zum Fressen gerne » n’aura pas échappé à ceux qui maîtrisent la langue de Goethe). Et si Till est un si bon songwriter, c’est parce qu’il manie sa langue maternelle avec brio. Ici, le passage à l’anglais a sensiblement réduit son efficacité. Chanter en allemand ? Ce n’était vraisemblablement pas une option, le parallèle avec Rammstein aurait été encore plus facile à faire. « Praise Abort » verse dans la provoc facile, habilement emballée avec de gros moyens dans un clip qui ne laissera pas indifférent. Mais en grattant un peu, on ne peut pas ignorer la faiblesse de ce morceau sur le plan textuel aussi. Et pour ne rien arranger, l’accent de Till est loin d’être convaincant. Il parle anglais comme quelqu’un qui dirait « Ach, si mes ancêtres avaient été plus efficaces en 40, tout le monde parlerait allemand et je n’aurais pas dû apprendre cette langue de Yankees » (1)

« Praise Abort » est donc censé nous teaser, nous emballer jusqu’à la sortie de l’album programmée d’ici peu. Personnellement, ce titre suscite chez moi bien plus d’interrogations que d’attentes. Si tout l’album est du même tonneau, on pourra en conclure que 1. Till et Peter ont fait ce qu’ils voulaient, sans se soucier des modes, des tendances et des attentes et 2. cela risque de faire bien des déçus.  Mon impatience s’est muée en inquiétude. J’ai l’impression que je suis sur le point d’assister au premier faux-pas de deux géants qui, au final, ne seraient donc que deux colosses aux pieds d’argile.


(1) Vous ne rêvez pas, c’est un point Godwin parfaitement assumé, et je me déçois presque de l’avoir sorti si tard dans ce texte.

 

Nearly Dead Metal

Avant-hier, AC/DC a décidé de faire monter la pression, en dévoilant au monde des extraits de son futur album programmé pour la fin d’année. J’entends déjà les réactions unanimes dignes d’un épisode des Bisounours. Et ça me fout la gerbe.

Wow, directement les grands mots, Patate, tu penses pas que tu exagères un peu ?

Non, absolument pas. Et cette nouvelle relative à AC/DC est à replacer dans un contexte plus large, une tendance qui gangrène le Metal depuis maintenant quelques années et qui, en quelque sorte, en dit long sur la santé du Metal. Cette tendance, c’est celle du comeback, des groupes qui ne savent pas dire stop. Prenez Motörhead, par exemple. Avec une régularité d’horloge suisse, le groupe a aligné les sorties, grossissant petit à petit une discographie déjà bien fournie… Mais quelle est la valeur ajoutée de ces dernières sorties ? En live, on verse même dans le pathétique, avec un Lemmy qui tient à peine debout… et ce constat s’applique aussi à d’autres grands (qui a dit Ozzy ?).

Dans un certain sens, les Metallica, Iron Maiden, Slayer et autres Black Sabbath sont indispensables dans notre monde, ils sont nos « ambassadeurs »… mais si nous étions honnêtes, ne devrions-nous pas reconnaître que leur âge d’or est loin derrière nous ? À quelques rares exceptions près, chaque comeback annoncé à grand fracas s’est soldé par un (semi-)échec, car ces groupes n’ont simplement plus le feu sacré. Le dernier Black Sabbath ? Je me demande encore comment il a pu finir premier de notre classement des meilleurs albums de l’année dernière. At The Gates ? Correct si on le considère isolément, plutôt moyen si on le compare à ses illustres prédécesseurs. Bloodbath ? Le premier extrait avec Nick Holmes au chant m’a plus que refroidi. Loudblast ? Putain, Stéphane, t’avais pas suffisamment de taf en studio ? Dans le cas d’AC/DC, on touche le fond, avec un membre frappé par la démence et poussé vers la maison de retraite… Tous ces groupes écorchent leur mythe, pour la bonne et simple raison qu’ils ne savent pas s’arrêter. « Être et avoir été », comme dirait l’autre… Et mis à part Bolt Thrower qui s’obstine à tourner de temps en temps tout en capitalisant sur ses acquis (Those Once Loyal remonte à quoi… 2005 ?), aucun groupe ne semble à l’abri de ce retour en pétard mouillé, de cet album de trop…

J’en entends déjà quelques-uns dire « Ouais, mais c’est ça le Metal, vieux, jusqu’à la mort ! ». On achève bien les chevaux. J’ai mal au cœur quand je vois Lemmy sur scène, triste parodie du frontman légendaire qu’il était. Je grince des dents quand Slayer joue en live avec l’entrain d’un fonctionnaire communal. Je ris jaune quand Ozzy aligne ses « I can’t fucking hear you » comme une mamy qui aurait perdu son appareil auditif. Ces groupes sont morts et vivent sur leurs acquis, alimentant au passage leur label trop heureux d’avoir une vache à lait aussi intéressante pour se mettre à la recherche de la relève. Dans une industrie de la musique en plein déclin, le rôle principal de ces groupes n’est plus de faire rêver les fans : ils sont une assurance-vie pour leur maison de disques (la preuve : Ozzy, dans l’annonce du prochain album de Black Sabbath, le dit lui-même : « the record company needs a record »). Promo minimale, return on invest maximal. Vous vous souvenez de la dernière fois où Nuclear Blast vous a fait rêver avec un nouveau groupe, de la dernière fois où un label majeur a pris le risque de signer un groupe de Metal inconnu qui vous en a mis plein la gueule ? Presque tous les labels (grands et moins grands) ont leur vache à lait qu’ils flattent exagérément, qu’ils nous survendent… Prenez Slayer qui vient de signer chez Nuclear Blast : Slayer, de par sa renommée, n’a pas besoin de Nuclear Blast. Nuclear Blast, par contre, a fait la bonne affaire en attirant dans ses filets un groupe dont le seul nom suffit pour faire ouvrir son portefeuille au fan de base. Auparavant dénicheurs de talents, ces structures sont devenues des machines qui ne regardent plus à la qualité, mais plutôt à l’argent qu’elles pourront engranger, entre effets de mode éphémères et poules aux œufs d’or. Et le Metalleux moyen est encore assez con pour tomber dans le panneau…

Et pendant ce temps-là, la relève végète dans l’ombre de ces géants. Des dizaines de groupes prometteurs, qui ont peut-être l’étoffe des futurs grands du genre, restent sur le carreau. Les grands occupent le devant de la scène dans une mascarade parodique, et le fan passe malgré tout à la caisse. Vous trouvez que j’exagère ? Vous avez vu les têtes d’affiche du Hellfest de ces dernières années ? Toujours les mêmes grands classiques, toujours ces vaches sacrées. Et quand tous ces mastodontes disparaîtront, que restera-t-il ? Pas grand-chose, et la transition sera rude.

Au final, quand Devin Townsend annonce que « SYL ne reviendra pas. Et plus vous le demanderez, moins il y aura de chances que j’envisage ce comeback », je suis presque heureux. Et pourtant, Dieu sait que je rêve de voir SYL, ne fût-ce qu’en live. Devin Townsend a su mettre à mort un de ses projets, et au final, malgré la tristesse de la disparition du groupe, le monde du Metal a poursuivi sa route. Notre monde n’a plus besoin des AC/DC, Motörhead, Iron Maiden, Metallica, Slayer, At The Gates et consorts. La relève est là. Il suffit de lui donner sa chance, de lui faire confiance et laisser nos idoles prendre une retraite bien méritée, plutôt que de prétendre qu’ils sont toujours aussi fringants que par le passé. Aucun maquillage ne pourra dissimuler leurs rides, aucun studio ne pourra masquer leur affaiblissement…

(vous noterez l'ironie de choisir un morceau de Death pour illustrer cet article, juste après l'annonce d'une nouvelle tournée européenne de Death To All, la tournée « hommage-oeuvre de charité » qui prend de plus en plus des relents mercantilistes…)